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Fernand Léger, «meneur américain», chez Beyeler

«Les grands plongeurs noirs», 1944. Fernand léger vivait alors en exil à New-York. Fernand Léger/ProLitteris 2008, Zurich

La Fondation Beyeler est la première à placer l'«American Connection» de Fernand Léger au centre d'une exposition. Où l'on voit comment un communiste de circonstance fascine et est fasciné par le plus anti-communiste des Etats d'après-guerre...

Montrer les filiations et les influences entre artistes est une des forces de la Fondation Beyeler de Riehen. Il y a eu «Cézanne et la modernité» en 1999, ou encore «Francis Bacon et la tradition de l’art» en 2004.

Cette année, c’est Fernand Léger (1881-1955) qui fait l’objet de regards parallèles. Si ses liens avec les Etats-Unis étaient déjà connus, c’est la première fois que cette «American Connection» est au centre d’une recherche, se félicite Philippe Büttner, commissaire d’exposition.

Avant d’entrer dans ce dialogue pictural entre œuvres, l’exposition, chronologique, s’ouvre sur la jeunesse cubiste de Fernand Léger. «La femme en bleu», de 1912, marque la touche Léger: contrairement aux autres cubistes, Léger ne réfrène pas sa palette de couleurs. Le bleu est vif et somptueux.

La grande ville, ses mécaniques, sa géométrie intéresseront le peintre toute sa vie. Comme nombre de ceux qui ont survécu à la guerre de 14-18, il croit au progrès et affiche un optimisme joyeux.

Corps-machines, corps sportifs

Contrastant avec les formes géométriques colorées, les figures humaines, presque toujours en groupe, sont statiques et peintes en grisailles, donnant l’illusion de blocs. Les membres des figures semblent être détachables, comme les pièces de machines.

Mais le mouvement le fascine. Danseurs, plongeurs et, plus tard, cyclistes, reviennent souvent au fil des années.

L’exposition présente ainsi l’impressionnante fresque murale «Les plongeurs» (1943). Aujourd’hui propriété du Museum Ludwig de Cologne, la fresque a été peinte pour la maison de l’architecte Wallace K. Harrison à Long Island. Conçue pour être colorée, elle est finalement restée en noir et blanc, ce qui lui permet de révéler la fluidité des formes en adéquation parfaite avec le sujet.

Relations tumultueuses

Ses relations avec l’Amérique et les Américains ne seront pas toujours harmonieuses. Il a du succès dès ses premières expositions, mais attire aussi les critiques. Lors de son deuxième voyage, en 1935-36, il ne convaincra pas la compagnie maritime French Line de le laisser réaliser une peinture murale. Il ne voit pas non plus émerger l’expressionnisme abstrait qui se développe.

Une fois rentré en France, en 1945 – un retour qu’il a accéléré en adhérant au Parti communiste -, sa cote commerciale diminuera très vite aux Etats-Unis. Mais Léger garde un souvenir plutôt lumineux de son séjour, malgré les difficultés inhérentes à la guerre.

«On jette plutôt que de réparer»

Pour commenter sa toile «Adieu New York», il écrira: [aux Etats-Unis], «on jette tout plutôt que de réparer. Alors, voyez ici, il y a des morceaux de ferraille, des bras de machine et même des cravates. Ce que j’aimais là-bas, c’était faire des toiles éclatantes avec tout cela.»

Pourtant, ce sont les œuvres qu’il réalise ensuite, en France, qui influenceront le plus les artistes américains. Fernand Léger devient un modèle pour les pionniers du Pop Art, Roy Lichtenstein, Robert Rauschenberg et Ellsworth Kelly.

Avec Roy Lichtenstein, les parallèles – couleurs, style proche de l’affiche, composition –sont patents. Ce dernier rend hommage à Léger dans de nombreuses œuvres présentées à Riehen: «Stepping Out» (1978), avec une silhouette masculine à chapeau. Il y a aussi le très explicite «Trompe-l’œil avec tête de Léger et pinceau».

Réalisant des commandes pour des bâtiments américains en Europe, Fernand Léger devient même «le meneur américain en Europe», selon Christian Derouet, qui signe un essai dans le catalogue de l’exposition. Au point de fâcher les communistes.

Moscou et Manhattan…

«Les constructeurs» (1950) l’illustrent à merveille: inspiré à la fois des bâtisseurs de gratte-ciel américains et d’une photo d’un immeuble de la place Smolensk de Moscou, Léger peint deux hommes.

L’un a l’air de travailler, mais le deuxième porte un cadre, comme s’il s’agissait d’un peintre. Les communistes seront outrés, car ce travailleur osait ne pas travailler…

swissinfo, Ariane Gigon, Riehen

«Fernand Léger. Paris – New York» présente quelque 100 œuvres, dont près de 80 tableaux, une sélection de travaux sur papier et un film.
L’influence de Fernand Léger sur des artistes américains tels que Roy Lichtenstein, Ellsworth Kelly, Kenneth Nolan, Robert Rauschenberg, Andy Warhol ou Jasper Johns est mise en lumière grâce à une vingtaine de tableaux.
C’est la plus grande rétrospective consacrée à Fernand Léger depuis celle de 1997/1998 à Paris, Madrid et New York.
L’exposition est à voir jusqu’au 7 septembre 2008.

Fernand Léger est né en 1881 à Argentan, en Normandie.

En 1908, il détruit une grande partie de ce qu’il a peint jusque-là, dans le style impressionniste. A La Ruche à Paris, colonie d’artistes, il développe un style propre, influencé par le cubisme.

1912: Exposition à la Galerie Kahnweiler. Mobilisé, Fernand Léger rejoint le front des Ardennes en 1914. En 1918, il commence ses images «mécaniques».

1924: Il tourne le film expérimental «Ballet mécanique» avec Man Ray et Dudley Murphy. Ayant découvert Charlie Chaplin lors de la guerre, il fait faire des pirouettes à un Charlot en bois dans son film. Il le montrera aux passagers du paquebot qui l’emmènera en exil aux Etats-Unis quelques années plus tard.

1925: première exposition à New York, sans lui, et première fresque murale pour un bâtiment de Le Corbusier. Il se rend pour la première fois aux Etats-Unis en 1931, puis en 1935. Il vivra en exil à New York de 1940 à 1945.

1942: Léger commence à expérimenter des champs de couleurs libérés de motifs figurés. De son exil américain, il dira qu’il lui a permis de se «renouveler complètement».

En 1945, il rentre en France avec 57 tableaux et 125 œuvres sur papier. Il a adhéré au Parti communiste pour hâter son retour. Ne crachant pas sur les soutiens de l’Humanité ou des Lettres françaises, «il arrive même à Léger d’exprimer un anti-américanisme de saison avec l’affaire des époux Rosenberg», explique le catalogue.

Il meurt en 1955 à Gif-sur-Yvette, en Île-de-France.

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