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De nouvelles armes chimiques à surveiller de près

Les stocks d'armes chimiques sont progressivement détruits dans les pays signataires de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC). Reuters

Officiellement, les arsenaux chimiques sont sur le déclin et les stocks militaires progressivement détruits aux quatre coins du globe. Mais l’expert suisse Stefan Mogl met en garde contre la demande accrue pour de nouvelles armes chimiques utilisées notamment pour le maintien de l’ordre.

En menaçant de recourir aux armes chimiques en cas d’intervention étrangère, le président syrien Bachar el-Assad rappelle que la menace représentée par ces armes de destruction massive est loin d’être écartée.

C’est d’ailleurs dans l’Irak voisin que des armes chimiques ont été utilisées la dernière fois par un Etat, quand Saddam Hussein en fit usage contre les Kurdes irakiens en 1988.  

Stefan Mogl, qui est le chef du département chimie du Laboratoire de Spiez (l’institut suisse pour la protection nucléaire, biologique et chimique),  préside également le Conseil consultatif scientifique de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC).

swissinfo.ch: Quels sont les effets de l’interdiction internationale des armes chimiques?

Stefan Mogl: La Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC) est entrée en vigueur en 1997 et 188 pays y ont adhéré à ce jour. Il y avait d’importants stocks d’armes chimiques déclarés, plus de 70’000 tonnes. Leur destruction est en cours. Seuls quelques pays n’ont toujours pas adhéré à la Convention (dont la Syrie, ndlr).

C’est pourquoi il est important pour tous les pays d’adhérer au traité et, s’ils en possèdent, de se débarrasser des armes chimiques et de leurs programmes en la matière. La convention stipule aussi de s’assurer que de telles armes ne soient pas utilisées à l’avenir. Cet objectif restera un élément très important pour surveiller l’application du traité.

La surveillance des gouvernements suffit-elle?

Il y a deux réponses à cela. La CIAC a été mise en place pour éviter la guerre chimique à grande échelle. En ce sens, il s’agit d’un contrôle des armements et un traité de désarmement fondés sur les nations.  Mais ces dernières années, l’utilisation d’armes chimiques par des acteurs non étatiques est devenue une préoccupation qui a motivé la résolution 1540 de l’ONU. Or le suivi des programmes étatiques ou non-étatiques à grande échelle sont deux choses très différentes.

La différence majeure tient à la taille des stocks en jeu. Si vous prenez un stock de 29’000 tonnes d’agents chimiques déclarées par exemple aux États-Unis, les 40’000 tonnes déclarées par les Russes ou les 1000 tonnes détruites par l’Inde, ils sont produits par des programmes industriels qui  comprennent les installations de production des agents toxiques, les sites de production de munitions spéciales, les installations d’essai et les bunkers de stockage.

Mais il est plus difficile de surveiller quelqu’un qui veut produire une petite quantité d’agent de guerre chimique.

Il y a beaucoup de spéculations sur la fabrication artisanale d’armes chimiques. Certains affirment que ce procédé s’apparente à un jeu d’enfant. Qu’en est-il selon vous?

C’est une vision trop simpliste. Premièrement, il faut être en mesure de produire, de synthétiser un agent chimique militarisé en une qualité adéquate et suffisamment stable pour  être stocké. Ensuite, il faut résoudre un problème aussi complexe, sinon plus, à savoir la diffusion de l’agent chimique.

La communauté internationale prend-elle au sérieux le contrôle des armes chimiques?

Je crois que la CIAC et l’entité responsable de sa mise en œuvre – l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques – ont eu un énorme succès par rapport à d’autres traités de désarmement. La plupart des armes chimiques ont été détruites. La question dans les années à venir sera de définir quel est le point clé de ce traité et sur quoi devrait se concentrer l’OIAC. Je pense que c’est la prévention de la réapparition des armes chimiques et les discussions sur les produits chimiques qui pourraient être potentiellement utilisés pour de nouvelles armes.

