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Le frein à l’immigration pourrait peser sur l’emploi

Le président d'economiesuisse Heinz Karrer (à gauche) en pleine discussion avec le sénateur démocrate-chrétien Urs Schwaller après l'acceptation par le peuple suisse de l'initiative de l'UDC. Keystone

L’économie suisse risque de perdre des dizaines de milliers d’emplois à la suite du frein à l’immigration actionné par le peuple suisse dimanche dernier. L’avertissement est à la fois lancé par les milieux économiques et les syndicats.

L’Union syndicale suisse (USS) redoute un impact important sur les forces de travail en Suisse si l’UE décide de se venger en résiliant certains accords bilatéraux. Credit Suisse estime pour sa part que 80’000 emplois en moins seront créés ces trois prochaines années en raison du «poison» de l’incertitude qui va peser sur les investissements des entreprises. Selon la deuxième banque du pays, cela représenterait la moitié des places de travail normalement créés par l’économie durant cette période.

Le vote de dimanche donne désormais trois ans au gouvernement suisse pour mettre en œuvre des mesures, encore inconnues pour l’heure, qui permettront de freiner l’arrivée de travailleurs en provenance de l’UE. Mais les entreprises n’aiment pas investir lorsqu’elles ne savent pas de quoi l’avenir sera fait, relève Oliver Adler, responsable de la recherche économique au Credit Suisse.

«Les entreprises qui envisagent d’étendre leurs activités ou de lancer de nouveaux produits en Suisse devront reconsidérer leur choix, déplacer leur projet à l’étranger ou simplement retarder leurs plans», souligne-t-il.  

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Des «conséquences désastreuses»

L’USS met quant à elle en garde contre les «conséquences désastreuses» qui affecteront les entreprises exportatrices en cas de représailles de l’UE, estimant que des «dizaines de milliers d’emplois sont menacés». En 2012, plus de la moitié des exportations helvétiques (56%) ont été absorbées par l’Union européenne, premier partenaire économique de la Suisse.

«L’un des accords bilatéraux les plus importants, aujourd’hui menacé, permet à la Suisse de commercer sans entraves dans tous les pays de l’UE», explique Daniel Lampart, économiste en chef de l’USS. «Sans cet accord, les entreprises seront contraintes de négocier avec chaque pays individuellement».

L’USS souligne par ailleurs que le vote de dimanche ne permettra pas de lutter contre l’afflux massif de main-d’œuvre bon marché en provenance de l’UE ni contre le dumping salarial qui en découle. La solution passe pour l’USS par un renforcement des mesures existantes de protection des salaires et par l’introduction d’un salaire minimum. Cette dernière proposition sera d’ailleurs soumise au peuple suisse le 18 mai prochain.

Total: 4,85 millions

Occupés par des Suisses: 3,41 millions

Occupés par des étrangers: 1,44 million

Source: Office fédéral de la statistique (OFS)

«Alarmisme»

L’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), à l’origine de l’initiative «contre l’immigration de masse» acceptée par 50,3% des électeurs suisses, rétorque que ces prévisions «alarmistes» sont lancées par des personnes qui ont perdu tout contact avec la population.

«Ils ressassent les mêmes arguments que ceux utilisés après le refus de la Suisse d’adhérer à l’Espace économique européen (EEE) en 1992», affirme Hans Kaufmann, député de l’UDC au Parlement suisse. «Pourtant, depuis ce vote, la position commerciale de la Suisse vis-à-vis de l’UE s’est renforcée», ajoute-t-il.

«La résiliation d’autres accords bilatéraux [que celui de la libre circulation des personnes] suite à ce vote nuirait également à l’UE», avance Hans Kaufmann, faisant notamment référence à un accord sur les transports terrestres qui permet au fret européen d’être transporté par camions à travers les Alpes suisses.

