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Du manga sur la Piazza Grande, et Bergman

«Vexille» a reçu un accueil poli de la part du public, mercredi à Locarno.

Un manga à la morale humaniste appuyée ouvrait sur la Piazza Grande mercredi la 60e édition du Festival de Locarno, plus important rendez-vous du film en Suisse.

Tard dans la nuit, le public a pu revoir «Sarabande», dernier opus du géant décédé Ingmar Bergman, auquel le festival rendait hommage.

Bergman est mort en début de semaine et Locarno ne pouvait passer l’événement sous silence. Festival en léger décalage par rapport au marché de gros, vrai découvreur de talents, il proposait le dernier film du maître suédois, tourné en 2003 pour la télévision. Il rendra également hommage à Michelangelo Antonioni bientôt, lui aussi décédé dans la semaine.

Dans son ultime opus, Bergman met en scène une femme, son ex-mari et la famille de ce dernier, trente ans après la dernière rencontre du couple. Un drame tout de nuances, avec Liv Ullmann.

Avant ce moment de recueillement, autre ambiance, pour ouvrir la 60e édition du festival. Locarno et son large public sous les étoiles s’offrait un bol de modernité numérique. Au menu en première mondiale: «Vexille», un manga original en images de synthèse 3 D dont l’indéniable folie visuelle a trouvé outil à sa mesure à Locarno.

Grâce aux communes des environs et à la Confédération, le festival s’est fait cadeau d’une nouvelle cabine de projection – inaugurée la veille par la population et la projection des «Ailes du désir» de Wenders.

Cette «Black box» permet de diffuser des images numériques en haute définition à travers la piazza, sur un écran situé à 80 m… Idéal pour un film d’animation parmi les plus attendus de l’année au Japon (sortie à mi-août), avant distribution dans 75 pays au moins.

Sauf que «Vexille» ne convainc pas totalement, avec ses personnages stéréotypés et naïfs, son scénario un peu trop classique, son pathétisme mimé et grandiose sombrant parfois dans le ridicule. D’où sans doute les menus applaudissements recueillis mercredi sur la piazza.

Le peu d’humanité qui reste

Film SF d’action, «Vexille» projette le spectateur en 2077. Le Japon s’est coupé du monde depuis dix ans grâce à une muraille électromagnétique.

Conduit par le groupe industriel Daiwa, l’archipel a transformé sa population en androïdes à moitié déficients à l’aide d’un vaccin qui transforme les cellules en bio-métal.

Dans l’autre camp, les Etats-Unis sont la prochaine cible. Une troupe de choc (SWORD) est invitée à infiltrer la forteresse Japon, qui s’avère coupée en deux.

D’un côté, l’île Daiwa, conduite par le savant fou responsable de la fin des fragiles humains. De l’autre, feu Tokyo, un ghetto d’androïdes qui se battent au quotidien pour conserver la parcelle d’humanité qui leur reste. Comme manger une pomme, fumer une cigarette ou dialoguer.

«Même parcellaires, nous sommes des humains tant que nous reste notre fierté», lance un personnage. Entre les deux zones, un désert où vaquent les Jags, ces monstreux vers tourbillonnant affamés du métal qui les compose…

Vexille, l’héroïne, seule rescapée en état de marche de l’opération américaine participe à la réaction des androïdes japonais, qui organisent le grand jour … et l’écroulement de Daiwa.

La force est dans l’image

Avec son lot de trahison, sa touche sentimentale et sa vision d’un monde technologique déshumanisé, le film de Fumihiko Sori emprunte des routes balisées. Sa morale aussi – tant que l’espoir sera transmis aux générations futures, nous pourrons atteindre la vie éternelle.

La grande force du film réside surtout dans l’image, picturale, virtuose, débordante de trouvailles. Cadrages malins, rendus des sensations (le stress oppressant dans le masque d’un combattant), puissance des scènes d’action: tout concourt, en définitive, au plaisir.

«Vexille, c’est seulement du divertissement», insiste son réalisateur. Et quand on lui dit que son film est aussi politique – la question de l’isolationnisme notamment -, il acquiesce mais répète que son propos est le divertissement.

Fumihiko Sori précise toutefois: «Nous avons l’e-mail, le téléphone mobile et autres technologies pour échanger de l’information, mais nous ne savons plus communiquer intimement, directement. C’est un problème terrible pour les Japonais. Et pas seulement les Japonais. C’est de cela aussi dont parle mon film.»

Le réalisateur a travaillé deux ans et demi sur «Vexille». Il a utilisé des acteurs dont la gestuelle a été intégrée dans les ordinateurs pour donner de la vraisemblance aux personnages. Le réalisme par contre, il le rejette.

Un besoin au Japon et ailleurs

«Avec les techniques d’images générées par ordinateur, on peut aussi obtenir un rendu similaire à la photographie. Mais c’est trop proche de l’humain, ça me fait peur, explique le Japonais. En plus de ça, si je voulais vraiment du réalisme, j’utiliserais des acteurs.»

Cette esthétique manga correspond à «un besoin du public japonais», assure-t-il. Un besoin qui a depuis longtemps franchi les frontières de l’archipel. Ce que conçoit Fumihiko Sori puisqu’il admet avoir aussi pensé son film pour le reste du monde.

«Les films d’animation japonais sont faciles à exporter et c’est très bien, reconnait-il. J’aimerais que ce soit le cas aussi du reste de la cinématographie japonaise, qui peine face aux gros films de Hollywood»

swissinfo, Pierre-François Besson à Locarno

Né dans la région d’Osaka en 1964, le Japonais réalise les effets spéciaux de nombreux films télévisés avant de travailler sur «Titanic», de James Cameron. Il fait partie de l’équipe récompensée par un oscar pour les meilleurs effets spéciaux en 1997.

Il continue dans sa spécialité au Japon avant d’entamer sa carrière de réalisateur avec Ping Pong (2002), adaptation d’un manga nominée huit fois aux Japanese Academy Awards.

En 2004, il produit le premier film d’animation dont les images sont entièrement générées par ordinateurs. Ce film, «Appleseed», est présenté à Locarno.

Fumihiko Sori travaille actuellement à son troisième long métrage intitulé «Ichi».

La 60e édition du Festival international du film de Locarno se tient du 1er au 11 août 2007.

80 films sont au menu des principales sections de la manifestation pour un total de 160 longs
et courts métrages diffusés durant les 10 jours de la manifestation.

Près de 80 premières diffusions internationales, dont 20 premières œuvres figurent aussi à
l’affiche de cette édition.

19 films se disputent le Léopard d’or en compétition internationale, dont celui du Tessinois,
Fulvio Bernasconi.

En tout, une trentaine de pays sont représentés cette année à Locarno.

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