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Un Brésilien pour sortir l’OMC de l’impasse

Le Brésilien Roberto Azevêdo dirigera l'OMC à partir du 1er septembre 2013. Keystone

Le diplomate Roberto Azevêdo succèdera au Français Pascal Lamy à la tête de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Pour Luzius Wasescha, ancien représentant helvétique auprès de l’institution sise à Genève, la personnalité de ce négociateur hors pair pourrait s’avérer décisive.

Le choix du Brésilien Roberto Carvalho de Azevêdo pour diriger l”OMC à Genève est considéré par les analystes comme un signe du rôle croissant des pays émergents. Sa nomination formelle interviendra la semaine prochaine lors d’une réunion plénière du Conseil réunissant les 159 Etats-membres. Luzius Wasescha – ancien chef de la délégation suisse à l’OMC et ancien président du groupe de négociation de l’OMC sur l’accès aux marchés des produits industriels – évalue les chances de succès du diplomate brésilien, qui entrera en fonction le 1er septembre prochain.

swissinfo.ch: Quelles seront les premières priorités à l’agenda de Roberto Azevedo, dans un contexte marqué par le blocage des négociations du cycle de Doha?

Luzius Wasescha: Les négociations de l’OMC peuvent être inspirées par son directeur général, mais les décisions sont prises par les membres. Le changement de directeur général ne va pas immédiatement bouleverser la situation. Roberto Azevêdo a peut-être un capital de conviction plus important que son prédécesseur Pascal Lamy, mais ce qui est certain, c’est qu’il a une vision très large des besoins des pays émergents.

Son plus grand défi sera le suivant: faire son travail en tant que directeur général de manière objective et en même temps convaincre les marchés émergents et les pays industrialisés de se montrer plus souples sur certaines questions.

Dès que vous creusez les questions et que vous abordez les détails techniques, il ne s’agit plus d’un problème Nord-Sud, mais transatlantique. L’UE a son système de normes, les Etats-Unis ont le leur, et il est pratiquement impossible de bâtir un pont si les deux parties ne font pas preuve de flexibilité. La même chose prévaut en matière de facilitation du commerce, puisque les procédures douanières diffèrent entre les Etats-Unis et l’UE et qu’il est difficile de faire des progrès dans ce domaine.

Né le 3 octobre 1957 à Salvador de Bahia, Roberto Carvalho de Azevêdo a été diplômé ingénieur par l’Université de Brasilia avant de devenir diplomate.

Entré dans le service diplomatique brésilien en 1984, il a participé en 2001 à la création de la Coordination générale des litiges du ministère brésilien des Affaires étrangères, un service qu’il a dirigé pendant quatre ans.

En 2005, il est devenu le chef du département économique du ministère et de 2006 à 2008 sous-secrétaire général des affaires économiques. Depuis 2008, il est le représentant permanent du Brésil auprès de l’OMC.

Roberto Azevêdo est considéré comme un fin connaisseur des dossiers techniques de l’OMC. Il a remporté plusieurs litiges commerciaux en faveur du Brésil, notamment dans le cas des subventions pour le coton contre les Etats-Unis et des subventions à l’exportation de sucre contre l’Union européenne.

Dans la course à la direction de l’OMC, lancée en janvier dernier, Roberto Azevêdo l’a emporté contre neuf autres candidats.

swissinfo.ch: Pensez-vous que Roberto Azevedo soit l’homme le mieux à même d’assumer cette tâche délicate? Quels atouts spécifiques peut-il mettre en avant dans sa position?

L.W.: Je pense qu’il est l’homme de la situation, non pas en raison de son origine, mais de sa personnalité. J’ai vécu deux situations avec lui où il s’est révélé être un redoutable négociateur. La première fois, c’était lorsque nous avons préparé la dernière réunion ministérielle à Doha. Le langage était très pessimiste. Et c’est Azevedo en personne qui était l’architecte de ce langage.