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Une main-d’œuvre essentielle

Les craintes se focalisent cependant essentiellement sur le marché du travail. Un quart de la main-d’œuvre des 300 banques helvétiques provient de l’UE, alors que près de 45% des emplois de l’industrie pharmaceutique, chimique et biotechnologique sont occupés par des étrangers.

L’Association suisse des banquiers (ASB) indique dans un communiqué craindre une réduction du bassin de personnel qualifié. «Cela pourrait devenir plus difficile pour les banques de satisfaire leurs besoins en personnel qualifié», estime l’ASB. Pour Valentin Vogt, président de l’Union patronale suisse, la main-d’œuvre hautement qualifiée pourrait se tarir en Suisse. «Qui voudrait venir dans un pays qui lui dit: en septembre, nous aurons des quotas pour vous? En plus de cela, vous devez venir seul, votre famille pourrait peut-être vous rejoindre dans deux ans. Moi, je ne viendrais pas en Suisse dans ces conditions», a-t-il déclaré à la Neue Zürcher Zeitung (NZZ).

Le géant pharmaceutique suisse Novartis a pour sa part affirmé que «le succès [de l’entreprise] est essentiellement basé sur la disponibilité d’une main-d’œuvre qualifiée». «Ce qui est crucial maintenant, c’est la manière dont le système de quotas sera mis en œuvre et la nécessité d’éviter dans la mesure du possible des atteintes aux accords bilatéraux», a relevé Pascal Brenneisen, président de Novartis Suisse. «Nous allons faire tout notre possible pour parvenir à une interprétation généreuse [du texte de l’initiative] afin de limiter les dégâts à la Suisse en tant que centre d’affaires».

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Des quotas aux enchères?

Parmi les mesures suggérées par Hans Kaufmann de l’UDC, celle d’une bourse aux quotas qui permettrait aux entreprises de concourir chaque année pour un pot restreint de travailleurs étrangers. Une autre idée serait d’introduire un système de points qui permettrait de n’engager que des étrangers au bénéfice de qualifications élevées et d’une expérience professionnelle.

La création d’un système d’assurance social distinct pour les travailleurs transitoires pourrait permettre d’alléger le fardeau engendré par les chômeurs étrangers, ajoute Hans Kaufmann.

economiesuisse, la fédération des entreprises suisses, espère que les nouvelles mesures introduites par le gouvernement ne porteront aucun autre préjudice supplémentaire que celui d’une augmentation de la paperasserie et des formalités administratives.

Mais la Suisse doit maintenant réparer les dommages causés à sa réputation, estime economiesuisse. «C’est un mauvais signal envoyé à la communauté internationale des affaires», affirme son économiste en chef Rudolf Minsch. «Il est maintenant absolument obligatoire que nous protégions l’image de la Suisse, qui était jusqu’ici réputée pour son environnement favorable aux affaires», dit-il.  

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La Suisse a jusqu’ici signé 16 accords bilatéraux principaux avec l’Union européenne. Ils complètent d’autres accords, comme celui sur le libre-échange, conclu en 1972.

L’accord sur la libre circulation des personnes a été signé en 1999, en même temps que six autres accords.

Le paquet d’accords comprend une clause dite «guillotine». Juridiquement, cela signifie que si un accord est dénoncé, les autres tombent également.

Ces accords concernent plusieurs domaines, qui vont de l’agriculture au transports, en passant par la recherche et le commerce.

L’accord sur la prévention des obstacles techniques au commerce prévoit la reconnaissance mutuelle des examens de conformité pour la plupart des produits industriels entre la Suisse et l’UE.

Un autre de ces accords permet à la Suisse d’accéder sans entraves aux marchés publics de l’UE.

L’accord sur l’agriculture facilite quant à lui les échanges en accordant des concessions tarifaires, notamment dans les secteurs des fruits et légumes, de l’horticulture et des spécialités de viande et de vins.

L’accord sur le transport aérien règle pour sa part l’accès des compagnies aériennes suisses au marché libéralisé du transport en Europe sur une base de réciprocité.

(Traduction de l’anglais: Samuel Jaberg)

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