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«Dans tous mes travaux, je parle de moi»

La photographe Loan Nguyen par elle-même.

D'origine suisse et vietnamienne, la jeune photographe Loan Nyguen a suivi son père revenant 38 ans plus tard au pays de sa jeunesse. Une expérience fondatrice, confie-t-elle à swissinfo.

Le projet a donné lieu à un livre intitulé «De retour». Le deuxième d’une artiste qui expose de Berlin à Los Angeles en passant par Paris.

Autant ses photos expriment de la retenue, autant Loan Ngyuen ne lésine pas sur les mots pour se faire comprendre, avec le souci d’éviter toute prétention. En filigrane de ses propos apparaît son père, l’émigré du Vietnam devenu pharmacien vaudois.

swissinfo: Vous faite partie de la jeune génération des photographes qui montent. Au fond, pourquoi photographiez-vous?

Loan Nguyen: L’envie de faire des photos m’est venue progressivement. Je ne me suis jamais considérée comme une photographe née. Je n’y pense pas depuis que je suis toute petite.

Après mon bac, j’ai eu envie de suivre l’école de photo de Vevey. Et c’est plutôt vers la fin de mes études que j’ai réalisé mon envie d’en faire quelque chose – d’en vivre et d’essayer de devenir une artiste photographe.

Pourquoi? Parce que c’est le seul moyen d’expression que je connaisse. Je ne sais pas peindre, pas écrire. La photo est, semble-t-il, ce que je sais le mieux faire.

L’envie d’exprimer quelque chose n’est pas explicable de manière intellectuelle ou cérébrale. C’est un sentiment, un appétit qui m’anime depuis assez jeune. Et c’est à travers la photo que cela se concrétise.

swissinfo: Avec «De retour», vous suivez votre père qui retrouve le Vietnam. Comment est né ce projet?

L.N.: De manière assez simple. Au détour d’une conversation avec mon papa, il m’a annoncé vouloir entamer les formalités pour devenir Suisse. Jusque-là, il vivait avec un titre de transport, comme on l’appelle – un droit de rester en Suisse. Il n’était ni citoyen vietnamien, ni citoyen suisse.

Il m’a lancé de manière assez légère: le jour où j’ai le passeport, on va au Vietnam! Je l’ai tout de suite pris au mot. Et tout de suite, aussi, j’ai pensé en faire un livre. Je lui ai demandé de pouvoir photographier. Il m’a dit oui.

Trois ans plus tard, au moment où il allait recevoir sa nouvelle nationalité, nous avons commencé l’organisation du voyage…

swissinfo: Comment avez-vous vécu cette expérience, l’un et l’autre?

L.N.: Avant de partir, mon père avait très peur d’être déçu. Et moi, j’avais peur de faire des photos tristes. J’avais peur de réaliser un projet qui aurait montré l’échec du voyage. S’il n’avait pas aimé le Vietnam, je n’aurais pas aimé en faire des photos.

Mais ça s’est bien passé. Après les premières émotions, il est finalement devenu très naturel pour nous d’être là-bas. Très naturel, mais parfois difficile, aussi.

Comme je l’exprime dans mon livre, nous trimbalions pas mal d’histoires du passé. Il fallait gérer ces émotions. D’autant que, lorsque nous sommes trop remués, mon père et moi ne sommes pas du style à nous pleurer dans les bras.

Il a fallu gérer cette forme de pudeur, mais aussi notre rapprochement – inévitable – puisque j’étais tout le temps en train de faire des photos de lui. Nous sommes depuis restés beaucoup plus proches.

swissinfo: Quelle est votre relation au Vietnam, avant et après?

L.N.: Elle n’a pas beaucoup changé. Jeune, j’idéalisais le Vietnam. Je me voyais retourner y vivre, devenir une vraie vietnamienne. Plus tard, j’ai compris: j’ai grandi en Suisse, je ne parle pas la langue.

En partant, je me suis rapprochée de mon père qui, lui, s’est rapproché de son pays d’origine. Mais je ne me suis pas rapprochée du Vietnam. Pour moi, il y aura toujours la barrière de la langue. Et une réalité: j’ai été élevée dans une culture occidentale.

Dorénavant, je suis plus en paix avec l’idée que je suis d’abord Suissesse. Ce projet m’a aidé à faire le deuil de cet idéal d’aller vivre au Vietnam, comme si j’y étais née.

swissinfo: Ce projet autour de votre père au Vietnam se situe-t-il dans le flux de votre parcours artistique ou est-ce un «à-côté»?

L.N.: Il est dans le flux au niveau stylistique et du sens. Dans tous mes travaux, je parle un peu de moi, de ma famille ou de ce qui m’appartient. La différence est temporelle. D’habitude, je travaille plus lentement. Mais j’y vois une continuité.

swissinfo: Le jour où vous rentrez du Vietnam, dans les toilettes de l’aéroport à Paris, vous apprenez que vous êtes enceinte. Que tirez-vous de cette coïncidence?

L.N.: Ce n’est qu’une interprétation a posteriori: j’en tire l’idée qu’après le voyage, j’étais prête pour ce nouveau projet. Ce voyage m’a aidé à me poser là, où je suis maintenant. J’ai des racines vietnamiennes, et je ne veux pas les nier. Mais j’ai d’abord, en majorité, des racines suisses. De l’avoir accepté m’a permis d’être prête pour la suite. Prête à fonder une famille.

swissinfo: La suite, justement, sur le plan de la création?

L.N.: Je suis en train de monter mon dossier pour un concours. Je vais proposer un travail sur mon grand papa. Mon grand-père suisse, valaisan. Un personnage assez original, qui m’a toujours intriguée.

Il y a longtemps que je fais des photos de lui, un peu, de temps en temps. Le moment est venu de faire un vrai travail à son propos. C’est pour moi la suite logique, le pendant de mon travail avec mon père, le moyen de parler de l’autre côté, des racines suisses. Je vais m’y consacrer dans la prochaine année.

Interview swissinfo, Pierre-François Besson

*«De retour» est sorti ce printemps chez Christoph Merian Verlag.

Cette photographe d’origine suisse et vietnamienne née en 1977 à Lausanne est aujourd’hui installée à Montreux. Formée à l’école de photo de Vevey, elle allie démarche personnelle et travaux de commandes.

Dans ses images épurées et pastels, elle se met souvent en scène sans jamais risquer le nombrilisme. Elle a publié dans cette veine un livre intitulé «Mobile» (2005), empli de délicatesse et d’ironie.

Loan Nguyen photographie des gestes et des postures. «Comme une tentative de contact avec le monde qui m’entoure», dit-elle.

Cette année, elle expose notamment à Vienne, Berlin et Los Angeles et a déjà derrière elle une réelle expérience avec des expositions en Italie, en France, en Allemagne, en Autriche et bien sûr en Suisse.

Loan Nguyen est aussi membre du collectif européen Piece of Cake, qui réunit une vingtaine d’artistes s’exprimant principalement à travers la photo.

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