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Nelly Wenger réinvente l’île Seguin

L’Ile Seguin (Boulogne Billancourt) en 2009: une friche, où travaillèrent jusqu’en 1989 les milliers d’ouvriers des fameuses usines Renault. AFP

Nouveau défi pour l’ancienne directrice générale d’Expo.02: développer un pôle artistique de renommée mondiale sur une île de la région parisienne qui abrita pendant soixante ans les usines Renault.

«Ile Seguin, rives de Seine, ici, un nouveau quartier», indique un large panneau à la sortie de la station de métro Pont de Sèvres. Sur l’île pourtant, joliment située dans une courbe de la Seine, à l’ouest de Paris, le «nouveau quartier» se résume pour l’instant à 11,5 hectares de terrain vague et de jardins naissants, entourant deux chapiteaux de cirque.

Samedi 7 juillet, journée portes ouvertes sur la pointe amont de l’île. Deux Suisses, nouveaux maîtres des lieux, reçoivent les visiteurs sous des trombes d’eau. Patron de Natural Le Coultre, une entreprise helvétique spécialisée dans la logistique des œuvres d’art, Yves Bouvier acquiert en décembre dernier 30’000 m2 de l’île, pour y construire un «pôle des arts plastiques et visuels». Il confie la gestion du projet, baptisé R4, du nom de l’ancienne voiture tous usages de Renault, à Nelly Wenger, l’ex responsable d’Expo.02.

«Il y a dans ce projet quelques similitudes avec Expo.02, constate Nelly Wenger: l’eau bien sûr, mais aussi l’impératif de rendre accessible au grand public un travail artistique de pointe.» Samedi, pour la première fois, le public parisien pouvait découvrir les prémisses, ou plutôt l’esprit de ce que sera, en 2015 ou 2016, R4.

Entre herbe et béton

Un début modeste. Les futurs bâtiments – gigantesques – qui contiendront galeries, espaces d’exposition, lieux de création, ne sont pas encore sortis de terre. Les demandes de permis de construire seront déposés à la fin de l’année. Mais le duo helvétique ne veut pas attendre: R4 démarre sur l’herbe, entre les cailloux et le vieux béton.

Trois artistes y présentent leurs œuvres. L’Américain Oscar Tuazon propose une variation sur le thème de la cabane. Les Suisses Nicolas Party et Reto Pulfer exposent l’un des pierres peintes en fruits exotiques, l’autre une immense voile volant au vent. Visiblement, c’est l’imaginaire insulaire qui a inspiré les trois artistes. Bien plus que le passé industriel de l’île Seguin.

Et pourtant. Pendant soixante ans, de 1929 à 1989, l’île est une usine. C’est ici que Renault fabrique ses voitures, ici que s’installe le siège de la célèbre «Régie», fierté française. Au plus fort de son histoire, 30’000 ouvriers travaillent sur l’île et en face, dans les ateliers de Billancourt. 1100 automobiles y sont produites chaque jour à la fin des années 1960. En 1992, Renault ferme ses usines de l’île Seguin et de Billancourt. Tout le bâti est rasé en 2004-2005.

Un rêve d’architectes

«Les architectes du monde entier ont rêvé de construire sur l’île Seguin, témoigne Nelly Wenger. Pensez donc: une île en friche au centre d’une capitale. Une île de tous les fantasmes, maudite parce que la plupart des projets sont restés lettre morte. Je veux travailler avec tout cet humus qui s’est déposé au fil du temps.»

Dans les années 1990-2000, la réhabilitation de l’île intéresse Renzo Piano, Paul Chemetov, Bernard Tschumi et d’autres grands noms de l’architecture. Le milliardaire François Pinault rêve d’y créer sa fondation d’art contemporain, avant de lui préférer Venise. C’est le Français Jean Nouvel qui sera finalement désigné par la mairie de Boulogne. Nouvel et Wenger se connaissent parfaitement, pour avoir collaboré sur Expo.02.

Le projet de Jean Nouvel pour l’île Seguin est très ambitieux: une partie centrale purement immobilière, avec notamment des tours de bureaux, un pôle musical sur la pointe aval, et le R4 sur la partie orientale. «Le bâtiment conçu par Nouvel pour R4 sera fonctionnel comme une halle de Renault, au service du contenu artistique», se réjouit Nelly Wenger.

«Au sous-sol seront stockées les œuvres, précise Yves Bouvier. Au rez-de-chaussée: les espaces d’exposition, les galeries et salles de ventes. Sur le toit, un jardin suspendu.» Les œuvres monumentales seront acheminées par voie maritime, «pas chère et écologique», se félicite le patron de Natural Le Coultre.

L’entrepreneur compte sur la location des espaces pour financer le site. L’achat et la construction de R4 coûteront au total entre 75 et 100 millions d’euros. Le financement est entièrement privé – le duo helvétique cherche des partenaires pour avancer dans les prochaines étapes du projet.

Les voisins s’opposent

Pour qui a connu l’île-paquebot construite par Louis Renault, le choc est grand de découvrir les lieux vides. Rien ne reste des anciens ateliers, pas même un hangar. «Si! Les sous-sols, de véritables cathédrales enfouies», glisse un habitant de Boulogne. Au milieu du XXe siècle, Renault construit dans les entrailles de cette île en grande partie artificielle une piste d’essai pour ses voitures neuves: recouverte de pavés bien sûr, pour mieux simuler les rues de Paris.

Des associations de riverains ont pesté contre le plan de Nouvel, qui prévoyait au départ cinq (petits) gratte-ciel. «Les opposants les plus farouches sont les bourgeois de la colline voisine de Meudon, qui craignent qu’on leur gâche la vue», tempère l’élu centriste Sylvain Canet. «C’est bien de se battre contre la densité. Mais il faut défendre le projet culturel R4. Sinon, les investisseurs partiront, comme Pinault en 2005.»

Prochain événement de R4: la célèbre Foire internationale d’art contemporain (FIAC), qui présentera plusieurs œuvres sur l’île Seguin.

L’île Seguin constitue l’un des jalons du «Grand Paris» voulu par l’ancien Président Nicolas Sarkozy. Si ce projet est confirmé par la nouvelle majorité socialiste, l’île sera reliée au nouveau métro du Grand Paris avec, dès 2018, la mise en service d’une station implantée au Pont de Sèvres. Ce «Grand Paris express», constitué de trois lignes automatiques, traversera la capitale et sa banlieue.

A terme, l’île sera donc connectée à tous les centres de décision européens et internationaux, ce qui la situera à 39 minutes de l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle et 21 minutes de l’aéroport d’Orly. L’accès à l’île Seguin en voiture sera restreint, mais une offre importante de stationnement permettra de se garer facilement: 1800 places de parking seront disponibles à proximité immédiate.

L’île bénéficie du dynamisme de Boulogne-Billancourt, la deuxième commune la plus peuplée d’Ile de France après Paris, avec ses 113’000 habitants et ses 12’500 entreprises. Au cœur de la Communauté d’agglomération Grand Paris Seine Ouest, le troisième pôle d’affaires de la région, après Paris-Centre et La Défense, offre 2,6 millions de m2 de bureaux et 160’000 emplois. De nombreux sièges sociaux de grandes entreprises nationales et internationales y sont déjà implantés (TF1, Canal Plus, L’Equipe, TBWA, Bouygues Télécom, Microsoft, Gemalto, Renault, IPSEN, Roche…).

(Source: mairie de Boulogne-Billancourt)

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