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L’entreprise suisse Crypto sous enquête pour espionnage

Un bâtiment industriel
Les bâtiments de l'entreprise Crypto à Zoug. Crypto AG a été scindée en une partie internationale et une partie suisse en 2018. Les deux sociétés assurent qu'elles n'ont rien à voir avec des services de renseignements étrangers. Keystone / Urs Flueeler

Le gouvernement suisse ouvre une enquête pour espionnage. La CIA et les services de renseignement allemands (BND) ont intercepté des milliers de documents de plus de 100 pays via l'entreprise Crypto durant des dizaines d'années.

Le Conseil fédéral a commandé une enquête le 15 janvier, a fait savoir mardi le Département fédéral de la défense, confirmant une information de l’émission Rundschau de la télévision suisse alémanique SRF.

L’enquête a été confiée à l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer, qui devra rendre son rapport au département d’ici fin juin.

Appareils de chiffrement truqués

La CIA et les services de renseignement allemands (BND) ont acheté des parts de l’entreprise zougoise Crypto en 1971 en passant par une fondation du Liechtenstein. Mais la collaboration entre les trois parties existait déjà auparavant.

Crypto est le leader des machines qui permettent de crypter les communications secrètes. Grâce à des appareils de chiffrement truqués, la CIA et le BND ont écouté les conversations de plusieurs États étrangers.

Le BND a quitté l’opération en 1993. Mais les États-Unis ont prolongé les écoutes jusqu’en 2018 au moins, selon des recherches conjointes de l’émission de la Rundschau, de ZDF et du Washington Post.

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Les services secrets suisses au courant

Concrètement, Crypto a installé deux formes de chiffrement: une version sécurisée et une non sécurisée. Seuls quelques pays, dont la Suisse, ont obtenu la version sécurisée, comme le montre une enquête réalisée par l’émission de la télévision alémanique.

Crypto opérait depuis la Suisse. Sa neutralité représentait un argument de vente important après la Deuxième Guerre mondiale et pendant le conflit au Moyen-Orient.

L’entreprise a notamment fourni des appareils de décryptage à l’Arabie saoudite, l’Argentine et l’Iran. Parce qu’ils avaient des oreilles dans ces pays, les États-Unis en ont profité lors de négociations ou pour leur stratégie militaire. Les appareils ont joué un rôle essentiel lors des négociations concernant les otages américains en Iran en 1981 ou l’invasion du Panama en 1989.

Selon la Rundschau, les services secrets helvétiques étaient au courant de l’opération menée par la CIA et le BND.

>> Voir aussi l’épisode de la websérie documentaire de la RTS «La Suisse sous couverture», racontant toute l’affaire Crypto AG:

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«Affaire potentiellement explosive»

Pour Balthasar Glättli, conseiller national (Verts/ZH), qui s’est exprimé sur les ondes de la Radio Télévision Suisse (RTS), «c’est une affaire politiquement explosive, parce que c’est une opération qui, d’après les informations à disposition, s’est poursuivie jusqu’en 2018. Cela signifie que les services secrets suisses avaient connaissance de ces agissements.»

L’écologiste demande que l’ensemble de la lumière soit faite sur qui savait quoi au niveau de la Confédération: «Que savait le Conseil fédéral, et depuis quand? A-t-il autorisé une opération conjointe entre les services suisses et américains? Les contrôle parlementaires sont-ils suffisants?»

Les partis veulent des explications

Il faut faire la lumière sur l’affaire d’espionnage qui a permis aux services de renseignement allemand et américain d’intercepter des milliers de documents via l’entreprise zougoise Crypto. Les partis et Amnesty International veulent des réponses. Une commission d’enquête parlementaire (CEP) est une option.

Le Parti démocrate-chrétien (PDC / centre) estime qu’il est juste et important que le Conseil fédéral se saisisse de cette question et la réexamine, a indiqué mardi sa porte-parole. Du côté du Parti socialise (PS / gauche), on s’interroge: le service de renseignements est-il victime ou complice? Les socialistes exigent des clarifications et une enquête complète.

Ils se disent prêts à rejoindre une éventuelle commission d’enquête parlementaire (CEP) s’il est réellement prouvé que la Confédération a failli. Le groupe parlementaire des Verts ( PES / gauche écologiste) va aussi discuter de la possible création d’une commission d’enquête parlementaire, a indiqué le conseiller national et président du groupe des Verts Balthasar Glättli (Verts/ZH) mardi soir sur les ondes de la RTS.

Pour le Parti libéral-radical (PLR / droite libérale) également, une CEP est une «option sérieuse», a déclaré la présidente du parti Petra Gössi dans une interview aux journaux alémaniques du groupe Tamedia. Elle permettrait d’avoir «plus de force et de pression pour obtenir rapidement des résultats» que l’enquête confiée à l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer.

Les libéraux-radicaux réfléchissent actuellement s’ils n’entendent pas déposer une demande de CEP lors de la session parlementaire de mars, a ajouté Petra Gössi, qui appelle de ses voeux une clarification complète – tout comme Amnesty International.

L’organisation de défense des droits de l’homme voit des implications dans les violations des droits de l’homme. Beat Gerber, de la section suisse, a déclaré que la question est de savoir si des informations sur de graves violations, provenant par exemple des dictatures militaires en Amérique latine, ont atteint le service de renseignement suisse et le Conseil fédéral. Si l’information leur était parvenue, la question se poserait de savoir ce qu’en ont fait les autorités concernées.

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