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Crispations autour de la réforme des universités

Le coût du matériel fait des sciences un domaine où les collaborations entre universités s'imposent. (Pixsil)

Encouragées par l'Etat, les synergies passent parfois mal au niveau local. A Neuchâtel, le recteur vient d'être licencié pour une question de divergence stratégique.

Dénonçant le transfert de la microtechnique à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), il s’était opposé publiquement au projet soutenu par le gouvernement neuchâtelois.

Seul contre tous, le recteur de l’Université de Neuchâtel Alfred Strohmeier n’aura pas tenu longtemps. Son autorité de tutelle, le Conseil d’Etat neuchâtelois – puisqu’en Suisse les universités dépendent des gouvernements cantonaux et non pas de la Confédération -, l’a licencié avec effet immédiat lundi.

Opposé à l’intégration de l’un des «fleurons» de ‘son’ Université, soit l’Institut de microtechnique (IMT), à la grande EPFL, il était en conflit direct depuis une quinzaine de jours avec les autorités politiques du canton.

Favorables à ce rattachement, ces dernières font ainsi usage d’un pouvoir décisionnel qui certes leur appartient, même si elles ne sont de loin pas les seules instances impliquées dans le différend.

A tel point que l’affaire neuchâteloise illustre bien les difficultés que peut engendrer le fonctionnement complexe du monde académique suisse.

Problèmes de gouvernance

Entre le Secrétariat d’Etat à l’éducation et à la recherche (SER), la Conférence universitaire suisse (CUS), la Conférence des recteurs des universités suisses (CRUS), le Fonds national suisse (FNS) et les gouvernements cantonaux dont dépendent les universités, les organes qui ont voix au chapitre à différents niveaux sont multiples.

Pour sa part, le recteur de l’Université de Neuchâtel André Strohmeier a dénoncé ces influences croisées dans un récent entretien accordé au quotidien ‘Le Courrier’. Des propos qui n’ont pas plu au gouvernement neuchâtelois, qui les évoque dans la lettre de licenciement.

Bien qu’il figure parmi les objectifs prioritaires du secteur de l’éducation, l’accroissement de l’autonomie des hautes écoles ne va en fait pas de soi. Si les cantons de Vaud ou de Fribourg laissent la bride sur le cou à leur université, celle de Genève, où une réforme est cependant en cours, est encore très liée au pouvoir politique.

«Comme au mikado»

Secrétaire d’Etat à l’éducation et à la recherche, Charles Kleiber ne voit pour sa part aucune contradiction entre la tendance à conférer plus d’autonomie aux rectorats et le fait que de nombreuses influences pèsent sur les choix stratégiques des universités.

Il reconnaît néanmoins que rien n’est simple dans ce domaine. En témoigne l’échec récent de la création d’une formation commune en journalisme entre les universités de Neuchâtel et de Genève, laquelle a annoncé mercredi dernier qu’elle collaborera finalement avec l’Université de Fribourg et la Haute école spécialisée de Winterthour pour ce projet.

«C’est comme au mikado, le premier qui bouge a perdu», métaphorise Charles Kleiber. Déplorant que l’autonomie serve parfois à «construire des murailles», il donne l’exemple des Ecoles polytechniques fédérales – qui relèvent de la Confédération – où un bon équilibre a selon lui été trouvé.

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L’histoire s’accélère

En plus des rapports parfois conflictuels entre universités et pouvoirs politiques, les rectorats doivent affronter le problème de la redéfinition constante des stratégies en fonction des tendances dans les divers champs du savoir.

«Les universités suisses sont en compétition au niveau régional, national et international», fait remarquer Nivardo Ischi, secrétaire général de la Conférence universitaire suisse. Pour lui, les collaborations entre les universités doivent être évaluées régulièrement, afin de ne pas «s’enfermer dans des situations créées par l’histoire».

Reste que le cas de l’IMT de Neuchâtel démontre que l’histoire a tendance à s’accélérer. Ratifiée par le parlement neuchâtelois au début 2005, la stratégie du rectorat prévoyait de faire de Neuchâtel un partenaire fort de la recherche en microtechnologies et en nanosciences. Pour lui, le rattachement à l’EPFL signifiait donc «la remise en cause de toute sa stratégie».

Présidente du Conseil de l’Université de Neuchâtel Michèle Berger-Wildhaber parle elle d’une «bifurcation» susceptible d’amener des moyens financiers que ni le gouvernement neuchâtelois, ni la faculté des sciences n’ont pour faire du canton un pôle d’excellence dans le secteur des microsciences.

Ruée sur les nanotechnologies

Plus coûteux que les autres, le domaine des sciences est celui où la nécessité de programmes communs se fait le plus ressentir. Pour sa part, André Strohmeier réclamait une coordination au niveau suisse dans le secteur actuellement très en vogue des nanotechnologies.

Ceci alors que l’Université de Fribourg a lancé en novembre dernier le projet FriMat, justement consacré aux nanotechnologies, et qui devrait, selon le voeu des autorités fribourgeoises, faire du canton un centre reconnu en matière de nanomatériaux.

swissinfo, Carole Wälti

Le rattachement de l’IMT à l’EPFL est cité parmi les ‘actions stratégiques’ que le gouvernement fédéral énumère dans son message du 24 janvier sur la formation et la recherche.

Les autorités cantonales neuchâteloises, ainsi que la plupart des professeurs de la Faculté de sciences de l’Université de Neuchâtel et de l’IMT, soutiennent ce rapprochement. Celui-ci pourrait être effectif dès 2009.

Pour le gouvernement neuchâtelois, la condition sine qua non est toutefois que les activités de l’IMT restent à Neuchâtel.

De son côté, le recteur estimait que cette intégration risquait de mettre en danger toute la stratégie de réorganisation de la haute école neuchâteloise, qui visait à renforcer le pôle de la microtechnique.

Après son licenciement, il reste convaincu d’avoir «défendu les intérêts de l’Université conformément à la loi».

Le gouvernement fédéral a récemment décidé d’augmenter les crédits pour la formation et la recherche de 6% par an pour la période allant de 2008 à 2011.

Au total, cela représente une enveloppe de 21,2 milliards de francs que se partageront les Ecoles polytechniques fédérales, les universités, la formation professionnelle, les hautes écoles spécialisées et le Fonds national de la recherche scientifique.

Sur le plan législatif, il est prévu de mettre en place à l’horizon 2008 une nouvelle loi cadre de portée fédérale qui régira l’ensemble des hautes écoles (universités, HES, HEP).

Le pilotage de l’ensemble du système suisse de l’enseignement supérieur devrait à l’avenir être assuré par un seul organe politique, sous la forme d’une conférence des collectivités fédérales et cantonales.

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