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L’Italie devient un risque pour le franc suisse

Le Gouvernement italien
Les membres du Gouvernement italien Luigi Di Maio, Giuseppe Conte et Matteo Salvini lors de la présentation du budget, le 20 octobre. Keystone

La Banque nationale suisse attend avec impatience le moment où elle pourra sortir de la situation de crise de politique monétaire dans laquelle elle est empêtrée depuis de longues années. Le but semblait proche, mais l’Italie pourrait contrecarrer ses plans.

Cette semaine, le vice-président de la Banque nationale suisse (BNS), Fritz Zurbrügg, s’est rendu en Italie. Le même jour, le conflit entre l’Italie à l’Union européenne (UE) au sujet du budget italien est monté d’un cran. Fritz Zurbrügg s’est également rendu à la Chambre suisse du commerce à Milan, la ville où s’est constituée la Lega (Ligue du Nord, extrême droite). Cette même force qui s’aventure dans des sphères encore jamais observées par l’Union européenne.

Le compte à rebours est lancé

Le Gouvernement italien conduit la troisième puissance économique européenne à un niveau d’endettement de grande ampleur, suscitant la crainte des experts. Avec le budget présenté, le taux d’endettement s’envolerait pour atteindre 130% de la performance économique – et ceci dans un pays où la dette publique est déjà de 2302 milliards d’euros. L’UE considère que ses directives de stabilité sont violées et a renvoyé le budget au Gouvernement italien pour qu’il le révise dans un délai de trois semaines. Mais l’Italie ne semble guère impressionnée. Un compte à rebours est lancé, qu’aucune force rationnelle ne semble plus contrôler. Seuls les marchés pourraient encore ramener l’Italie à la raison, espère l’UE.

Quel est le lien avec la Suisse? «Quand l’Italie échappe à tout contrôle, cela limite la marge de manœuvre de la Banque centrale européenne pour normaliser sa politique monétaire», explique Fabio Canetg, macroéconomiste à l’Université de Berne. Pour le vice-président de la BNS, Fritz Zurbrügg, interrogé par tvsvizzera.it, «tout ce qui fait mal à l’Europe fait aussi mal à la Suisse.»

«Nous attendons cette normalisation depuis des années»

Les autorités monétaires suisses auraient bien voulu sortir enfin de cette situation de crise dans laquelle elles évoluent depuis maintenant près de 10 ans. «Nous attendons cette normalisation depuis des années», confie Fritz Zurbrügg.

Depuis 2008, la BNS se trouve dans une position délicate au niveau de la politique monétaire. La crise de l’euro lui a montré ce que pouvait impliquer une fuite massive vers le franc suisse. Lorsque la BNS a décidé le 6 septembre 2011 de fixer un taux plancher du franc suisse face à l’euro, elle a été obligée d’acheter des centaines de milliards d’euros pour éviter une explosion du cours du franc suisse. 

Entre-temps, le bilan de la BNS se monte à 800 milliards de francs, essentiellement en raison de cet achat de devises. Les experts affirment que le bilan de la BNS est «gonflé» – il suscite déjà la convoitise des politiques, qui voient la possibilité de financer toutes sortes de choses.

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«Encore très volatile»

Il est vrai que la Banque nationale a retiré en 2015 son soutien à la fixation d’un taux plancher, mais pas à la politique d’achat de devises pour entretenir le cours d’une monnaie. En cas de bouleversement au niveau des taux de change, la BNS intervient encore sur les marchés. «Comme nous l’avons vu cette année, la situation est encore très volatile», déclare Fritz Zurbrügg.

De plus, la politique des taux d’intérêt de la BNS n’est pas indépendante de celle de la Banque centrale européenne. En réalité, la Banque nationale suisse doit à peu près refléter la politique des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne.

Pour éviter une nouvelle appréciation trop forte du franc – indispensable à la survie de l’industrie d’exportation suisse – la BNS a instauré des taux d’intérêt négatifs lorsqu’elle a abandonné le taux plancher en 2015.

La «Neue Zürcher Zeitung» affirme aujourd’hui qu’une menace pèse sur la Banque centrale européenne si le conflit autour du budget italien s’envenime: la dominance fiscale. En termes simples et généraux, cette situation se produit lorsque des décisions politiques ne peuvent plus être ignorées par une banque qui émet des devises. Dans un cas extrême, la banque se voit contrainte d’agir, par exemple en maintenant bas plus longtemps que prévu des taux d’intérêt. Cela conduit les banques, qui fonctionnent mieux en restant les plus indépendantes possibles de la politique, à devoir gérer des dépendances indésirables voire même, dans les pires des cas, de véritables camisoles de force. «Il n’y a qu’une situation que les banques émettrices de devises craignent autant qu’une inflation ou une déflation prolongée: la dominance fiscale», poursuit la NZZ.

Concrètement, si l’Italie rejette les objectifs budgétaires européens, la Banque centrale européenne pourrait être contrainte de se maintenir dans une situation de crise. Elle avait prévu d’abandonner ses rachats d’obligations publiques à la fin de l’année, afin de stimuler l’économie. Une mesure qui aurait permis à la Banque nationale suisse de faire ses premiers pas vers la normalisation.

«Nous sommes heureux que des signes de normalisation se fassent sentir, avant tout aux États-Unis. Naturellement, nous espérons maintenant que d’autres pays suivront cette tendance. Cela permettrait à l’avenir de relâcher la pression sur le franc suisse», a déclaré Fritz Zurbrügg en Italie. Un directeur de banque a rarement été aussi explicite.

Traduction de l’allemand: Marie Vuilleumier

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