Coup de blues à Istanbul
Une entame de jeu parfaite, une équipe combattante. Tous les ingrédients étaient présents pour galvaniser les supporters turcs mercredi soir... sauf la victoire finale. Cette fois, le miracle n'a pas eu lieu et la Turquie a la mine des mauvais jours.
De l'avis général, la Turquie a joué son meilleur match de la compétition hier contre les Allemands. Et c'est pour cela que la défaite, 3 buts à 2 contre l'Allemagne, a du mal à passer. «Elle était à nous», se lamente Omer, un jeune homme de 20 ans, dépité.
Il faut dire que tout avait bien commencé pour les Turcs, avec une entame de match surprenante et une belle série d'attaques.
Au Cilgin Döner, l'un des nombreux restaurants rapides de la place de Taksim, en plein centre ville d'Istanbul, le personnel, habillé pour l'occasion de maillots aux couleurs de leur équipe, rouge et blancs, exulte. «Quelles frappes», lance le patron entre deux tirs de Semih et de Kazim. Pour lui, pas de doute, la Turquie va s'imposer, 2 buts à 1.
Entre temps, un joueur de tambour s'introduit dans le restaurant et fait monter l'ambiance. Juste avant l'arrivée du premier but, turc, à la 22ème minute, par Ugur Boral. «Ce ne sont pas des footballeurs. Ce sont des magiciens», s'emballe l'un des garçons. Et pas question de lui faire remarquer que sur le papier, les Turcs sont donnés perdants. «Sur le papier, peut-être mais pas sur le terrain!»
Première chute
L'enthousiasme est toutefois de courte durée. Quatre minutes plus tard, l'Allemand Bastian Schweinsteiger égalise. «Ce n'est pas grave», temporise le même garçon. «C'est même mieux, ça va rendre le match plus intéressant!» Il n'a pas totalement tort. Les Turcs, vexés, repartent de plus belle à l'attaque. Fatih Terim, l'entraîneur, s'arrache les cheveux après chaque frappe ratée. Et elles sont nombreuses en première mi-temps.
A l'extérieur du Cilgin Döner, sur la place, au pied de la statue d'Atatürk, la foule est scotchée devant le grand écran. Fin de la première mi-temps, le coup de sifflet résonne. Tout est encore possible.
«Pas de souci, on va gagner», lance Aysel Sezgin, une mère de famille venue avec ses deux filles. Maillots rouge et blanc marqués du croissant et de l'étoile, chapeaux de feu follets, drapeaux turcs dessinés sur les joues des enfants, la famille est motivée mais fair-play. «C'est le match de l'amitié», explique la fille aînée, Ayse. «Nous avons des amis à Berlin et si c'était possible, j'aimerais que l'on fasse égalité. Pour que tout le monde gagne». Sa mère, elle, croit en la victoire. «Avec les Turcs, rien n'est impossible!»
Sur l'immense place de Taksim, fermée pour l'occasion à la circulation, la foule attend avec impatience la reprise du match, entre deux feux de Bengale. Nouveau coup de sifflet, le jeu reprend. La foule se concentre et ondule au rythme du match. Muharrem, un étudiant de 20 ans, assure ne pas reconnaître l'équipe allemande. «Mais où est-elle? Les Turcs dominent, ils attaquent. Les Allemands sont à la traîne!», constate-t-il avec surprise. «Imaginez ce qui se serait passé si Nihat et Tuncay, entre autres, étaient présents!»
L'équipe turque joue en effet sans ses vedettes. Neuf de ses joueurs se sont fait porter pâles, soit blessés, soit sanctionnés. «Décidément, notre équipe joue avec le cœur. Ca va payer. Je leur donne jusqu'à la 70ème minute de jeu pour marquer. Ensuite le match sera plié».
Dégringolade
Mais les prévisions de ce jeune stambouliotes s'avèrent mauvaises. La 70ème minute passe. Aucun but. Pire, à la 79ème, les Allemands prennent la tête grâce à Miroslav Klose. La foule rugit de colère. D'un coup de pied, et de dépit, certains supporters envoient valser des bouteilles d'eau et de bière, entre deux insultes.
Mais rien n'est joué et la foule le sait, elle qui a vibré jusqu'à la dernière minute de jeu contre la Suisse et la Croatie. «N'oubliez pas! Un match se joue en 90 minutes minimum», lance Ezgi, une jeune supportrice.
Et effectivement, l'équipe turque revient au score. Semih Senturk, décidément surprenant dans cet Euro 2008, a encore marqué. Sur la place, c'est l'explosion de joie, mais il ne faut surtout ne pas relâcher ses efforts. La tension de la foule est palpable mais insuffisante pour éviter le but allemand.
Le dernier, à la dernière minute de jeu. Le but le plus destructeur. «C'est impossible!», lance Ezgi qui tombe dans les bras de son petit ami. Les dernières secondes de jeu s'écoulent mais cette fois, le miracle tant attendu n'a pas lieu.
«Nous méritions la victoire» gémit Umit, assis devant la station de métro. «Nous sommes tellement tristes. La victoire nous a été volée par l'arbitre! Il a sifflé contre nous à chaque fois!»
Plus loin, Mustafa s'en prend au gardien, Rüstü. «C'est à cause de lui qu'on a perdu! Il a commis deux énormes fautes! Les deux derniers buts allemands ont été marqués à cause de lui. C'est d'autant plus décevant que l'Allemagne a mal joué.»
Les joueurs de tambours plient bagage. Cette nuit, pas de folie en perspective à Taksim. La place se vide rapidement. Devant les arrêts de bus, les files d'attente s'allongent. La Turquie fait grise mine. «Allez, on va aller se coucher», grogne Omer. «On n'a rien de mieux à faire».
swissinfo, Jeanne Tulliers à Istanbul
Allemagne - Turquie
Demi-finale: victoire de l'Allemagne par 3 à 2.
Parc St-Jacques, Bâle. 39 374 spectateurs (guichets fermés).
Arbitre: Busacca (S). Buts: 22e Ugur 0-1. 26e Schweinsteiger 1-1. 79e Klose 2-1. 86e Semih 2-2. 90e Lahm 3-2.
L'Allemagne rencontrera la Russie ou l'Espagne en finale le 29 juin.

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