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La «Cellule dormante» qui ne se réveillera jamais

Christian Lecomte
Christian Lecomte avec «Noir Assis», le personnage le plus statique de son roman. swissinfo.ch

Un roman sur le djihad avec une sorte de happy end. Loin de toute mièvrerie, Christian Lecomte livre un récit solidement documenté et tellement plausible - quand on le voit avec des yeux d’enfant.

Tout commence par un coup de boule. Quand Zinédine Yazid Zidane jette Marco Materazzi à terre ce 9 juillet 2006, il tue peut-être les chances de la France de décrocher une deuxième Coupe du Monde, mais surtout, il venge l’honneur de sa sœur. Dans sa cité du 9-3, Nissam admire beaucoup «Yazid». Et lui aussi veut venger sa sœur. Il se met à «bouler» tous ceux qui l’ont «kéni». Sauf que l’un d’eux a une faiblesse cardiaque, et qu’il en meurt. Sur le coup.

Ainsi démarre Cellule dormanteLien externe (aux éditions Favre), le nouveau roman de Christian Lecomte, aujourd’hui reporter au quotidien «Le Temps», après l’avoir été notamment à «Ouest-France» et au «Monde». Ce coup de boule va jeter Nissam sur les routes des exils les plus improbables, qu’il va vivre au début à la manière d’un Forrest Gump – autre grande référence culturelle pour cet ado des banlieues.

Ce n’est pas la première fois que Christian Lecomte adopte le point de vue d’un candide. Dans «Le jour où j’ai tordu mon pied dans une étoile» (Prix spécial de l’Unicef et Prix du Premier Roman de Chambéry), c’est un enfant qui raconte le siège de Sarajevo, où l’auteur a été correspondant pendant six ans. Pour lui, «l’enfant voit immédiatement les choses. Il a un regard peut-être naïf, mais exact».

La haine? connais pas

Nissam n’est plus tout à fait un enfant, mais il en a encore la candeur, et le langage fleuri. Et surtout, il semble ignorer la haine, dont on fait pourtant souvent une composante centrale du vécu des jeunes des cités. «Il en a le vocabulaire, précise l’auteur. Mais il ne fait que répéter ce qu’il entend et en fait, il n’est pas convaincu du tout».

Exfiltré en Algérie après son forfait, Nissam va pourtant se trouver embrigadé dans un groupe djihadiste, sans vraiment s’en rendre compte au début. Il vole des extincteurs dans les bâtiments publics, dont ses camarades se servent pour fabriquer des bombes. Mais tout cela reste un peu du domaine du jeu, à l’instar du nom que sa cellule va lui donner: Tom Algéri («parce que j’aimais lire des Tom et Jerry pendant que les autres jouaient à la Game Boy – ma mère n’avait pas les moyens de m’acheter une Game Boy»).

La force de l’imprévu

Jugé comme un bon élément par son émir, Tom est renvoyé en Europe comme cellule dormante. Il doit «se tenir prêt pour quelque chose de grand». Mais rien ne va se passer comme prévu.

«Son destin se joue sur des rencontres, raconte Christian Lecomte. Il est à la marge, alors il rencontre des gens qui le sont aussi. Mais ce sont de belles personnes, comme le rescapé des camps nazis, les bonnes sœurs dans un couvent ou le gardien d’une grotte du paléolithique. Ce sont des gens qui lui apportent une espèce de rédemption, qui va le faire s’écarter du djihad».

Et petit à petit, l’enfant évolue, sans pour autant perdre son âme. «L’enfant est capable d’évacuer les choses, les souvenirs qui ne sont pas utiles. L’adulte non», ajoute l’auteur, qui comme son personnage s’est un peu laissé guider par les rencontres. «Au départ, je ne prévoyais pas forcément de happy end, mais je me suis dit que pour ce garçon qui avait déjà perdu son père, sa mère et sa sœur, c’en était assez…»

Livia, princesse en fauteuil

Le destin de Tom prend finalement les atours d’une jeune fille de 16 ans, Livia, visage d’ange et corps d’handicapée, «une étoile, une princesse en fauteuil, qui chante comme Edith Piaf». Elle appartient à la communauté rom, où Tom se réfugie lors de son passage à Genève, et où il est accueilli à bras ouverts. Ses noces avec Livia sont célébrées avec toute la pompe dont est capable un peuple qui vit sous les ponts.

Christian Lecomte a une tendresse particulière pour les Roms. «Quand est arrivée la vague d’attentats terroristes sur l’Europe, le regard des médias s’est un peu détourné d’eux, alors qu’ils avaient été vraiment honnis. Pourtant, ils n’ont jamais tué personne. En Bosnie, il y a beaucoup de tziganes. Ils ont une culture d’accueil, de musique, de fête. J’adorais passer du temps avec eux».

Ce que l’écrivain doit au journaliste

Ces passages où se croisent les Roms et les migrants du quartier genevois des Pâquis, on les sent fortement documentés. Comme les chapitres qui se passent en Algérie, où l’auteur a séjourné cinq ans, ou encore sur le cimetière des rames SNCF à Culoz, où vit tout une colonie de marginaux, ignorée du monde alentour.

C’est que Christian Lecomte est aussi journaliste. «Je ne le suis pas toujours, mais quand on fait un article, il y a des tas d’éléments que l’on collecte et qu’on ne peut pas utiliser, parce que c’est de l’ordre de l’intime. Mais on peut les mettre dans un livre».

Ou aller les confier à «Noir Assis», la statue du migrant qui trône à la sortie de la galerie souterraine de la gare centrale de Genève. Dans le livre, c’est un personnage important, à qui Tom vient souvent faire des confidences. Aujourd’hui encore, l’auteur le salue au passage, à la fois rassuré et content qu’il soit toujours en place et que personne n’ait jamais eu la triste idée de le vandaliser.

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