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«Figures politiques» recherchent stature

A Berne ou au motel ? Quand l’emplacement torpille le message. Nicolas Savary / Tilo Steireif

A l’occasion des prochaines élections fédérales, le Centre de la photographie, à Genève, présente une exposition de clichés et de vidéo signés Nicolas Savary et Tilo Steireif. Les deux artistes lausannois y montrent la fabrication de l’image du politicien suisse. Un comique salutaire.

L’atmosphère est bon enfant, mais ceux qui l’animent sont tout sauf des enfants de chœur. Il y a là Doris Leuthard, Christoph Mörgeli, Géraldine Savary, Ueli Maurer, Gabi Huber, Brigit Wyss, Lieni Füglistaller… Certains de ces visages nous sont familiers, d’autres pas. Les Romands reconnaîtront leurs élus. Les Alémaniques les leurs. C’est que la familiarité sous nos latitudes marque une frontière. Et le Palais fédéral, où nous sommes, a beau réunir toutes ces figures, celles-ci n’en demeurent pas moins séparées par une culture que l’image capte ici dans les moindres détails.

Le Palais fédéral donc, automne 2007. Deux artistes lausannois, Nicolas Savary et Tilo Steireif, se glissent dans les couloirs de la vénérable maison. Là, se tient, juste après les élections fédérales, la traditionnelle séance de photos durant laquelle les politiciens fraîchement élus posent pour les agences de presse. Les photos qui en résultent sont officielles, destinées entre autres au site du parlement.

Se trouver une posture

Le but de Savary et Steireif: filmer le travail des photographes. Résultat: une vidéo de 20 minutes dans laquelle le tandem lausannois montre la fabrication en Suisse de la figure politique. «Figures politiques» est d’ailleurs le titre que les deux artistes donnent à leur exposition présentée au Centre de la photographie, à Genève, à l’occasion de l’actuelle campagne électorale suisse. L’exposition comporte un autre volet intitulé «Kampagne».

Mais avant d’en parler, restons encore un instant au Palais fédéral où l’on s’attendait à une séance d’intronisation, et où on se retrouve devant une scène de fragilisation. Un paradoxe qui consiste à déstabiliser la stature du leader que le politicien suisse peine à revêtir. Dit comme ça, c’est cruel, on le sait, mais bon, c’est le verdict de Steireif et Savary, aussi coquins que sérieux.

Ce qu’ils filment, c’est l’énergie dépensée par les politiciens pour se trouver une posture. Vendre son image est un art que nos élus semblent mal maîtriser. Du moins les Alémaniques, moins à l’aise dans ce domaine que leurs confrères Romands. La Vaudoise Géraldine Savary bombe le torse, fière comme Artaban, là où Ueli Maurer s’embrouille avec son pantalon qu’il essaie d’ajuster.

Echappe à la règle la Soleuroise Brigit Wyss (Verts) qui tend à la caméra un profil mélancolique, orné d’une jolie boucle d’oreille. Mais dans l’ensemble, ces hommes et ces femmes donnent l’impression de souffrir devant l’objectif. Il faut dire qu’ils ne sont pas bien aidés par les photographes d’agences.

«Nous sommes dans un pays libéral qui fait confiance à l’entreprise privée pour photographier ses personnages officiels, confie Tilo Steireif. Or, on constate que l’entreprise joue un rôle commercial bien plus que patriotique. Les clichés qu’elle réalise donnent l’impression d’être bricolés, dans la mesure où ils ressemblent plus à des instantanés qu’à des photos officielles que d’autres pays, comme la France, destinent à leurs préfectures ou à leurs livres d’Histoire».

Un poil du nez, une mèche rebelle

«Chez nous, poursuit-il, l’aspect physique du politicien n’est pas mis en valeur. Bon, il faut dire que nos élus n’aiment pas pavoiser. Il y a chez eux un petit côté ‘je suis intègre, je reste modeste’. A l’artifice, ils préfèrent la réalité crue, celle qui les maintient au plus près d’eux-mêmes».

