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Effroi assuré dans «L’Amour en quatre tableaux»

L'infidélité pour échapper à l'ennui... Steeve Iuncker

Filée sur le mode du polar, la très fine pièce de l'auteur alémanique Lukas Bärfuss offre une réflexion glaçante sur l'amour aujourd'hui.

C’est le metteur en scène français Gérard Desarthe qui la crée au Théâtre Le Poche, à Genève.

Liberté et amour ne font pas bon ménage. C’est Lukas Bärfuss qui le dit avec le cynisme qui sied à ce genre de constat glaçant. Mais on ne va pas lui en vouloir à Bärfuss qui, au fond, voit juste.

Avec une acuité sidérante, il «peint» en quatre tableaux, une société, la nôtre, soutenue par les quatre piliers du cynisme: le mensonge, la lâcheté, l’individualisme et le nihilisme. Rien que ça, envoyé allègrement à la figure du public, qui d’ailleurs rit.

Mais de quoi rit-il ce public? De gêne, sans doute. Il rit de se voir si fidèlement et piteusement représenté dans cet «Amour en quatre tableaux», une pièce très intelligente de Bärfuss mise en scène au Poche de Genève par le très subtil Gérard Desarthe.

Varier les plaisirs

Quatre tableaux, donc, occupés par la figure de deux couples hétérosexuels qui, pour échapper à l’ennui, s’inventent des infidélités conjugales, les vivent dans la douleur, puis poussent la douleur toujours un peu plus vers la mort.

C’est du polar de haute tenue, car il y a au bout du fil cette question essentielle: à qui la faute, la faute d’un crime? Une interrogation qui frise ici la réflexion métaphysique et empêche la pièce d’être limitée à la simple étiquette de drame bourgeois.

Comparée à d’autres pièces d’auteurs contemporains minés par le souci de «faire moderne» à tout prix, «L’Amour en quatre tableaux» est un chef-d’œuvre. Rien n’échappe à Lukas Bärfuss, né à Thoune il y a 35 ans, et qui malgré sa jeunesse, semble avoir fait son deuil de la bonté humaine que notre époque cynique ravale au rang de chimère.

L’horreur de la ‘modernité’

S’ils veulent vivre, ses personnages sont obligés de faire taire leur cœur, voire même leurs sens. La vacuité. Se vider de tout. C’est à ce prix seulement que l’on est un individu moderne. Quelle horreur!

Cette horreur que Bärfuss dévisage, on l’avait découverte dans «Les névroses sexuelles de nos parents», autre pièce de l’auteur alémanique créée en 2005 au Théâtre de Vidy-Lausanne. On la retrouve dans «L’Amour en quatre tableaux» et dans «Les Hommes morts».

«Les Hommes morts», c’est le dernier roman dudit Bärfuss. Il lui a valu cet été un article très élogieux dans le journal «Le Monde». Lequel comparait, à juste titre, le narrateur du roman à «L’Etranger» de Camus.

On ne peut que souscrire. Et si notre Bärfuss était l’inventeur d’un nouvel existentialisme?!

swissinfo, Ghania Adamo

«L’Amour en quatre tableaux», à voir à Genève, Théâtre Le Poche, jusqu’au 8 octobre.
Un texte de Lukas Bärfuss, traduit de l’allemand par Sandrine Fabbri.
Mise en scène : Gérard Desarthe
Avec Felipe Castro, Christian Gregori, Ariane Moret, Raoul Teuscher, Pascale Vachoux.

Né à Thoune en 1971, Lukas Bärfuss exerce toutes sortes de métiers (maçon, jardinier, libraire) avant de se lancer dans l’écriture.

Il écrit sa première pièce, Sophokles’Oedipus, pour le metteur en scène Samuel Schwarz, avec lequel il fonde la compagnie 400asa. Depuis, ses pièces, une dizaine en tout, ont toutes été montées.

Dramaturge, Lukas Bärfuss publie son premier roman, Die toten Männer, chez Suhrkampf en 2002 et dans la traduction française de Bruno Bayen, Les Hommes morts, aux éditions Mercure de France, en 2006.

Il est l’un des « auteurs maison » du Schauspielhaus de Zurich.

La première rencontre du célèbre acteur et metteur en scène français Gérard Desarthe avec l’écriture du jeune auteur suisse Lukas Bärfuss date de 2005, quand il joue dans «Les Névroses sexuelles de nos parents» en tournée franco-suisse.

Parallèlement à sa carrière artistique, Gérard Desarthe est professeur au Conservatoire Supérieur National d’Art Dramatique de Paris.

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