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Bonnard le méconnu à la Fondation Beyeler

Pierre Bonnard aime notamment les nus et les salles de bain, comme dans cette «Grande Baignoire», peinte vers 1937-1939. Volker Neumann/© 2012, ProLitteris, Zürich

La Fondation Beyeler, un des musées les plus visités de Suisse, rend hommage à Pierre Bonnard (1867-1947), artiste plutôt méconnu, voire sous-estimé. Le peintre français retrouve les cimaises suisses pour la première fois depuis 1999.

«Pierre Bonnard, on croit le connaître, mais beaucoup ignorent son œuvre». C’est ainsi que Sam Keller, directeur de la Fondation Beyeler, résume la place qu’occupe aujourd’hui le peintre né il y a presque 150 ans à Fontenay-aux-Roses, aux portes de Paris.

«Nabi» ayant tourné le dos à ce mouvement post-impressionniste, inclassable, personnel: le caractère unique de Pierre Bonnard a peut-être contribué à son manque d’aura dans l’histoire de l’art. Longtemps, il est passé pour trop sage et trop conventionnel. Les 60 tableaux exposés à Riehen, à côté de Bâle, montrent à quel point il n’en est rien.

La Fondation Beyeler, dont le musée conçu par Renzo Piano a ouvert ses portes en 1997, entend redonner sa juste place à ce maître de la couleur. L’exposition qui vient d’ouvrir – et qui est à voir jusqu’au 13 mai – couvre toutes les périodes créatrices de l’artiste. «Nous souhaitons qu’une nouvelle génération découvre Bonnard», a ajouté Sam Keller qui, depuis son arrivée à la Fondation, aligne les expositions à succès, à tel point que le musée a battu son record de fréquentation en 2011, avec plus de 420’000 visiteurs.

La particularité de la Fondation est de changer les accrochages régulièrement, même pour la collection permanente. Elle peut en outre s’appuyer sur une collection prestigieuse, celle créée par Ernst Beyeler et son épouse Hildy. Les rétrospectives sont ainsi, en alternance avec des présentations d’artistes contemporains qui avaient aussi un lien avec le galeriste, articulées autour d’œuvres de la collection. C’est le cas pour Pierre Bonnard, qu’Ernst Beyeler appréciait beaucoup.

Un nouveau musée Bonnard

Le peintre semble du reste connaître une renaissance au sein des musées, même si la dernière exposition individuelle en Suisse remonte à 1999 (Fondation Gianadda). Une grande rétrospective avait été organisée en 2006 au Musée d’art moderne de Paris. La Villa Flora, à Winterthour, compte aussi de nombreuses œuvres de l’artiste. En juin dernier, un musée Bonnard a été inauguré au Cannet, dans les Alpes-Maritimes, où le peintre est décédé.

«Je ne suis d’aucune école, je cherche uniquement à faire quelque chose de personnel», avait déclaré Pierre Bonnard. Ses compositions se renouvellent sans cesse et osent des angles surprenants. Mais surtout, ce sont ses recherches sur les couleurs et le mécanisme du regard – l’historien de l’art Jean Clerc a dit de Bonnard qu’il était «un aventurier du nerf optique» – qui attirent, aujourd’hui, l’attention.

La Fondation Beyeler a décidé d’organiser l’exposition comme on visiterait la «maison imaginaire» de l’artiste. Le spectateur est donc d’abord amené à regarder la rue, un des thèmes privilégiés de Bonnard au début de sa carrière, alors qu’il participe à la création du groupe des Nabis. Leur «japonisme», qui marque la fin du 19e siècle, vaudra même à Bonnard le surnom de «nabi japonard». Un paravent («La promenade des nourrices») illustre ce goût pour l’art et les objets de l’archipel nippon. 

Mélancolie

On passe ensuite dans la deuxième pièce, où sont réunies des œuvres de «La salle à manger». La mélancolie du «Petit Déjeuner de Misia Natanson» provient autant du regard perdu de la jeune femme, exprimé par un style flou et doux, que de la nature morte occupant le bas de la composition. Les scènes d’intérieur permettent à Bonnard d’expérimenter de nouvelles perspectives. Selon Ulf Küster, commissaire d’exposition, Bonnard représente aussi, ainsi, une société en train de disparaître.  

