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Noëls d’antan, Noëls présents

Thomas Kern / swissinfo.ch

Ancienne fête païenne reconvertie en anniversaire du fils du Dieu chrétien, le 25 décembre est aujourd’hui avant tout la fête des cadeaux. Prise de température sur les marchés de Noël de Suisse, entre magie, consommation et nostalgie.

Ambiance de fête, cadeaux, bougies et réjouissances générales: il y a 2000 ans, le poète latin Catulle chantait déjà les célébrations de fin décembre comme «les meilleurs des jours». Sauf qu’il ne parlait pas de Noël, mais des Saturnales, fêtes romaines du solstice d’hiver.

Devenu dès le IVe siècle religion d’Etat de l’empire romain, le christianisme n’a pas tardé à détourner cette tradition hivernale pour en faire la fête de la naissance du Christ. Aujourd’hui, de nombreux parents et grands-parents y voient une occasion de transmettre à leurs enfants et petits-enfants les plaisirs qu’ils ont vécu étant petits.

Mais au fait, qu’y a-t-il de traditionnel dans la manière dont nous célébrons Noël aujourd’hui?

Johann Wanner, dit «le Père Noël», dont le magasin à Bâle vend des décorations de Noël dans le monde entier, a une définition claire: «La tradition, c’est toujours ce que vous avez eu quand vous étiez enfant». swissinfo.ch a donc demandé à quelques visiteurs de plus de 70 ans croisés au marché de Noël de Bâle si la fête avait changé depuis leur enfance.

«Nous n’étions pas très riches. A Noël, on recevait en général des cadeaux utiles, comme des chaussettes, des chemises, peut-être des gants – et quelques douceurs», se souvient un homme venu d’Altdorf, en Suisse centrale.

Une femme qui se rend à un concert confirme que les choses étaient bien différentes il y a 80 ans. «On tricotait et on brodait beaucoup de choses. Et puis, on apprenait des poèmes et on les récitait».

Un visiteur venu de Coire, dans le canton alpin des Grisons, admet que «les marchés de Noël sont très beaux», que «l’ambiance et sympathique», mais «n’aime pas voir des articles de Noël dans les magasins dès la fin septembre». «Cela me rend un peu triste, mais les temps ont changé… et après tout, je ne suis pas obligé d’y aller», note-t-il avec philosophie.

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Les marchands du temple

Le marché de Noël de Bâle est une attraction touristique majeure. Il fait partie de l’image de la ville. Dans tout le pays, des villes et des villages ont aussi le leur, même s’ils sont souvent plus modestes. L’idée – comme de nombreuses traditions de Noël en Suisse – est venue d’Allemagne. Le plus ancien marché de Noël du monde est celui de Dresde. Il date de 1434 et était à l’origine l’endroit où les gens achetaient leur viande pour les Fêtes.

Mais en Suisse, la tradition est nettement plus récente. De nombreux marchés de Noël n’ont guère plus de dix ans d’âge.

Celui de la petite ville d’Einsiedeln est un des plus grands de Suisse centrale. Son organisateur, Josef Birchler, est fier d’annoncer entre 70’000 et 80’000 visiteurs en une semaine. Tout a commencé avec quelques stands dans la rue principale, qui ont ensuite migré sur l’immense place devant le monastère. Et en 2001, le marché s’est étendu à tout le village.

Aujourd’hui, les vendeurs et les acheteurs viennent de Suisse et de l’étranger, que ce soit d’Italie, d’Allemagne ou d’Autriche. La règle veut que tous les stands aient un lien avec Noël.

Einsiedeln est célèbre pour son monastère, et c’est ce qui attire les foules, explique Josef Birchler. Il ne voit pas de contradiction entre le côté commercial du marché et l’aspect religieux de Noël. «Après tout, de nos jours, vous ne pouvez pas vivre que de la religion», fait-il remarquer en riant.

Parmi les animations associées au marché d’Einsiedeln, on trouve la veille tradition religieuse de la sortie de Saint-Nicolas. Après avoir été béni dans l’église, le saint personnage sort à la rencontre des enfants. «C’est bon pour l’église aussi, parce que les gens s’y assemblent pour assister à la cérémonie», relève Josef Birchler.

Noël marque la naissance de Jésus-Christ. C’est donc une date importante dans le calendrier chrétien. Pourtant, on ne sait pas précisément en quelle année le Christ est né, et encore moins à quelle date. Le 25 décembre a été adopté par l’Eglise d’Occident au IVe siècle.

La date est très proche de celle du solstice d’hiver (le jour le plus court de l’année), qui a longtemps été une fête païenne. L’Eglise l’a donc détournée à des fins chrétiennes.

Les Eglises d’Orient célébraient à l’origine Noël le 6 janvier, mais elles ont fini par adopter la date occidentale. Seule l’Eglise apostolique arménienne a gardé le 6 janvier.

Dès le XVIe siècle, le calendrier julien disparaît petit à petit au profit du calendrier grégorien, plus précis. Mais de nombreuses Eglises orthodoxes orientales gardent l’ancien calendrier. Au fil des ans, l’écart se creuse. Aujourd’hui, le calendrier julien a pris 13 jours de retard. Pour ces Eglises, Noël 2012 tombe le 7 janvier 2013.