Faut-il se concentrer uniquement sur les armes de destruction massive ou doit-on craindre d’autres types d’armes?

A mon avis, il est reconnu presque universellement que les armes chimiques et les agents de guerre chimiques ne doivent plus être tolérés. De nombreux gouvernements ont été clairs à ce sujet, c’est d’ailleurs ce qui fait le succès de la CIAC. D’un autre côté, des questions se posent quant à l’utilisation potentielle de nouveaux produits chimiques, tels que les agents chimiques incapacitants destinés au maintien de l’ordre public et qui sont utilisés dans le cadre d’opérations spéciales. Il est probable que ce type d’agents fasse son entrée  dans le débat sur l’interdiction des armes chimiques.

Précisément, durant la prise d’otage dans un théâtre de Moscou en 2002, de nombreuses personnes ont été tuées en raison d’un gaz incapacitant utilisé par la police. Doit-on craindre la répétition de ce type d’événements?

Il est parfois extrêmement difficile de distinguer une opération de maintien de l’ordre d’une situation de combat. Cela soulève de nombreuses questions juridiques sensibles.

Pour les officiers sur le terrain, il est très compliqué d’affronter ces situations où des otages ou des quidams sont mêlés aux combattants adverses. La seule réponse a longtemps résidé dans l’utilisation d’armes à feu. De là est né le désir d’utiliser une arme qui permette aux forces de l’ordre de faire le tri entre les gentils et les méchants.

Cela peut sembler très attrayant, mais nous tenons à mettre en garde car la chimie ne fonctionne pas d’une manière aussi simple. Les produits chimiques incapacitants sont toxiques. Ils sont amenés à faire des dégâts et seront à l’avenir difficiles à différencier d’un agent chimique plus traditionnel. Les agents incapacitants pourraient se transformer en pente savonneuse et mener à une érosion des normes actuelles en matière d’utilisation des armes chimiques. C’est pourquoi il est important pour la communauté internationale de faire une distinction claire entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas en vertu de la CIAC.

Deux grandes catégories: les agents neurotoxiques et les agents vésicants.

Les agents neurotoxiques sont conçus pour tuer, tandis que les agents vésicants sont destinés à causer des dégâts importants sur la santé.

Les agents chimiques provoquent l’empoisonnement ou des blessures au-travers du système respiratoire ou du contact avec le peau et les yeux.

Un masque à gaz équipé d’un filtre approprié ainsi qu’une combinaison  étanche offrent une protection suffisante aux forces armées (et certaines organisations de premier secours).

Des armes chimiques utilisées dans un environnement civil et urbain, sans protection à disposition, provoqueraient des dégâts énormes. Les agents chimiques se dissiperaient cependant après un certain laps de temps en fonction des conditions météorologiques.

Source: Stefan Mogl, Laboratoire de Spiez

La Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC) vise à éliminer une catégorie entière d’armes de destruction massive en interdisant le développement, la production, l’acquisition, le stockage, la rétention, le transfert ou l’utilisation d’armes chimiques par les Etats signataires.

A leur tour, les Etats doivent prendre les mesures nécessaires pour renforcer cette interdiction dans le respect des personnes (physiques ou morales) relevant de leur juridiction.

Les parties ont accepté de désarmer en détruisant tous les stocks d’armes chimiques et toutes les installations nécessaires à leur production qu’elles détiendraient. Elles se sont également engagées à éliminer toutes les armes qu’elles auraient  abandonné sur le territoire d’autres Etats par le passé.

Les parties à la CIAC ont également convenu de créer un régime de vérification pour certains produits chimiques et leurs précurseurs.

L’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques est chargée de l’implémentation de la CIAC, y compris la vérification de la conformité et la mise sur pied d’un forum pour la consultation et la coopération entre Etats.

(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand et Samuel Jaberg)

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