Des perspectives suisses en 10 langues

«Le Petit Robert» n’oublie pas la Romandie

Keystone Archive

Relooké avec élégance en l'honneur de ses 40 ans, le prestigieux dictionnaire a ajouté dans son édition 2007 une centaine de mots suisses aux quelque 200 existants.

Mais ces «helvétismes» comptent quelques erreurs dénoncées par l’expert mandaté par l’éditeur. André Thibault se sent un peu trahi par la politique commerciale.

«Le Petit Robert s’intéresse aux mots suisses depuis sa première édition en 1967, car il décrit le français sous toutes ses facettes et couvre toute la francophonie», explique Marie-France Drivaud, responsable de l’édition 2007.

Une édition qui change légèrement de format et inaugure un nouveau graphisme à la fois plus élégant et plus lisible, et qui a ajouté une centaine de nouvelles entrées aux quelque 200 «helvétismes» déjà recensés.

C’est bien sûr modeste, en comparaison des quelque 1200 mots du «Dictionnaire suisse romand», mais bon, c’est une petite place bonne à prendre parmi les 60’000 mots du Petit Robert cuvée 2007.

L’amour des mots et de l’écrit

Marie-France Drivaud rappelle que, à la fin des années 60 et en plein boom structuraliste, Paul Robert avait créé son dictionnaire pour montrer que «le français n’est pas unique, contrairement à ce qu’on a longtemps voulu croire en France».

Tandis que son grand rival, le «Larousse» est plutôt encyclopédique, le Robert, lui, se consacre exclusivement à la langue. Ainsi, il ne supprime presque jamais de mots (une dizaine dans l’édition 2007 contre 500 ajouts).

«On est obligé de garder les mots qui ont laissé des traces dans la littérature, y compris classique, même s’ils ne sont plus utilisés dans la langue parlée», précise Marie-France Drivaud.

Des mots pour connaître le monde

Selon la linguiste, il y a deux sortes d’«helvétismes». Il y a des sens, des façons de nommer propre à la Suisse, comme poussette, pousse-pousse, téléjournal, champignonneur, charrette (interjection), galetas, gouille, gribiche (vilaine dame), grimpion (arriviste), herbette, imperdable (épingle de nourrice).

Ou alors des réalités typiquement suisses, comme bénichon, désalpe-inalpe, armailli, mazot, morbier, votation, cantonalisation.

Pour réviser et compléter l’édition 2007, l’éditeur a fait appel à un spécialiste extérieur, André Thibault, professeur de linguistique à Strasbourg et à Paris 6, mais aussi auteur du «Dictionnaire suisse romand».

D’origine québécoise, mais ayant vécu douze ans et passé son doctorat en Suisse, il s’intéresse au romand parce qu’il se réjouit «de constater que le français n’est pas monolithique, comme on nous l’apprend à l’école».

Pour André Thibault, «le plaisir est encore plus grand en découvrant des mots communs à nos deux pays, comme déjeuner-dîner-souper, il fait cru, donner un bec, faire boucherie, musique à bouche, rouleau à pâte, mitaine, yogourt, grand-maman – grand-papa…»

Le reflet des institutions

«Et puis le suisse romand reflète le système politique, car c’est la langue d’un pays indépendant de la France, avec tout un vocabulaire propre à ses institutions (votation, syndic, président, etc.)», explique-t-il à swissinfo.

Enfin, il y a aussi des mots que l’on trouve aussi en France voisine ou en Belgique, comme «cru» en parlant du temps froid. «Ces régionalismes sont fédérateurs, ajoute André Thibault, car ils montrent que la géographie du français ne se résume pas à une simple opposition entre la France et le reste du monde.»

Linguistique ou marketing

Petit bémol à cet enthousiasme, André Thibault s’avoue «décontenancé» par le sort réservé à son travail.

«Les définitions que j’ai fait parvenir au Robert étaient très brèves, et en plus elles ont été charcutées!» Le linguiste déplore des changements effectués sans son accord, et le fait d’avoir même découvert des fautes.

Par exemple le «vengeron» est décrit comme un poisson du lac Léman et de «Neufchâtel». Ou alors, la transcription phonétique du mot «rösti» est fausse (avec «s» au lieu de «ch»), comme dans les précédentes éditions, alors qu’André Thibault l’avait corrigée. Ironie du sort, si l’on pense au poids de ce mot-là dans ce pays.

Pour le lexicologue, «le Robert est une entreprise commerciale qui travaille à toute allure et qui ne recherche pas nécessairement l’exactitude à tout prix» même si, dans le grand public, «c’est quelque chose comme la parole de Dieu ou approchant».

Mais André Thibault conclut sur une note positive: «Même si c’est pour gagner (ou maintenir) des parts de marché, on est quand même heureux qu’il y ait de plus en plus de mots de la francophonie dans les dictionnaires français…»

swissinfo, Isabelle Eichenberger

– Paul Robert (1910-1980) lance en 1952 le 1er fascicule d’un nouveau dictionnaire «mieux adapté aux réalités du 20e siècle», bien accueilli par l’Académie Française.

– Dès 1964 à Paris, sa société Nouveau Littré Dictionnaires publie «Le Grand Robert» en 6 volumes, concurrençant ainsi le «Larousse».

– Une gamme de dictionnaires nouvelle tendance suit: Le Petit Robert 1– Petit Robert de la langue française en 1967, Micro Robert en 1971, Le petit Robert 2 – Petit Robert des noms propres en 1974.

– Puis Robert s’associe avec l’Anglais Collins et se lance dans les dictionnaires de traduction.

– Tous les dictionnaires sont régulièrement réédités et mis à jour.

Le Nouveau Petit Robert de la langue française 2007 définit 60’000 mots et 300’000 sens sur 2837 pages.
Depuis sa 1re édition en 1967, il s’intéresse aux régionalismes de la francophonie et aux mots suisses.
Il en compte actuellement environ 300, alors que le «Dictonnaire suisse-romand», publié en 1997 et 2004 par André Thibault aux Editions Zoé (Genève), en recense 1200 environ.

– gonfle: amas de neige / adjectif pour ‘gonflé’
– pendulaire: travailleur pendulaire
– pive: envoyer quelqu’un aux pives
– plot: dormir comme un plot, se miner le plot
– pruneau: eau-de-vie de quetsche
– services: employé pour le ‘couvert’ / service ! pour ‘je vous en prie’
– universitaire: étudiant
– venir au sens de devenir (venir vieux, aussi Canada, Belgique, Algérie)

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