L’Eglise orthodoxe grecque fait exception: elle célèbre la naissance du Christ le même jour que les Eglises d’Occident, le 25 décembre.

Par contre, le patriarcat arménien de Jérusalem a gardé non seulement la date du 6 janvier, mais aussi le calendrier julien. Cette Eglise orthodoxe fêtera donc Noël 2012 le 19 janvier 2013.

Récompense et punition

Saint-Nicolas, dont la fête tombe le 6 décembre, est le saint chrétien le plus étroitement associé aux cadeaux. Depuis le XIe siècle, c’est lui qui apporte les présents aux enfants sages, alors que ceux qui ont été méchants sont fessés à coups de verges.

Le saint est toujours honoré dans les contrées catholiques, mais dans les zones acquises à la Réforme, l’Eglise protestante l’a remplacé dès le début du XVIe siècle par l’enfant Jésus. Et aujourd’hui, c’est le Père Noël qui apporte les cadeaux dans la nuit du 24 décembre. Les notions de récompense et de punition ont cédé petit à petit la place à une attitude plus orientée vers la consommation.

«Au XIXe siècle, avec la hausse de la prospérité, la famille de classe moyenne gagne en importance, explique Denise Rudin, du Musée des cultures de Bâle, qui présente actuellement une exposition sur les cadeaux. Ces familles se sont servi de Noël comme d’une occasion de célébrer leur mode de vie dans le cadre d’une fête religieuse».

Selon une étude du Centre de recherche en management commercial de l’Université de Saint-Gall, les Suisses sont prêts à dépenser cette année 611 francs chacun en moyenne pour leurs cadeaux de Noël. C’est un peu plus qu’en 2011, où les intentions annoncées étaient à 587 francs par personne. Les plus âgés sont ceux qui disent vouloir dépenser le plus.

S’agissant des cadeaux que les gens veulent recevoir, les vêtements et les chaussures arrivent en tête de liste, suivis des voyages et des livres. Seules 7% des personnes interrogées ont dit ne pas savoir ce qu’elles voulaient.

Les endroits les plus populaires pour acheter des cadeaux sont les centre-ville, suivis des centres commerciaux. Les achats sur Internet ont vu leur cote baisser depuis l’année dernière. Les gens ont été un peu plus de 25% à dire vouloir acheter en ligne, contre près de 40% en 2011. Un tiers des personnes interrogées ont dit vouloir acheter au moins une partie de leurs cadeaux à l’étranger.

L’enquête a été menée auprès de quelque 2000 acheteurs dans les zones piétonnes de Suisse alémanique et de Suisse romande.

Commercialisation

Noël, fête de la consommation, le constat n’a rien de nouveau. Le premier catalogue de cadeaux de Noël, avec 1111 objets, apparaît en 1803. Et l’idée vient déjà d’outre-Rhin.

Une chanson populaire allemande de l’époque fait la liste des cadeaux que les enfants recevront à Noël – du cheval à bascule à la maison de poupée en passant par toute une série de jouets en bois ou en étain – sans mentionner la signification religieuse de la fête. Elle demande simplement aux enfants de remercier leurs «gentils parents», qui «préparent tout pour ce beau jour depuis très longtemps».

Par rapport aux modestes présents dont se souviennent les visiteurs les plus âgés du marché de Bâle, la tendance est plutôt à dépenser toujours plus, constate Denise Rudin: «Noël est la période de l’année ou les magasins et les fabricants font le plus d’affaires. Chaque année, on invente des tas de nouvelles choses juste pour gonfler le chiffre d’affaires. Beaucoup de gens veulent des objets électroniques. Je dirais que l’on s’éloigne des besoins de base pour aller vers de plus en plus de luxe».

«Et comme les cadeaux deviennent de plus en plus chers, Noël est la période de l’année où l’on voit le plus de gens plonger dans les dettes».

En tant que propriétaire de magasin, Johann Wanner voit cette fièvre de consommation différemment. Comme il le rappelle, de nombreux commerces comptent sur la période de Noël pour réaliser l’essentiel de leur bénéfice annuel.

L’odeur des noix et des bougies

Parmi les personnes plus âgées, beaucoup insistent sur l’aspect fête de famille de Noël et comptent bien en transmettre l’esprit à leurs petits-enfants.

Mais là aussi Johann Wanner – né en 1939 – voit les choses différemment. «Quand j’étais jeune, c’était une fête de famille. Les gens restaient à la maison, derrière des portes et des fenêtres fermées. Mais maintenant, Noël est ouvert. Les restaurants sont ouverts, vous pouvez sortir. Et beaucoup de problèmes qui pouvaient survenir ce jour-là ne se posent plus. Comme d’avoir par exemple des membres de la même famille qui ne se parlent pas et qui doivent rester assis à la même table sans pouvoir s’échapper».

Le marchand n’a pourtant pas de mauvais souvenirs des Noëls de son enfance. «J’ai encore des babioles que je garde depuis plus de 60 ans. Les plus anciennes, je les ai faites à l’école maternelle. Elles vous parlent. Elles vous montrent comment vous viviez il y a 50, 40, 30, 20 ans…»

«Je me souviens de l’odeur des pommes qui caramélisaient dans le four, l’odeur des noix et des bougies, raconte Johann Wanner. Je dirais que je vis encore sur cette île aux enfants».

Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez

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