La froideur et l’apparente immobilité de la salle à manger contrastent avec les scènes de salle de bain et les nus, un autre des thèmes privilégiés de Bonnard, qui prend pour sujet sa muse et épouse, Marthe. Un des plus beaux tableaux de l’exposition, «L’homme et la Femme» (1900) montre Marthe assise sur un lit, tandis que le peintre se représente debout, de l’autre côté du miroir posé sur le sol. Pas d’érotisme mais une douceur, encore une fois teintée de mélancolie.

Les jardins, autre objet d’exploration picturale, occupent plusieurs pièces de l’exposition, intitulées «Le jardin sauvage», «le jardin ensoleillé» et «jardins et paysages». Pierre Bonnard leur a consacré d’innombrables tableaux, d’abord en Normandie, dans la maison «Ma roulotte» à Vernonnet, puis sur la Côte d’Azur, dans la Villa «Le Bosquet», au Cannet. Il y trouva de nombreuses idées pour ses expériences sur les couleurs. Des photographies attestent du jardin comme lieu de vie familiale, et des préparatifs pour les tableaux, lorsque Marthe marche nue entre les bosquets.

Autoportraits

A l’extérieur, les visages des personnages sont souvent flous, quasi méconnaissables. C’est aussi le cas de Bonnard lui-même dans un auto-portrait peu complaisant, «Le boxeur» (1931), où on croit voir une expression de douleur derrière le flou de son visage. Comme s’il hésitait à se montrer véritablement, il est aussi indistinct, plus âgé, dans le «Portrait de l’artiste dans la glace du cabinet de toilette». En revanche, plus jeune, il se peint, à la Gauguin, avec une barbe, et regarde directement le spectateur.

Pour Bonnard, la couleur était un moyen d’influencer l’âme. Ou, comme il l’a dit lui-même, «Il ne s’agit pas de peindre la vie, il s’agit de rendre vivante la peinture».

1867 Naissance de Pierre Eugène Frédéric Bonnard le 3 octobre à Fontenay-aux-Roses.

1885–1888 Bonnard s’inscrit à la faculté de droit de Paris. Parallèlement à ses études, il suit les cours de l’Académie Julian et en 1887, il est reçu à l’École des Beaux-Arts.

À partir de 1888 Sous l’influence des idées et du style de Paul Gauguin, Bonnard, Maurice Denis, Paul Sérusier, Henri-Gabriel Ibels et Paul Ranson se réunissent pour constituer le groupe post-impressionniste d’avant-garde des «Nabis» (les prophètes, en hébreu), dissous vers 1900.

1890 L’exposition «La Gravure japonaise» fait forte impression sur Bonnard et aura de multiples répercussions sur ses œuvres, ce qui lui vaut d’être surnommé «Pierre Bonnard, très japonard».

1891 Bonnard expose pour la première fois au Salon des Indépendants. Son affiche France-Champagne est très remarquée sur les murs de Paris.

1893 À Montmartre, Bonnard fait la connaissance de Maria Boursin (1869–1942), alors âgée de 24 ans, qui se fait appeler Marthe de Méligny. Elle devient son modèle favori et sa compagne.

1912 Bonnard achète une villa à Vernonnet, au nord-ouest de Paris. Il rend fréquemment visite à Claude Monet, dans sa maison de Giverny, située tout près.

1916 En novembre, Bonnard répond à l’invitation de ses amis Hedy et Arthur Hahnloser et se rend à Winterthur, où il montre quinze tableaux dans une exposition consacrée à l’art français.

1925 Après trente ans de vie commune, Pierre Bonnard et Marthe Boursin se marient le 13 août.

1940 Il se retire au Cannet, où il passe les années suivantes, sans revenir une seule fois à Paris de toute la guerre.

1942 Le 26 janvier, Marthe Bonnard meurt de tuberculose chronique pulmonaire.

1944–1946 Les dernières années de la vie de Bonnard sont marquées par un foisonnement d’expositions, de publications et par une intense activité artistique.

1947 Le 23 janvier, Pierre Bonnard meurt au Cannet, d’une laryngite tuberculeuse.

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