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Les musées suisses face au casse-tête des coûts d’assurance

«En été» du peintre français Pierre-Auguste Renoir, déballé pour être exposé à la Alten Nationalgalerie de Berlin en 2012. Keystone

Payer 20 francs pour voir une exposition de Vincent van Gogh dans un musée suisse peut paraître cher. Mais il faut préciser que ledit musée doit s’acquitter de plusieurs millions de francs de primes d’assurance tandis que, dans d’autres pays, les autorités s’engagent pour ménager tant le porte-monnaie des visiteurs que celui des institutions.

Quand un musée suisse fait des emprunts pour une exposition, il couvre lui-même les coûts d’assurance. Il se trouve pris entre la nécessité de faire venir une œuvre importante et l’obligation de payer des sommes tout aussi consistantes, une gageure. Dans certains pays, un régime de responsabilité de l’Etat permet aux institutions culturelles d’exposer des chefs-d’œuvre qu’elles auraient des difficultés à assurer elles-mêmes.

«C’est un problème récurrent, explique Stefan Charles, directeur administratif du Musée des Beaux-Arts de BâleLien externe. Par exemple, nous savons qu’une exposition de Picasso sera très chère. Nous n’aurons probablement une exposition de ce niveau que toutes les quelques années parce que cela nécessite de trouver des sponsors et un soutien important.»

Sans donner de chiffres précis, le musée indique qu’environ les deux tiers de son budget proviennent de fonds publics pour financer les coûts de personnel et de fonctionnement, le reste allant aux expositions et aux acquisitions et étant financé à titre privé par le musée, via des sponsors. Le musée bâlois se targue d’avoir «une des collections publiques les plus vastes et les plus ancienne d’Europe».

Garantie étatique

Le directeur de l’institution bâloise appelle à la création d’une garantie de l’Etat pour soutenir le niveau et la fréquence d’expositions d’œuvres prêtées. Il craint en effet que la qualité de l’offre en Suisse s’affaiblisse face aux standards internationaux élevés offert par des places comme Londres ou Paris. Et il n’est pas le seul, car d’autres musées souhaitent la création d’un système d’assurance qui s’est déjà avéré fructueux depuis plusieurs années dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne, la France ou l’Espagne.

Vols d’art en Suisse

Quoique rares, il y a occasionnellement des vols de célèbres objets d’art. À Zurich en 2008, quatre peintures à l’huile de Paul Cézanne, Edgar Degas, Claude Monet et Vincent van Gogh, d’une valeur de 180 millions de francs, ont été volées à la collection Buhrle par des gangsters cagoulés. Cela a été le plus grand hold-up du genre de l’histoire suisse et l’un des plus importants en Europe. Deux pièces ont été retrouvées abandonnées une semaine plus tard et les deux autres ont été finalement restituées quatre ans plus tard.

Deux peintures à l’huile de Picasso, prêtées par le musée Sprengel en Allemagne au Centre culturel Seedamm à Pfäffikon (Schwytz) ont également été volées en 2008, et retrouvées trois ans plus tard en Serbie.

À Zurich, il existe un système municipal pour les institutions appartenant à la Ville, qui offre un tarif préférentiel sur les primes d’assurance, suite à un contrat passé entre la municipalité et deux assureurs commerciaux. Le Musée RietbergLien externe, institution publique spécialisée dans l’art non européen, a rejoint le système au début de 2013. «Une indemnité de l’Etat serait merveilleuse justement parce que le musée n’aurait pas à payer de primes et donc à sortir de l’argent, relève Andrea Kuprecht, conservatrice du musée zurichois.

Valeur déterminée par le marché

Pour ceux qui sont confrontés à l’explosion des primes d’assurance consécutive à l’augmentation des prix du marché, un régime de responsabilité de l’Etat apporterait plus de stabilité aux prévisions budgétaires. «Notre budget total est de 21 millions de francs par an, et 40% des coûts d’exposition vont aux primes d’assurance, relève Stefan Charles. Cela peut varier de quelques centaines de milliers à quelques millions de francs par exposition.»

Les prix de l’art montent et le Musée de Beaux-arts de Bâle connaît une augmentation annuelle de 10% du coût final d’assurance, selon Stefan Charles, «si bien que ce sera plus compliqué ou trop cher d’organiser de grandes ou importantes expositions, ou d’exposer des artistes dont la cote est très élevée.»

Comment ça marche ailleurs

Une étude de la Commission européenneLien externe a analysé en 2010 comment 31 pays assurent les œuvres prêtées et comment fonctionnent les garanties étatiques là où elles ont été introduites.

