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Que cache-t-on «Derrière le rideau»?

Exposition en temps réel n°4 : laisse sur ces murs un témoignage photographique de ton passage, 1972, collage de photomatons sur carton, épreuves gélatino-argentiques, 45,5 x 58,5 cm (détail) © Franco Vaccari, propriété de l’artiste. Musée de l'Elysée, Lausanne

Chassé par le numérique, le photomaton revient en force au Musée de l’Elysée, à Lausanne, qui lui consacre une exposition aussi riche qu’amusante. Les 60 artistes internationaux invités, présents avec 600 oeuvres, mettront ensuite le cap sur Bruxelles et Vienne.

Invitation coquine au voyeurisme, «Derrière le rideau» entretient le suspense. Que va-t-on y découvrir? se demande le visiteur intrigué par ce «rideau» qui évoque le peep show et cache, se dit-on, le meilleur comme le pire.

En fait de rideau, il s’agit là d’un morceau de tissu, souvent bleu, parfois rouge, qui arrive à mi-hauteur d’une cabine destinée, normalement, à fabriquer des autoportraits. Communément appelée photomaton, cette cabine a aujourd’hui disparu de la circulation.

Chassé par les appareils numériques, le photomaton revient en force au Musée de l’Elysée, à Lausanne, qui lui consacre une exposition aussi riche qu’amusante. «Derrière le rideau» rassemble donc 600 œuvres (photographies, toiles, films, vidéo) de 60 artistes internationaux.

Des surréalistes français (Aragon, Breton, Tanguy…) des années 1930, aux jeunes photographes suisses, allemands ou japonais (Anita Cruz-Eberhard, Jan Wenzel, Tomoko Sawada), en passant par l’Américain Andy Warhol et l’Italien Franco Vaccari, tous se penchent sur l’esthétique du photomaton.

Convivialité ou solitude

«C’est un appareil qui a beaucoup fasciné l’artiste du XXe siècle parce qu’il jouit d’une polarité entre l’objet ludique avec lequel on s’amuse (en faisant l’imbécile devant l’objectif, par exemple) et la machine à réflexion très sérieuse sur l’identité», confie Clément Chéroux, l’un des trois commissaires de l’exposition. «Nous avons donc voulu retracer tout ce qui se passe entre ces deux polarités», précise-t-il.

D’un bout à l’autre de la chaîne, les intérêts des artistes diffèrent. Il y a ceux qui photographient la cabine elle-même, lieu minuscule de convivialité où des personnes s’entassent sur le petit tabouret et discutent. Mais la cabine est aussi un lieu de grande solitude où le rideau sert de cache-misère, comme pour cette femme que l’on devine obèse.

Et puis il y a des artistes que la cabine n’intéresse pas. Seule compte l’image qu’elle délivre: un autoportrait tiré par une machine où la main de l’homme, invisible, encourage tous les délires. Cela va des grimaces simiesques, adoptées par les surréalistes, aux postures exhibitionnistes d’un jeune homme qui tient grande ouverte sa braguette.

En rire ou en pleurer

On peut jouer avec sa propre image pour en rire. On peut aussi utiliser celle des autres pour en pleurer. Dans tous les cas, c’est l’identité qu’on interroge. Qui suis-je? Qui est l’autre?

Pour l’artiste suisse Michael Fent, «l’autre» est un immigré kurde échoué sur une plage d’Italie. Là, à la suite d’un naufrage, il a laissé cinq autoportraits de photomaton. Michael Fent les a ramassés, nettoyés. Accrochés sur les cimaises du Musée, ces portraits rappellent le système de fichage criminel. Elles disent l’avenir incertain d’un individu dont l’identité est ici mise à mal.

Un tour du monde

Mais il n’y a pas que les intérêts artistiques qui divergent dans l’exposition. Il y a aussi les sensibilités. Elles changent d’un pays à l’autre. Meilleure illustration de cette divergence: un film de 55 minutes, œuvre de l’Américain Brian Meacham. C’est le point d’orgue de l’exposition. L’artiste a extrait de 30 films – tournés entre 1939 et 2007 par les plus grands noms du cinéma – 30 séquences dans lesquelles il est question de photomaton. Il les a mises bout à bout proposant ainsi un tour du monde des différents usages de l’appareil. Lieu de rencontres amoureuses dans le cinéma européen (Jean-Luc Godard, Jean Aurel), le photomaton devient cabine de crime dans le cinéma asiatique (Johnny To).

Une large palette de sensations se déploie ainsi sous le regard du visiteur qui se dit que finalement chaque culture tient ici son «appareil» pour dicter les émotions. Dans le registre ludique, le Japon excelle. Il est celui qui a le mieux détourné l’usage du photomaton. Pour preuve, les Purikuras, petites cabines inventées dans les années 1990, où les très jeunes nippones se font tirer le portrait à coups de manipulations numériques.

Elles posent debout. Devant elles, un tableau qui leur offre une variété de motifs: maquillage, ornementation, texte à insérer dans l’image… Une vraie mise en scène que l’exposition reflète avec une collection d’albums. Albums anonymes, témoins d’un phénomène national japonais.

«Nous voulions coûte que coûte échapper à l’uniformité du photomaton, briser la standardisation de l’image qui en sort», conclut Clément Chéroux. C’est réussi.

«Derrière le rideau. L’esthétique du photomaton», Musée de L’Elysée, Lausanne, jusqu’au 20 mai.

L’exposition sera présentée au Botanique de Bruxelles, du 28 juin au 26 août. Puis à Vienne, du 11 octobre 2012 au 13 janvier 2013.

Création du Musée de L’Elysée, elle est la première étude consacrée à l’esthétique du photomaton. Fruit d’une collaboration européenne, elle propose un large éventail de cultures. Elle couvre une période allant de 1928 à nos jours.

Elle est divisée en 6 grandes sections thématiques: la cabine, l’automatisme, le principe de la bande, Qui suis-je? Qui es-tu? Qui sommes-nous?

Elle réunit plus de 600 œuvres réalisées sur différents médias (photographies, huiles sur toile, lithographies et vidéo) par une soixantaine d’artistes internationaux qui jouent avec leur identité, racontent des histoires ou construisent des mondes.

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