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A Montreux, Massive Attack anéantit un public ravi

Robert Del Nadja (3D), débarqué à Montreux en provenance de la planète basse. Keystone

Les mutants bristoliens à l'Auditorium Stravinsky. L'événement était attendu. Il a tenu toutes ses promesses, tard dans la soirée mardi.

Question sans réponse: comment le festival a-t-il pu se passer si longtemps des assauts sourds du collectif mené par 3D?

Dans le livret de son premier disque «Blue Lines» en 1991, le collectif de Bristol livrait ses inspirations. Parmi elles, le Mahavishnu Orchestra de John McLaughlin et Herbie Hancock. Des fidèles parmi les fidèles à Montreux.

Il aura pourtant fallu attendre la quarantième édition pour vibrer sur la musique de Massive Attack. L’une des plus significatives de ce tournant de millénaire.

3D (Robert Del Naja) et Cie étaient bien passés au Paléo Festival de Nyon en 2003. Et à Rock Oz’Arènes (canton de Vaud) l’année suivante. Mais à Montreux, le désert. Aride.

Rien à voir toutefois avec une quelconque mésentente. Le festival assure défendre l’approche de Massive Attack. Un groupe que l’hebdomadaire français (et prescripteur!) «Les Inrockuptibles» range parmi les artistes clés d’aujourd’hui, par leur influence et leur originalité visionnaire.

Triomphe en trois dimensions

Si Montreux a tant attendu, c’est peut-être parce que Massive Attack était trop gros (trop cher) pour être programmé au Miles Davis Hall. Et pas suffisamment dans les goûts jazz-pop-blues de Claude Nobs pour devenir une urgence à l’Auditorium Stravinsky (salle principale).

Officiellement, ce long délai s’explique aussi et surtout par une simple question de dates qui ne parvenaient pas à correspondre au fil des ans. Jusqu’à la mini-tournée européenne de cet été.

C’est peut dire que les Bristoliens étaient désirés. A l’arrivée, un concert à guichets fermés et un joli succès sur le marché noir. Mieux: un triomphe en trois dimensions.

Massive Attack, c’est une musique surréelle et pourtant inouïe. Une musique totale aussi. Qui prend aux tripes, rudoie le corps et contente la tête.

En une heure trois quarts

Au début, un lent piétinement de basses (électroniques comme électriques) prend de l’épaisseur et de la puissance, encore et encore, pour venir secouer les corps, hypnotisés.

Une heure trois quarts et quinze titres plus tard, le concert s’achève en une apothéose de décibels, toutes machines, guitare et basses (monstrueuses) dehors. Trois minutes de torture gothique qui laisse le public montreusien anéanti, heureux.

Entre deux, une plongée en apnée. Un tapis de lumières occupe l’arrière-scène. Des figures abstraites naissent, aléatoires. Des mots aussi – le nombre de militaires blessés en Irak, de journalistes tués.

Une semi-obscurité, ponctuellement brisée par des éclats de lumière, enveloppe les musiciens. Deux batteurs, un bassiste, un guitariste, un homme aux machines. Au chant, maître d’œuvre, 3D scande ou caresse de sa voix métallique.

L’Italie et ses deux goals

Parfois 3D s’éclipse, ce qui lui permettra d’ailleurs d’assister aux deux goals de l’Italie, lui, le Del Naja de Bristol (et de recevoir un drapeau transalpin de la part d’un spectateur en fin de concert).

D’autres voix prennent le relais. Daddy G ou Terry Callier par exemple. Le géant jamaïcain Horace Handy surtout, qui donne à son organe de gosse un vibrato au scalpel.

Au final, de la soul-rap-techno-jazzy du premier album aux émouvants étirements technoïdes du dernier et ses jeux de masses sonores, le public a droit à un résumé de Massive Attack, juste souligné de basses plus profondes que jamais et d’une guitare électrique plus présente (et pertinente).

«Unfinished sympathy», «Karmacorma», «Tear drop»: les hits sont là aussi. Histoire de rappeler que Massive Attack marque l’époque depuis plus de quinze ans.

Terry Callier en demi-teinte

En première partie, le festival présentait le revenant Terry Callier. Erreur de casting? Toujours est-il que le Chicagoen a dû se contenter d’une salle à moitié pleine, trop grande pour sa voix d’ange.

Ce timbre fait croire que le cliché «voix de velours» a été pensé pour lui. Egrainant une dizaine de thèmes jazzy, latin jazz, soul-folk, l’Afro-Américain a épuisé toute l’étendue de ses pouvoirs – onomatopées, scat, chant cheyenne…

Mais l’humble en t-shirt aurait mérité plus d’intimité. Et sa voix, un écrin plus doux que les six «papys» accompagnateurs – parfaits sur le plan technique mais trop systématiquement expressionnistes, voire vainement démonstratifs. En définitive, un concert un peu «à côté», qui aura mis du temps à emporter l’adhésion d’une partie du public.

swissinfo, Pierre-François Besson à Montreux

Le 40e Montreux Jazz Festival a lieu jusqu’au 15 juillet.
Il se déroule au Centre des congrès (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), mais aussi au Casino Barrière pour les concerts plus spécifiquement jazz et sur les quais pour le festival off, gratuit.
Parallèlement aux concerts proprement dits, des concours instrumentaux et des workshops ont lieu chaque année.
En novembre sortira «Montreux Jazz Festival, 40th», un ouvrage de 1200 pages signé Perry Richardson, qui évoquera l’ensemble de l’épopée montreusienne.

– Massive Attack apparaît au début des années nonante à Bristol avec une musique hypnothique, technologique, organique. Aux commandes: Robert Del Naja (3D), Grant Marshall (Daddy G) et Andy Vowels (Mushroom).

– Sortie en 1991 de “Blue Lines” et du single “Unfinished Sympathy”. Rap, soul, funk, jazz, techno, cette musique labélisée trip-hop survient comme une conflagration sonore.

– Suivent trois albums (“Protection” est le premier en 1994) à chaque fois porteurs de leur propre révolution. Après “Mezzanine” (1998), Mushroom s’en va. 3D produit seul “100th Window” (2003), Daddy G pouponne.

– En attendant “Weather Underground” annoncé pour début 2007, Massive Attack vient de sortir une double compilation intitulée “Collected”. Avec, sur “Live with me”, la voix de Terry Callier.

– Né en 1945 à Chicago, le chanteur et guitariste se forge une honnête carrière dans les années 60 et 70. Avec une fillette à charge, il lâche la musique pour la programmation informatique en 1983.

– Redécouvert par des DJs britanniques, il recommence à tourner dans les années nonante et enregistre six albums depuis 1998. Terry Callier est devenu une légende soul-folk.

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