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La France veut désamorcer le conflit sur les successions

Le centre des congrès de Davos, qui accueille généralement l'élite économique et politique de la planète au mois de janvier dans le cadre du WEF, est ce week-end occupé par les représentants de la 5e Suisse. ASO

Réunis à Davos pour leur congrès annuel, les représentants de la Cinquième Suisse ont une nouvelle fois dénoncé la révision de la convention sur les successions entre la Suisse et la France. Dans les Alpes grisonnes, il a également été question de la nouvelle loi sur les Suisses de l’étranger et de la fermeture des représentations suisses à l’étranger.

«La convention sur les successions fait beaucoup de bruit en Suisse et chez les Suisses de France», a résumé Jacques-Simon Eggly, président de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE), lors de la première journée du congrès annuel des Suisses de l’étranger à Davos. Pour l’OSE, cette convention ne prend clairement pas en compte les intérêts des 180’000 Suisses de France et crée un précédent en permettant à un Etat tiers de prélever des impôts sur le sol suisse. Elle l’avait déjà fait savoir l’an dernier à Lausanne en adoptant une résolution dénonçant cette convention.  

Invité à expliquer la position française devant les délégués du Conseil des Suisses de l’étranger (CSE), sorte de Parlement de la 5e Suisse, l’ambassadeur de France en Suisse Michel Duclos s’est dit «très heurté par les accusations récurrentes d’impérialisme français» qu’il a pu entendre ces derniers mois. «Le régime antérieur créait une inégalité de traitement, une distorsion, une inéquité», a-t-il répété. Et de citer l’exemple d’un Français venant passer ses vieux jours dans le Jura ou en Valais, et donc dispensé d’impôt sur les successions, alors que son homologue ayant décidé de s’installer à Annecy doit s’acquitter d’un taux assez élevé dans l’Hexagone – qui va jusqu’à 45% au-dessus de 1,8 million d’euros.

«C’est avant tout une affaire franco-française», a ajouté l’ambassadeur français, précisant que «la France et l’Allemagne ont également signé une telle convention sans que cela ne fasse de vagues». Michel Duclos a relevé que la France avait fait un pas en direction des Suisses de l’étranger, «qui ne sont pas les principaux visés», en étendant de six à huit ans le délai durant lequel des résidents Suisses en France resteront taxés par leur pays d’origine. «Mais il n’est pas possible de faire une distinction selon la nationalité, c’est contraire aux règles fiscales modernes. Faire une exception pour les Suisses résidant en France créerait un précédent pour la France».

En marge du Congrès de l’OSE de Davos, swissinfo.ch a appris la démission avec effet au 29 juillet de Jean-Michel Begey, président depuis 2010 de l’Union des associations suisses de France (UASF), qui représente un peu plus de 70 associations suisses en France. Geneviève Spengler assurera l’intérim jusqu’à la prochaine élection agendée au mois d’avril 2014.

Présent à «titre personnel» à Davos, Jean-Michel Begey n’a pas souhaité revenir sur les raisons de cette démission. «Je crois toujours en l’UASF et en l’OSE», a toutefois tenu à préciser le Girondin, visiblement très affecté par les événements des derniers mois.

Un conflit lié à l’élection au mois d’avril des 12 membres «français» du Conseil des Suisses de l’étranger (CSE) est à l’origine de la démission du président de l’UASF, a-t-on appris.

Lors de la réélection du comité du CSE, Jean-Paul Aeschlimann a pour sa part annoncé qu’il ne se représentait pas pour un nouveau mandat. La candidature d’Elisabeth Etchart, consule honoraire de Suisse à Annecy et présidente de l’Union suisse du Genevois, a quant a elle été rejetée par les délégués.   

La France n’est ainsi plus représentée au comité du CSE. «Je demande instamment aux Suisses de France de dissiper le malaise», a déclaré Jacques-Simon Eggly, président de l’OSE. Pour rappel, la communauté suisse de France (185’000 personnes) représente la plus grande communauté suisse dans le monde.

Une convention qui a du plomb dans l’aile

Dans l’atmosphère vivifiante et ensoleillée de Davos, la plus haute ville d’Europe perchée à 1500 mètres au-dessus du niveau de la mer, l’ambassadeur français a également tenu à jouer la carte de l’apaisement. «Nous avons beaucoup à prendre de la Suisse, dont le succès n’est pas seulement dû à quelques manipulations financières et fiscales, mais repose sur beaucoup de travail, d’intelligence et de capacité d’adaptation au monde tel qu’il est. Contrairement aux Français, les Suisses ont réussi leur adaptation à la mondialisation», a-t-il affirmé.

Un discours dans le sens du poil qui n’a pas vraiment convaincu Elisabeth Etchart, consule honoraire de Suisse à Annecy et présidente de l’Union suisse du Genevois: «Cette convention est un mini-tsunami pour Genève et son agglomération française. De plus en plus de Suisses sont contraints d’habiter en France faute de logements à Genève. Cette convention va encore davantage les inciter à tricher et à déclarer de pseudo-résidences secondaires en France».

