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Sur les traces de Léonard de Vinci… à Locarno

Le château de Locarno au début du 16e siècle (ASCL). ASCL, elaborazione: colonnello Giorgio Simona, architetto Ambrogio Annoni, pittore Giorgio Lombardi, 1912

Léonard de Vinci aurait-il laissé des preuves de son talent jusqu’à Locarno? Après deux ans de recherches, un historien pense avoir une réponse positive.

Selon Marino Viganò, un belluard du Château des Visconti, construit en 1507, porte la signature du génie de la Renaissance italienne.

On a l’impression d’entrer dans un film, lorsque l’historien Marino Viganò raconte son aventure sur les traces de Léonard de Vinci à Locarno. Une aventure qui est en réalité une quête minutieuse et laborieuse, faite de lectures, de confrontations, de rencontres et d’analyses comparatives.

Ces deux années d’intenses recherches sont documentées dans un volumineux rapport qui sera remis fin janvier à l’Office des biens culturels du canton du Tessin. L’épilogue d’un travail conduit avec passion et rigueur.

Les recherches ont porté sur une tour de défense en demi-lune intégrée dans les remparts, c’est-à-dire un belluard dans le jargon des architectes. «Il s’agit de l’unique partie du château qui soit dans les mains de privés», indique Marino Viganò. Or, à l’été 2002, l’un des propriétaires invite l’historien à venir jeter un coup d’œil à l’édifice.

«Dès la première observation, j’avais remarqué que c’était un élément sortant de l’ordinaire, se souvient le chercheur. Pas seulement parce que cela tranchait avec le style du reste du château, mais aussi parce la structure de la roche montrait qu’il s’agissait d’une œuvre plus tardive.»

Limiter la fourchette chronologique

Que faisait donc un belluard avec des caractéristiques du 16e siècle dans un château que l’historiographie considérait comme terminé à la fin du 15e? A qui attribuer la réalisation de cet ouvrage? Ce sont ces questions – entre autres – qui ont constitué le point de départ de l’étude.

Les caractéristiques du belluard suggèrent à Marino Viganò deux périodes possibles quant à sa construction: soit sous l’occupation française de la région de Locarno, de 1499 à 1513, soit sous la souveraineté suisse entre 1513 et 1532 (date de la démolition partielle du château et à laquelle l’existence du belluard est attestée).

Mais les archives confirment qu’il s’agit en fait de la première période. «Les rares documents provenant de la période de souveraineté suisse montrent que l’édifice a été construit sous l’occupation française, soit entre 1499 et 1513», affirme Marino Viganò.

L’ordre de fortifier Locarno provient du «grand maître» à Milan, titre de la cour de France porté par Charles II d’Amboise de 1502 à 1511, date de sa mort. La fourchette chronologique devient donc moins large.

D’autres documents prouvent par ailleurs que tout le duché de Milan a été muni de bastions similaires au cours d’une seule et même année: 1507. «Le cas de Locarno s’inscrit donc dans un processus général de fortification», relève Marino Viganò.

Un seul ingénieur possible

La question chronologique résolue, reste à savoir qui a pu concevoir le belluard. Une étude de la structure donne des pistes.

«Le bâtiment est pentagonal, avec deux faces, deux flancs et une paroi adossée à un donjon du 15e siècle, dit Marino Viganò. La structure présente quatre embrasures au-dessus desquelles ont trouve des conduits permettant l’évacuation de la fumée des canons. Sans ces conduits, les artilleurs auraient suffoqué.»

Or, à l’époque, une telle technologie ne se retrouvait que dans quelques villes du centre de la Toscane. Mis à part à Locarno, tous les belluards construits en 1507 dans le Milanais sont d’une conception plus ancienne.

Dans ces conditions, que pouvait donc bien faire un belluard moderne à Locarno? Pour l’expliquer, Marino Viganò reprend une piste déjà évoquée en 1894 par le médiéviste tessinois Johann Rudolf Rahn, celle de Léonard de Vinci, le seul ingénieur militaire toscan capable de concevoir un édifice aussi complexe dans une région aussi excentrée par rapport au centre de l’Italie.

«En 1507, il n’y avait à Milan qu’un seul Florentin disposant des connaissances nécessaires: Léonard, déjà ingénieur militaire pour le compte du duc Ludovic Sforza, explique Marino Viganò. En 1499, à l’issue d’un premier séjour dans la capitale du duché, il avait d’ailleurs donné aux Français les plans de deux belluards similaires pour le château de Milan, terminés en janvier 1500.»

Un véritable faisceau d’indices

Il n’y a aucune preuve définitive que Léonard est à l’origine du belluard de Locarno, mais un véritable faisceau d’indices laisse penser que cette théorie est la bonne.

«Il n’existe pas de documents qui attribuent avec certitude la paternité de l’édifice à Léonard, notamment parce qu’ils sont rares et souvent incomplets, reconnaît Marino Viganò. Mais toutes mes recherches, dont certaines encore en cours, me portent raisonnablement vers cette conclusion.»

Bonne nouvelle pour l’historien: son travail a été accueilli avec intérêt par deux experts: Domenico Taddei, président du conseil scientifique de l’Institut italien des châteaux, et Pietro Cesare Marani, spécialiste de l’architecture militaire de Léonard de Vinci.

swissinfo, Françoise Gehring, Locarno
(Traduction de l’italien: Olivier Pauchard)

15 avril 1452: naissance de Léonard
1467: apprentissage dans l’atelier du Verrocchio à Florence.
1476: premier tableau personnel, la Madone à l’œillet.
1482-1499: premier séjour milanais auprès du duc Sforza.
1502-1506: seconde période à Florence où il peint son tableau le plus célèbre, la Joconde.
1506-1513: second séjour à Milan.
1514-1516: séjour à Rome.
1516-1519: séjour en France, à l’invitation de François Ier.
1519: Décès dans un château près d’Amboise.

– Léonard, l’homme le plus connu de la Renaissance italienne, a brillé dans la peinture et la sculpture, mais s’est aussi intéressé à d’autres disciplines comme l’art militaire, l’hydraulique ou encore l’anatomie.

– En tant qu’inventeur, Léonard a fait œuvre de visionnaire en pensant notamment l’avion, l’hélicoptère ou encore la mitrailleuse.

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