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Flamenco à Montreux: plutôt deux fois qu’une!

Diego El Cigala d'humeur cubaine à Montreux. Montreux Jazz Festival

Farruquito à la danse d'abord, El Cigala au chant ensuite, le public du Montreux Jazz festival a vibré vendredi sur les élans de deux gitans fervents.

Le programme de cette quarantième édition illustre le foisonnement créatif actuel du flamenco avec, samedi, une seconde soirée autour de Paco de Lucia.

«Le flamenco interpelle. Il a un côté sauvage, terrien, brut. C’est un art sophistiqué, mais qui ramène à des émotions spontanées, vivantes. Les gens sont touchés par sa dimension naturelle.»

Le Vaudois Etienne Mayerat sait de quoi il parle. «El nino de los Alpes» se produit et enseigne la guitare flamenca depuis bientôt vingt ans.

Très actif sur la scène suisse, il constate un engouement constant depuis une quinzaine d’années.

Concerts toujours plus nombreux, festivals, cours par dizaines, le flamenco émeut la Suisse comme le reste du monde (il y a davantage d’écoles de flamenco à Tokyo qu’à Madrid!).

Ce succès doit beaucoup aux films de Carlos Saura et à Antonio Gades pour la danse, à Paco de Lucia pour la guitare.

Le génial et grand rénovateur de l’instrument roi du flamenco sera d’ailleurs en soirée de clôture, samedi à Montreux. En formation large. Les jaleos font fuser…

Car le flamenco s’éprouve. Ce n’est pas pour rien si les cours de guitare d’Etienne Mayerat et d’autres attirent autant. Mais en Suisse comme ailleurs, c’est surtout la danse qui captive, confirme à Genève le bailaor, chorégraphe et professeur Antonio Perujo.

Les 20-35 ans

A Lausanne, l’école Passion du Sud met essentiellement cet engouement pour la danse (chez les 20-35 ans surtout) sur le compte de la multi-culturalité qui imprègne la Suisse comme le flamenco.

«On s’éloigne du stéréotype Flamenco=Espagne. Nous travaillons avec des gens de nombreuses nationalités. 70% de notre clientèle n’a pas de racines espagnoles.»

Le chant lui, demeure très espagnol et s’enseigne plus difficilement. «Il se transmet souvent à travers la famille, il faut être habité», estime Etienne Mayerat.

Habité… Ce pouvoir, cette flamme, Farruquito en est pourvu. Mais lui danse. Vendredi en début de soirée, sa famille est là – palmas, chant, guitare.

Luciférien, il danse, jaillit, se désintègre. Costume beige, regards noirs, sourires d’acier, il danse, tournoie, se casse et se cambre, totalement délié, possédé.

Albatros de jais

Son petit frère Farru prend la piste pour le tour suivant. Plus trapu, matois, il déroule son jeu de séduction, mitraille le sol de ses pieds. «Guapo!», crie une spectatrice. «T’as vu le cul qu’il a», salive une autre…

Revient Farruquito, albatros de jais, flamme intense, troublant, dégageant une mystérieuse féminité. Une danse puis deux, au fer rouge, qui viennent marquer les mémoires. Le public exulte. El Cigala peut venir.

Corbeau au sourire plus grand que nature, costar sombre et cravate rose, allure de parrain magnanime, le cantaor (chanteur) est d’humeur cubaine. Son cubano.

Dix morceaux défilent, la plupart repris de l’album enregistré avec le vieux Bebo Valdes. Musique stylisée, parfois déstructurée, presque postmoderne.

Un final espéré

Cajon, guitare, piano, contrebasse: côté technique, les musiciens sont infaillibles. El Cigala fait montre d’une liberté rare. De sa voix plus flamenca que jamais, il dessine en arabesque les mélodies cubaines.

Parfois, le mariage entre Santiago de Cuba et Séville se fait moins enivrant. Comme si la perfection nuisait à l’émotion. Mais les moments de grâce lavent les mémoires: «Lagrimas negras», «Dos gardenias»…

Puis les instruments font place nette. On garde les guitares, on rappelle Farruquito et les siens pour un final espéré, transcendé par les deux frères-danseurs. Mais un peu court alors que la nuit tend les bras.

swissinfo, Pierre-François Besson à Montreux

Le 40e Montreux Jazz Festival a lieu jusqu’au 15 juillet.
Il se déroule au Centre des congrès (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), mais aussi au Casino Barrière pour les concerts plus spécifiquement jazz et sur les quais pour le festival off, gratuit.
Parallèlement aux concerts proprement dits, des concours instrumentaux et des workshops ont lieu chaque année.
En novembre sortira «Montreux Jazz Festival, 40th», un ouvrage de 1200 pages signé Perry Richardson, qui évoquera l’ensemble de l’épopée montreusienne.

– Le nom de Diego Jimenez Salazar dit El Cigala (la cigale de mer) est sur toutes les lèvres depuis le succès de son album enregistré avec le pianiste cubain Bebo Valdes. «Lagrimas negras» a été vendu à plus de 700’000 exemplaires et catapulté disque de l’année par le New York Times en 2003.

– A presque 38 ans, El Cigala a pourtant une déjà longue carrière de cantaor (chanteur) et cinq albums derrière lui, depuis ses premières plaintes, enfant sur un marché madrilène, aux rencontres qui comptent – Camaron, Paco de Lucia, Tomatito…

– Autre gitan, petit-fils du fameux Farruco, fils d’artistes flamencos, Juan Fernandez Montoya dit «Farruquito» entame sa carrière de bailaor (danseur) à l’âge de trois ans. Il se produit à Broadway à 5 ans.

– A 24 ans, de New-York à l’Espagne en passant par Tokyo, le Sévillan est considéré comme l’un des meilleurs danseurs actuels, entre tradition et pureté. A Montreux, il dansait avec son petit frère Farru.

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