A quoi l’ambassadeur a suggéré que les Suisses auraient dû s’y prendre autrement pour régler ces problèmes concrets: «On a assisté à une campagne idéologique et politique, peut-être aurait-il fallu traiter le dossier sous un angle plus pratique.» Reste que la ratification de cette fameuse convention a du plomb dans l’aile, puisqu’une nette majorité du Conseil national (Chambre basse du Parlement) a estimé lors de la session de juin qu’il n’est pas question que des immeubles situés en Suisse soient imposés par un Etat tiers. «Et si le Parlement devait finalement renoncer à ratifier cet accord, la situation des Suisses en France s’en trouverait-elle améliorée?», a questionné le député socialiste genevois Carlo Sommaruga. Michel Duclos a répondu qu’en l’absence de convention, «le risque serait qu’il y ait un contentieux au sujet de chaque succession».

Dès le 1er janvier 2014, Ariane Rustichelli et Sarah Mastantuoni reprendront la direction de l’Organisation des Suisses (OSE) de l’étranger ad interim.

Après le retrait du directeur de l’OSE Rudolf Wyder à fin mars, elle reprendront pleinement la direction à partir du 1er avril 2014.

Rudolf Wyder a dirigé l’organisation durant 25 ans.

Ariane Rustichelli était jusqu’ici responsable de la communication de l’OSE, Sarah Mastantuoni dirigeait le service juridique.

Une loi bien accueillie

A Davos, les 96 délégués du Conseil des Suisses de l’étranger, qui tenait sa première séance de la législature 2013-2017, ont par ailleurs voté deux prises de position. La première concerne la loi sur les Suisses de l’étranger, qui a été mise en consultation par la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats (Chambre haute).

«Cette loi représente un énorme progrès dans la reconnaissance des Suisses de l’étranger, a reconnu Rudolf Wyder, directeur de l’OSE. L’établissement d’un guichet unique auprès du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) est une rationalisation, un pas important vers une meilleure cohérence de la politique en faveur des Suisses de l’étranger.» La loi permettra également une meilleure prise en compte de la mobilité internationale des Suisses, qui sont près de 720’000 à vivre actuellement à l’étranger, a relevé Rudolf Wyder.

Dans sa prise de position adoptée à l’unanimité, le CSE s’est en revanche opposé à l’abandon de l’obligation d’immatriculation auprès des représentations suisses à l’étranger, estimant  que le maintien des liens avec les Suisses de l’étranger ne pourrait plus être assurée si cette obligation tombait. Carlo Sommaruga a pour sa part plaidé pour que le Conseil des Suisses de l’étranger soit mentionné explicitement dans la loi afin de renforcer son rôle de défense des intérêts de la diaspora.  

Plus de 400 membres de la «5e Suisse» se réunissent chaque année durant 3 jours en Suisse pour leur congrès annuel.

La manifestation commence traditionnellement par la séance du Conseil des Suisses de l’étranger (CSE), le «Parlement de la Cinquième Suisse», avant d’ouvrir officiellement le vendredi soir.

La journée du samedi est consacrée à l’assemblée plénière ainsi qu’à la thématique officielle du congrès. Cette année: «La Suisse vs la globalisation?». La journée dominicale est l’occasion de visiter la région hôte.

Ces fermetures de consulats qui fâchent

La seconde prise de position, qui concernait le vote électronique, n’a pas suscité de grand débat parmi les délégués. Ces derniers ont salué le 3e rapport du Conseil fédéral publié récemment et qui prévoit notamment l’abandon de la clause de Wassenaar, permettant ainsi aux Suisses de l’étranger de voter par Internet depuis n’importe quel pays si leur canton le permet. Les délégués ont demandé aux cantons de s’engager pour que tous les Suisses de l’étranger aient accès au vote électronique lors des élections fédérales de 2015.

La réorganisation du réseau consulaire est une autre préoccupation centrale des Suisses de l’étranger. Depuis plusieurs années, le Conseil des Suisses de l’étranger s’insurge à chaque séance des fermetures ou regroupements décidés par Berne dans un souci d’économies. «Le réseau des représentations suisses à l’étranger n’a pas cessé de se restreindre malgré l’action menée par notre organisation auprès des autorités», a regretté Jacques-Simon Eggly. Le débat a été très nourri dans l’assemblée. Un délégué a notamment demandé s’il était légitime que l’on dépense tant de millions pour l’aide au développement, alors que le même département des affaires étrangères ferme dans le même temps des consulats.  

Responsable de la division consulaire du DFAE, Gerhard Brügger a répondu aux nombreuses critiques: «Croyez-moi, nous ne fermons pas les représentations de gaieté de cœur. Chaque cas est étudié soigneusement en tenant compte des réalités et des ressources à disposition». Mais la voie parlementaire est la bonne, a-t-il estimé, en faisant référence au sauvetage par les deux Chambres du Parlement de l’ambassade de Suisse au Guatemala et du rejet par la Chambre haute d’une motion pour le maintien du consulat général de Chicago.

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