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A Locarno, des films financés par le public

Trois campagnes de crowdfunding ont été nécessaires pour terminer le film Pow Wow. pardo.ch

Que verseriez-vous pour un repas cuisiné par un réalisateur ou pour avoir votre nom comme coproducteur à la fin d’un film? Si vous rechignez à mettre 2000 francs suisses sur la table, le crowdfunding haut de gamme n’est sans doute pas pour vous. Mais au Festival de Locarno, des films se sont financés de cette manière.

Le producteur Adam Sekuler est à Locarno pour promouvoir «Pow Wow», un portrait prenant de la vallée californienne et désertique de Coachella et de ses habitants. Près des trois-quarts du budget du film provient d’un financement participatif (crowdfunding), y compris le salaire de Sekuler lui-même.

C’est son cinquième projet principalement financé par des amis et la famille. Lui-même est un contributeur régulier à d’autres projets. Son enthousiasme est contagieux.

«Les gens vous soutiennent pour réaliser votre passion. Il y a quelques endroits dans ce monde où cela se produit.» Aux États-Unis, le financement participatif est devenu si commun qu’il n’est pas embarrassant de faire appel régulièrement à ses amis. «Je soutiens leurs projets, ils soutiennent les miens.»

Il a fallu plusieurs injections de liquidités pour tourner «Pow Wow», un film réalisé en cinq ans avec de multiples prises dans le désert et un récit qui montre des gens les plus excentriques qu’aient rencontrés les auteurs.

Le choix de Robinson Devor, un réalisateur connu, a permis de rassurer les investisseurs. Et contrairement au financement classique, l’argent des amis et la famille n’est pas dilapidé dans des frais dispendieux ou des taux d’intérêt, mais donne plus de liberté aux auteurs.

«Si quelqu’un met 5 millions de dollars pour un film, il risque d’être très interventionniste dans sa réalisation. Pow Wow a été financé par plusieurs centaines de personnes qui la plupart ont versé 25 dollars. Ce qui leur a donné droit à un câlin», plaisante Adam Sekuler.

Une formule naissante en Suisse

Si le crowdfinding est une pratique courante aux États-Unis, il ne fait que débuter en Suisse. Le gouvernement vient de publier une étude sur le sujet: «Le crowdfunding stimule le financement privé de la culture… et renforce la diversité des œuvres culturelles.»

Sur les 27,3 millions levés en 2015 en Suisse par financement participatif, 6 millions sont allés dans des projets culturels, dont 607’000 francs pour 58 projets de films et de vidéos. Les auteurs de l’étude considèrent ce type de financement comme «pertinent» pour la culture et notent qu’il est particulièrement adapté à des projets de niche et pour des artistes en début de carrière.

Si l’on s’en tient aux circuits traditionnels en Suisse, un quart des demandes de cinéastes obtiennent des fonds cantonaux ou de la télévision nationale. Quant au nombre de sociétés de production, il a doublé ces dix dernières années (plus de 700).

Le crowdfunding a-t-il sa place? Nous avons posé la question à Laurent Steiert, responsable du cinéma à l’Office fédéral de la culture qui relève que les financements alternatifs comme le crowdfunding touchent généralement les courts métrages et les films d’animations suisses. Bien qu’il ne soit pas beaucoup utilisé parce qu’il représente habituellement une petite quantité du budget total, Laurent Steiert estime qu’il a sa place pour l’avenir.

«Nous prenons au sérieux le crowdfunding. C’est également un indicateur de la façon dont les jeunes cinéastes abordent le financement du cinéma. S’ils ont du mal à obtenir de l’argent pour un court métrage en raison des lourdeurs administratives, ils peuvent ainsi trouver d’autres voies de financement.»

Laurent Steiert estime aussi que le crowdfunding permet de rapidement rassembler des gens intéressés par un projet de film: «C’est plus une stratégie de promotion.»

Un autre film montré en primeur à Locarno a eu recours au crowdfunding: «Monk of the sea», du polonais Rafal Skalsky. Ce documentaire raconte l’histoire d’un jeune fêtard thaï qui décide de vivre quelques temps comme moine bouddhiste.

Environ 10% du budget total vient d’un financement participatif. De quoi couvrir la post-production. Rafal Skalski a préparé chez lui une soupe thaïlandaise pour environ 15 personnes qui ont versé les plus importantes sommes d’argent.

Un outil de marketing

Le producteur du film Pawel Kosun et la responsable du marketing Anna Frankowska sont d’ardents partisans du financement participatif. Selon leurs dires, non seulement les gens aident à financer le film, mais ils sont les premiers spectateurs du film, un regard très précieux.

«Vous construisez ainsi une communauté et avant même la distribution, elle porte l’œuvre et veut qu’elle rencontre le succès, relève Pawel Kosun. Comme producteur, même si j’avais assez d’argent pour un projet, je lancerais une campagne de crowdfunding à la fin de la production juste pour que les gens apprennent l’existence du film. C’est l’un des meilleurs moyens que je connaisse en ce moment pour toucher les gens intéressés par ce genre de sujet. Cette formule permet aussi aux cinéastes de penser au public de leur film.» Dans son cas, ça a été la communauté bouddhiste et ceux qui pratiquent le yoga.

Autre exemple avec «Donald Cried», un film réalisé par Kris Avedisian en compétition dans la catégorie cinéastes d’aujourd’hui. Les 20’000 dollars nécessaires à sa post-production ont été récoltés par une campagne de crowdfunding. Pour ceux qui ont versé 2500 dollars, le réalisateur a promis une visite de Rhode Island (New York) où le film a été tourné.

Contenu externe

«Nous ne l’avions jamais fait auparavant, nous nous sommes sentis un peu gênés de recourir au crowdfunding. Pourquoi de l’argent durement gagné est-il donné pour un tel projet? Dans le même temps, dans le monde du cinéma indépendant, il n’y a pas beaucoup d’argent. Le financement participatif est donc un peu nécessaire.» commente Jesse Wakeman, l’acteur principal du film.

Le crowdfunding en Suisse

Chaque année, l’Université des Sciences Appliquées de Lucerne publie le rapport «Crowdfunding Monitoring.» Cette année, à la demande de l’Office fédéral de la Culture, l’université y a adjoint une étude sur le «Crowdfunding dans le domaine culturelLien externe».

Il y est notamment précisé: «En 2014, 4 à 4,5 millions de francs suisses ont été alloués en Suisse à des projets de l’industrie culturelle et créative. Une grande partie de cette somme (3,4 millions) a été allouée aux trois catégories suivantes: «Musique, concerts, festivals», «Film, vidéo» et «Art, photo, peinture». Ce chiffre, en valeur absolue, semble certes être encore bas. Toutefois, par rapport au nombre de campagnes réussies, les effets du crowdfunding sont absolument considérables. Ainsi, en 2014, 216 projets au total ont été financés avec succès dans le domaine «Musique, concerts, festivals». Par ailleurs, ces chiffrent nous rappellent que le crowdfunding dans le domaine culturel joue uniquement un rôle de complément, s’ajoutant aux canaux de financement usuels des organismes de soutien à la culture, privés ou publics.»


Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand

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