En tant que première nation à avoir adopté une garantie dans ce domaine en 1975, les Etats-Unis ont soutenu 746 expositions entre cette date et 2010. Il en a coûté 102’000 francs aux autorités pour couvrir des frais administratifs et deux affaires de «dégâts mineurs».

Selon l’étude, «il s’agit non seulement d’aider financièrement des musées, mais aussi de promouvoir des échanges culturels et parfois la représentation de la culture au niveau régional et national». Le «bénéfice public» de ce type d’échange constituait l’une des raisons principales de l’introduction en 1980 d’un régime de responsabilité de l’Etat en Grande-Bretagne, selon Anastasia Tennant, conseillère au Conseil des Arts du Royaume UniLien externe.

Pour bénéficier de ce régime, les institutions non nationales doivent faire une demande au moins trois mois à l’avance chaque fois qu’elles veulent présenter une exposition, en donnant des détails sur «les aspects environnemental et sécuritaire».

Les institutions nationales ne peuvent en bénéficier que lorsqu’elles empruntent des pièces. Par contre, leurs propres collections ne sont pas couvertes si elles les prêtent à l’étranger et, là, le prêt est à leur propre risque.

«La plupart des musées et des galeries ne pourraient pas se permettre d’exposer sans cet arrangement. Tout le monde en a donc profité, tant les musées que le public, relève Anastasia Tennant. Et ça fonctionne puisqu’il y a très peu de demandes d’indemnisation, en raison principalement de la qualité de la sécurité et du traitement des objets.»

Une des questions les plus délicates a été d’amener de plus modestes institutions à s’aligner sur les mesures de sécurité, notamment en engageant du personnel suffisant pour protéger les objets prêtés. Un financement supplémentaire a été introduit pour le garantir.

Et pourtant, ces mesures sont considérées comme impraticables pour le gouvernement suisse. Le Conseil fédéral a déjà pris position sur un régime de responsabilité de l’Etat dans son Programme pour la politique culturelle 2016-2020Lien externe, qui doit être discuté au Parlement en 2015. Alors que la Suisse «s’engagerait» en assumant «le coût de dégâts s’élevant à des millions» dans le pire des cas, elle ne pourrait en même temps influencer les politiques de gestion des risques dans les musées privés, a pointé l’exécutif. Et de conclure que «ni le montant ni la probabilité de dégâts n’étant calculable», le risque financier est trop élevé pour soutenir un tel système.

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Prêts controversés

Des expositions très spécifiques peuvent aussi causer des difficultés allant au-delà du cadre d’un régime d’assurance. Ainsi, en 2011, le Musée Rietberg a organisé une exposition incluant des manuscrits persans rares en provenance de Téhéran. Mais en raison de l’embargo sur le commerce avec l’Iran, il lui a été pratiquement impossible de conclure un contrat d’assurance, car si quelque chose était arrivé aux pièces, toute indemnisation du propriétaire aurait été interdite.

Le problème a été résolu par le Secrétariat d’État aux affaires économiques (Seco), qui a délivré une autorisation spéciale pour la conclusion d’une telle transaction le cas échéant. Le musée n’a trouvé qu’un seul assureur disponible. «Nous étions victimes de cette situation inhabituelle et nous avons finalement payé une prime en conséquence», raconte Andrea Kuprecht.

Beaucoup de systèmes publics n’incluent pas non plus de demandes d’indemnisation émanant de tiers. En Grande-Bretagne, une galerie ou un musée doivent passer par de strictes procédures pour prouver que tout a été mis en œuvre pour vérifier la provenance d’un objet avant de l’exposer, indique Anastasia Tennant. Dans ce pays, une législation séparée garantit l’immunité contre la saisie d’objets prêtés, à condition que le musée respecte certaines conditions très rigoureuses.

Alternatives

Le sponsoring d’expositions de haut niveau présentant des objets d’une valeur particulièrement importante se généralise de plus en plus pour couvrir les frais. Le Musée d’Histoire de Berne indique sur le site de l’exposition en 2013 de «Qin, l’empereur éternel et ses guerriers de terre cuiteLien externe» qu’«un événement aussi exceptionnel n’est possible qu’avec le soutien d’un partenaire solide».

De même que l’exposition Vincent van Gogh en 2009 au Musée des Beaux-Arts de Bâle, «Qin» a bénéficié à Berne du soutien d’une grande banque suisse. Cependant, Stefan Charles juge plus approprié de conclure un contrat de sponsoring sur plusieurs années plutôt que pour un événement spécifique. «Nous avons des contrats de trois ans ou plus, de manière à garantir un peu de stabilité… c’est en tout cas notre stratégie.»

(Adaptation de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

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