Et la seconde fois l’an dernier, lors de la réunion ministérielle de Doha. A 3h du matin, il est intervenu en faveur des pays en développement, alors que je me suis fait le porte-parole des pays industrialisés n’appartenant pas à l’UE. Nous sommes rapidement parvenus à un accord. Il a donc prouvé qu’il était capable de mener à bien des négociations, et je suis persuadé qu’il en fera de même à la tête du secrétariat de l’OMC.

swissinfo.ch: Certains disent que l’OMC est menacée d’obsolescence. Êtes-vous d’accord avec cette évaluation? Est-ce que la nomination d’un Brésilien permettra un changement radical de l’organisation?

L.W.: Le risque existe bel et bien. Mais beaucoup d’éléments déjà en place peuvent empêcher cela, et je suis sûr que Roberto Azevêdo fera tout ce qu’il peut. De mon point de vue, la chose la plus importante est de se débarrasser des débats théologiques, de toutes ces discussions générales sur le développement. Elles n’apportent pas de résultats car dans les négociations à l’OMC, vous avez toujours au moins deux tendances au sein des pays en développement: les pays compétitifs sont en faveur d’une solution libérale, ceux qui ne le sont pas s’y opposent. Ainsi, la question n’est pas de savoir si un pays se développe ou non, mais s’il est compétitif ou ne l’est pas.

Dans le cadre du cycle de Doha, nous avons créé des groupes de petites économies vulnérables où la situation est totalement différente de celles du Brésil, de l’Inde ou de la Chine. Vous avez des pays qui perdent immédiatement leurs marchés d’exportation si des exportateurs compétitifs obtiennent un meilleur accès au marché. Il faut donc se demander quelles sont les solutions d’avenir pour ces petits producteurs. Ils produisent du café, des bananes, du coton. Ce que les Brésiliens produisent eux-mêmes d’une manière plus compétitive que les pays des Caraïbes, par exemple.

Roberto Azevedo devra être conseillé par des gens de toutes les sensibilités qui s’affichent à l’OMC. J’espère qu’il ne va pas se limiter à un mécanisme où seuls les grands acteurs sont représentés. Dans une négociation, vous avez besoin d’un nombre suffisant de personnes à même de faire des propositions pour combler les lacunes. Si seuls les grands joueurs sont autour de la table, l’unique acteur à même de faire des propositions pour combler l’écart est le directeur général. Mais une fois qu’il a joué ses cartes, sans obtenir de succès, la négociation est bloquée. C’est ce qui s’est passé avec le cycle de Doha.

swissinfo.ch: Quelles seraient les conséquences pour la Suisse si l’influence de l’OMC et les négociations commerciales n’étaient pas relancées sous la direction de Roberto Azevedo?

L.W.: L’économie suisse est très bien orientée dans les nouveaux régimes du commerce qui se mettent en place, avec les chaînes d’approvisionnement et des coopérations entre les petites et moyennes entreprises et les grands groupes. A ce niveau, la Suisse a certainement de bonnes cartes en mains.

Sur le plan politique, la Suisse dispose de moins bonnes cartes. Quoi que nous décidions en Suisse, nous ne pouvons pas oublier que nous sommes en Europe. Et hors d’Europe, nous sommes perçus comme un pays européen.

En règle générale, dans la première demi-heure de contact avec un partenaire hors d’Europe, nous devons expliquer que nous ne sommes pas dans l’UE et pourquoi nous n’y sommes pas. C’est en quelque sorte une double marginalisation: nous sommes marginalisés au sein de l’Europe, faute d’être membres de l’UE.  Et l’Europe elle-même est marginalisée dans ce monde émergeant où le centre de gravité s’est déplacé dans la zone Asie-Pacifique.

La Suisse doit être plus proactive. Mais ce que je remarque maintenant, c’est que mes successeurs sont très prudents. Or la prudence ne permettra pas à la Suisse de survivre.

(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg et Frédéric Burnand)

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