La caméra des deux Lausannois reflète cette réalité-là. Elle reste collée au corps qu’elle filme pour en saisir le moindre défaut: une mauvaise dentition, un poil du nez, une mèche rebelle… «Ce que les grands portraitistes réalisaient autrefois avec leur pinceau, nous autres, nous le faisons aujourd’hui avec les nouvelles technologies», dit Tilo Steireif en insistant sur la précision chirurgicale des caméras numériques.

Lui et Nicolas Savary travaillent ensemble depuis 6 ans. En 2005, ils ont présenté à Lausanne «Kongress», une exposition de photos également qui s’intéressait aux assemblées des partis politiques. Ils montraient alors «l’hétérogénéité des lieux de réunion et les efforts de chaque parti pour rendre ces réunions médiatiques».

Affichage sauvage

Avec «Kampagne», le deuxième volet de «Figures politiques», ils reviennent aux partis (UDC, PLR, PS, Verts…), mais vus cette fois sous l’angle de la campagne électorale, celle de 2007 toujours.

Qui dit campagne dit affiches. Les deux Lausannois ont photographié des milliers d’affiches en sillonnant les routes romandes et alémaniques.

Là aussi, leur démarche privilégie le paradoxe et laisse filtrer l’ironie. «Dépoussiérons la Suisse !», disent quatre candidats qui passent la serpillère sur un drapeau rouge frappé d’une croix blanche. Leur affiche est collée sur une grosse poubelle en métal. On croit rêver. Le choix du support torpille le message.

C’est souvent le cas, mais c’est bien cette contradiction qui intéresse Savary et Steireif. «On s’est amusé à photographier l’affichage sauvage, et Dieu sait s’il y en a, dit Tilo. Bord d’autoroute, champs, forêt, container d’ordures, troncs d’arbres… les candidats mettent leurs annonces où bon leur semble. Ce qu’on voulait, c’était montrer un «écrin» qui trahit souvent le sens de l’affiche».   

Cela s’appelle décrypter un langage. Les politiciens ont le leur, parfois ambigu. Cette «Kampagne» le dit bien.

«Figures politiques», Nicolas Savary et Tilo Steireif. Exposition à voir au Centre de la photographie, Genève. Jusqu’au 23 octobre.

Photographe et plasticien  lausannois.

En 1998, il obtient son diplôme en arts visuels à l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne).

Il a reçu le prix fédéral de design et le prix culturel Manor.

Il est responsable de la Formation supérieure de l’Ecole de Photographie de Vevey.

Il est membre fondateur de l’espace d’art Standard/deluxe, et membre du comité directeur du Festival Alt+1000 et du Photoforum Pasquart.

Parmi ses expositions récentes, citons: «L’Âge critique», Biennale de l’Image, Chiasso 2010. «Figures politiques», Musée Arlaud, Lausanne 2010. «G8», Journées photographiques de Bienne, 2009. «Teen City», Musée de l’Elysée, Lausanne, 2008.

Artiste plasticien lausannois et professeur d’arts visuels à la Haute Ecole pédagogique de Lausanne (HEP).

Co-fondateur de l’espace d’art contemporain Standard/deluxe à Lausanne.

Diplômé en Arts Visuels de l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne), en 1999.

Son travail touche actuellement les représentations du politique, l’activisme en art, la question de l’influence de la pensée anarchiste dans l’éducation.

Citons ses expositions les plus récentes: «60×60», Cité-Carl-Vogt, avec Sylvain Froidevaux et Cyril Bron, 2011. «Tout ce que l’on a pu dire sur vous», Le Bateau Rouge, Usine Kügler, avec Gabriela Löffel, 2011. «Utopie et quotidienneté» avec Nils Norman, Kunstmuseum Thun, 2011.

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