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Le regard de 4 artistes avant les élections fédérales

Une image d'Epinal de la Suisse.... Aura

Des artistes venus des 4 coins de la planète pour s'épanouir en Suisse craignent que les prochaines élections fédérales renforcent la montée du populisme.

Ecrivain, chorégraphe ou metteur en scène, ces créateurs regrettent que la Suisse s’éloigne de sa tradition d’accueil.

Les amoureux de la culture qui parcourent la Suisse au fil des saisons pour apprécier ici un ballet, là une pièce de théâtre, un opéra ou une exposition, savent que ce pays offre une diversité culturelle exceptionnelle sous-tendue par la diversité identitaire des créateurs installés sous nos latitudes.

Paradoxe: autant ce pays a fait partir ses propres poètes et artistes (Giacometti, Le Corbusier, Cendrars, Pinget…), autant il a su en accueillir d’autres, étrangers ceux-là, ayant trouvé ici un terrain favorable au développement de leur art.

C’est ce qui a édifié jusqu’ici la richesse culturelle de la Suisse et a contribué à faire briller à l’extérieur son image de pays généreux.

Voilà en tout cas l’image que gardent précieusement au fond d’eux quatre créateurs que nous avons interrogés à l’occasion des élections fédérales. Les quatre sont établis en Suisse depuis une quinzaine d’années au moins. Certains d’entre eux observent que la Suisse a, depuis, beaucoup perdu de son humanité.

Une oasis de bonheur

«Bien sûr, la cause en est la politique d’immigration prônée par Christoph Blocher», affirme Marius Daniel Popescu, poète et écrivain roumain qui vit à Lausanne depuis 1990 et y travaille comme chauffeur de bus. «Un métier alimentaire, car l’écriture ne nourrit pas son homme », ajoute celui qui vient de publier aux éditions Corti un roman très remarqué «La Symphonie du loup».

«En débarquant ici, j’avais le sentiment d’avoir atterri dans une oasis de bonheur, se souvient Marius Popescu. Tout correspondait alors à l’image que je me faisais de la Suisse, terre d’accueil souriante. D’ailleurs contrairement à ce que raconte la presse nationale, cette image n’est pas forcément écornée à l’étranger. En Roumanie en tout cas, personne ne sait aujourd’hui qui est Blocher, et tout le monde continue à voir la Suisse à travers les éternels clichés de richesse et de tranquillité.»

«Quant à moi, poursuit le romancier, j’étais loin d’imaginer qu’un jour je me retrouverai face à un politicien suisse qui me rappellerait par ses démarches démagogiques un certain Ceausescu. »

Mais pour rien au monde Marius Popescu ne compte quitter ce pays. « Je suis plus Suisse que n’importe quel Suisse», lâche-t-il.

Même écho chez Guilherme Botelho qui dit avoir une amitié très longue avec la Suisse. «Ici, je ne suis étranger que par mon accent», précise-t-il dans un chuintement.

Chorégraphe d’origine brésilienne, Botelho a grandi dans les rues de Sao Paolo et, par bonheur, est entré comme danseur au Ballet du Grand Théâtre de Genève. C’était en 1982. Depuis, notre homme a fondé, à Genève, sa propre compagnie, Alias, qui a du succès, ici comme ailleurs.

« Le populisme, une plaie pour l’Europe »

« Le monde de la danse est nomade, confie-t-il, donc je n’étais pas étonné à l’époque de me retrouver au milieu d’interprètes venus de tous les coins de la planète. Aujourd’hui, il est difficile de se poser dans une Suisse de plus en plus protectionniste. Si l’UDC gagne, on pourrait ne plus subventionner les compagnies étrangères en Suisse. »

Crainte non partagée par Oscar Gomez Mata, metteur en scène espagnol, fondateur de l’Alakran, compagnie basée à Genève elle aussi. « Ce n’est pas Berne, dit-il, ni Blocher qui décident des subventions. Non, ce que je redoute comme citoyen, c’est le populisme. Cette mouvance est une plaie pour toute l’Europe, et la Suisse n’est pas la seule à en souffrir. »

Appréhension similaire chez Andrea Novicov, metteur en scène italo-russe qui vit et travaille en Suisse depuis 12 ans. « Il n’y a plus en Europe de pays oasis où se réfugier, observe-t-il. Partout, les mêmes peurs affleurent, partout elles sont instrumentalisées. Mais il ne faut surtout pas se laisser faire. Et ce n’est certainement pas Blocher qui va m’affoler avec son mouton noir. »

swissinfo, Ghania Adamo, Genève

* Marius Daniel Popescu

Naissance en 1963 en Roumanie
Il arrive à Lausanne en 1990 où il travaille comme chauffeur de bus. Romancier et poète, il a publié jusqu’à ce jour 7 ouvrages, en français et en roumain.

* Guilherme Botelho

Entré en 1982 comme danseur au Ballet du Grand Théâtre de Genève, ce chorégraphe d’origine brésilienne fonde en 1993, à Genève, la compagnie Alias pour laquelle il crée une quinzaine de pièces.

* Oscar Gomez Mata

Metteur en scène basque établi depuis 1994 à Genève où il a fondé L’Alakran, compagnie d’activisme et d’agitation théâtrale. Avec les acteurs de sa troupe, il monte des spectacles surréalistes et trash qui ont trouvé leur public en Suisse romande comme au pays basque espagnol.

* Andrea Novicov

De mère italienne et de père russe, il suit d’abord une formation d’acteur à l’Ecole du clown Dimitri, au Tessin. En 1994, il crée en Suisse romande la compagnie Angledange et monte pour elle de nombreux spectacles dont le très remarqué La Maison de Bernarda Alba.

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