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Ana Häsler, l’écho suisse dans une voix hispanique

Enfant d'Interlaken, Ana Häsler a été terrorisée par la rigueur helvétique. diputaciondevalladolid.es

Fille du peintre alémanique Rudolf Häsler, la mezzo soprano suisso-cubaine parcourt le monde au rythme des concerts et des festivals. Rencontre avec cette artiste au répertoire très large à Majorque, son lieu de résidence.

Un lieu, une voix, un héritage. Le lieu d’abord: la Chartreuse de Valldemossa. Autrefois habitée par des moines, cette abbaye datant du XIVe siècle se tient fièrement au creux de la Sierra de Tramuntana, à l’ouest de l’île de Majorque.

Magique par sa beauté, la Chartreuse l’est aussi par l’idylle qu’y vécurent Frédéric Chopin et l’écrivain française George Sand. Les deux amants occupèrent, entre décembre 1838 et février 1839, l’une des cellules de moines, transformée alors en appartement paradisiaque avec un patio surplombant vergers et oliveraies en terrasses.

Un souffle de romantisme flotte encore sur ces lieux où musiciens et chanteurs tirent aujourd’hui à leur avantage tout le parti possible. Concerts et festivals de musique sont programmés chaque saison au cœur de cette Chartreuse, qui laisse résonner des voix célèbres.

Héritage fécond

La voix ce soir-là était celle d’Ana Häsler. La mezzo soprano suisso-cubaine interprétait le 23 juin dernier Winterreise (Le voyage d’hiver) de Franz Schubert, accompagnée au piano de l’Espagnol Angel Cabrera. Son concert, donné précisément dans la cellule de Frédéric Chopin, fut en quelque sorte un prélude au Séminaire pratique de chant (Master Class) qu’elle a dispensé dans cette même cellule, du 2 au 7 juillet.

A sa voix voluptueuse, correspond sa silhouette, elle aussi voluptueuse. Plus tard, après le concert, on lui demandera: pourquoi donc les grandes divas ont-elles toutes des poitrines généreuses?

Elle sourit: «Pas toutes… Moi, je tiens de mon père ma corpulence, et de ma mère, très fine, une certaine suavité qui, je crois, transparaît dans ma voix. Je suis un mélange de deux mondes. Ma vie, mon éducation, mon art se placent à l’intersection de deux cultures, l’une germanique, l’autre latine».

Un héritage fécond pleinement exploité par cette artiste au répertoire très large, qui manie aussi bien la chanson espagnole de concert que le lied allemand ou l’opéra français. «Le timbre est une palette de couleurs», confie-t-elle, évoquant son père, Rudolf Häsler, peintre de son état, mort en 1999.

Un enfant d’Interlaken

C’était un enfant d’Interlaken, mais il demeurait peu de temps en Suisse. Ce peintre à la fibre nomade, qui jouait du violon et de la viole, voyageait beaucoup. Ses pérégrinations le menèrent jusqu’à Cuba où il se posa entre 1957 et 1969. «C’est  là que mes parents se marièrent, et c’est là que je suis née», raconte Ana Häsler.

Rudolf Häsler a connu sa femme à Grenade, chez un ami peintre. «Ma mère est d’origine andalouse», dit la mezzo soprano qui estime que le rôle le plus marquant de sa carrière fut Carmen. La Carmen de Bizet, celle qu’incarnèrent les plus grands noms de l’opéra, Teresa  Berganza, entre autres.

«Teresa fut justement mon professeur. Je l’admire, elle reste toujours un modèle pour moi», précise Ana Häsler, qui remonte le cours du temps dans un espagnol chantant. Emergent alors les souvenirs d’enfance, les leçons de chant, les conversations dans l’atelier de peinture du père, et les vacances  dans le canton de Berne chez les grands-parents paternels.

«La rigueur suisse me tétanisait»

Un moment de bonheur et de crainte. «Mes frères et moi étions habitués à la flexibilité latine. La rigueur suisse nous tétanisait, souffle la chanteuse dans un rire. Je me souviens d’une promenade un jour d’été. J’avais huit ans et un bonbon à la main. Je l’ai mangé et laissé tomber le papier par terre. Alors un vieux monsieur qui nous suivait a écrasé le papier du bout de son bâton qu’il a ensuite pointé en direction de la poubelle à côté. Je crois que je n’oublierai jamais cet incident».

En Suisse, Ana n’a jamais chanté. Un regret. Elle dit: «Il y a quelque temps, j’ai failli travailler avec l’orchestre de Berne, mais le projet n’a pas abouti. Ça viendra, je l’espère, un jour».

En attendant, elle prépare la sortie d’un disque. Au programme: Moussorgsky et Rachmaninov. «Il y a une année, dit-elle, j’ai commencé le répertoire russe.  Voyez-vous, je suis vraiment internationale».

Majorque où elle réside, n’est après tout qu’un point de chute dans le parcours de cette chanteuse sollicitée par de nombreuses scènes du monde. Elle avoue pouvoir garder la tête froide devant son succès. On lui dit néanmoins qu’on lui trouve un ego de diva. Elle réplique: «Forcément, sinon je ne pourrais pas avancer dans ma vie professionnelle».

Mezzo soprano suisso-cubaine, née à la Havane.

Son père est le peintre suisse Rudolf Häsler.

Sa mère est d’origine andalouse.

Elle est scolarisée à l’Ecole suisse de Barcelone.

Elle reçoit une formation artistique et vocale dans de prestigieuses institutions, comme l’Ecole supérieure de musique Reina Sofia (Madrid) et l’Université musicale de Vienne (Autriche).

Elle bénéficie de nombreuses bourses, dont celle accordée par le canton de Berne.

Son répertoire symphonique très étendu lui permet de se produire avec des orchestres de renommée internationale, en Allemagne, en France, au Mexique, au Canada, en Russie…

Lied allemand, français et russe, chanson espagnole et latino-américaine constituent la facette la plus intense de son répertoire.

Elle enseigne également le chant.

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