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Photochrome: quand la Suisse coloriait le monde

Marché à Naples (1899), l'une des photochromies présentées dans le cadre de l'exposition parisienne.

Une exposition à Paris retrace l'aventure du photochrome, entre 1876 et 1914. Des années d'emprise helvétique sur la «photographie» couleur grâce au pionnier Hans Jakob Schmid. Passé révolu, mais qui continue de fasciner amateurs et collectionneurs.

L’an dernier est mort le dernier artisan maîtrisant parfaitement la technique du photochrome, vieille de plus d’un siècle et oubliée depuis longtemps. Dans son atelier zurichois, Peter Kunz n’avait pas son pareil pour travailler le bitume de Judée (une pierre photosensible) et l’exposer à la lumière. Il en faisait de savantes impressions sans trame et retouchait l’image au pinceau.

L’opération pouvait prendre plusieurs semaines. Le résultat, souvent époustouflant, vous projetait presque inévitablement ailleurs, autrefois, dans une époque où la photographie couleur vivait ses premières heures, balbutiantes.

L’âge de raison

La Bibliothèque Forney, installée dans le superbe Hôtel de Sens à Paris où résida jadis la reine Margot, ressuscite ces années photochrome. Trente ans au cours desquels les plus beaux négatifs du monde filaient en Suisse pour être colorisés avant d’être revendus, sous forme de cartes postales, de livres ou d’images panoramiques, à une clientèle en pleine croissance: les touristes.

1875. La photo a quarante ans, l’âge de raison. Les images de la guerre de Sécession, comme celles du siège de Paris, témoignent d’un art en plein essor, trouvant chaque jour de nouveaux débouchés. Manque pourtant quelque chose.

«Il est impossible de voir une image reproduite dans la chambre noire sans se demander si la science n’arrivera pas un jour à la fixer telle qu’elle s’y reflète, c’est-à-dire avec ses couleurs», résume alors l’écrivain Paul de Saint-Victor. La couleur obsède. Faute de mieux, certains colorient les épreuves au pinceau. D’autres, tels Louis Ducos du Hauron, inventent la trichromie en mélangeant les trois couleurs primitives, bleu, jaune et rouge. Peu convaincant. Et commercialement médiocre.

Petit employé d’Orell Füssli

Sur les bords de la Limmat, Hans Jakob Schmid, petit employé d’Orell Füssli, s’échine à travailler l’asphalte photosensible. Banco: en 1888, la société dépose le brevet du photochrome, oubliant au passage l’infatigable Schmid. «Simple et modeste, il n’a pas su exploiter son invention à son profit», notera l’auteur de sa nécrologie.

Photochrome ? Il s’agit, en deux mots, de combiner l’exactitude des négatifs noirs et blancs avec l’apport des couleurs par impression lithographique.

On procède à quelques essais à Zurich et dans les Grisons. Le résultat est étonnant. Mais les coloris restent pâles, presque trop discrets. Crainte de heurter le bon goût forgé par des décennies de noir et blanc ?

Peu à peu pourtant, les artisans de la nouvelle société Photochrom Co prennent de l’assurance, affirment les couleurs. Les photochromes de l’Engadine et de l’Oberland des années 1889-91, réalisés à partir d’épreuves noir et blanc de Romedo Guler, révèlent une science extraordinaire de la colorisation.

Capter les beautés de la terre

Un art est né. Les patrons de l’imprimerie Füssli, les frères Wild, experts ès business international, vont l’exploiter sous toutes ses coutures. Grands monuments et centres touristiques seront «photochromés».

Deux photographes sont dépêchés aux quatre coins de la planète, du Spitzberg à la Nouvelle-Zélande, pour capter les beautés de la terre. Ils rentrent avec des clichés de Chine, d’Inde, de Palestine, de Turquie, mais aussi de Venise, de la Riviera française, de Bavière, etc. Le catalogue de Photochrom Co prend forme. Objectif: proposer aux voyageurs fortunés, notamment anglais et américains, des souvenirs en couleur.

Le succès est immédiat. Photochrom Co écoule sa marchandise sur les paquebots de luxe de la Norddeutscher Lloyd: le Normannia ou le Kaiser Wilhelm der Grosse, véritables villes flottantes où s’étale la richesse débordante du tournant du siècle. On s’arrache les photochromes. «On l’a dit avec raison, les grandes publications photochromes, c’est le musée du Louvre chez soi», s’émerveille alors la revue Mosaïque.

Un étrange dépaysement

Bientôt, Orell Füssli ouvre une succursale à Londres, puis conclut un accord avec une société de Détroit. Le photochrome s’installe dans les mentalités de la Belle Epoque. Pourtant, sa définition évolue. Une photo ? Une peinture ?

En 1893, la société zurichoise annonce dans son catalogue: «Ces feuilles artistiques ne le cèdent en rien aux aquarelles et surpassent les habituels tableaux à l’huile». Dix ans plus tard, la référence picturale a complètement disparu. On parle de photographies en couleur. Un demi-mensonge.

Si le lithographe s’inspire de la variété de gris du cliché noir et blanc, sa liberté est totale pour le choix des couleurs. D’où ce ton si particulier, qui ne ressemble à rien d’autre.

L’écrivain-globe-trotter français Jean-Christophe Rufin décrit bien l’étrange dépaysement que produit aujourd’hui le photochrome: «Nous reconnaissons les monuments, mais leur ampleur solitaire, le silence qui les entoure, une tonalité particulière des silhouettes et des visages, ces voitures à cheval, ces enfants en blouse, ces femmes parées sont là pour nous prouver que nous sommes bien ailleurs.»

swissinfo, Mathieu van Berchem, Paris

«Voyage en couleur, Photochromie, 1876-1914». Exposition à la Bibliothèque Forney, jusqu’au 18 avril 2009. 1, rue Figuier, Paris, 4e. Métro Saint-Paul. Tél. 00331 42 78 14 60. Du mardi au samedi de 13h à 19h.

L’exposition présente 300 images de la collection du photographe Marc Walter, qui possède l’un des plus importants fonds de photochromes.

En 1914, Orell Füssli et ses filiales rassemblent plus de 11’000 photochromes. La guerre met fin à la mode photochrome. Après guerre, la technique sert avant tout à la reproduction d’art. Le fonds Orell Füssli sera légué à la bibliothèque de Zurich.

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