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Un mépris persistant à l’encontre de l’Afrique

Ngalasso Mwatha Musanji, sociolinguiste congolais, au Salon africain du livre à Genève. swissinfo.ch

Emblématique d'un regard toujours condescendant porté sur le continent noir, le discours prononcé l'été dernier à Dakar par le président Sarkozy continue d'agiter les esprits, comme en témoignent plusieurs débats tenus au Salon africain du livre à Genève.

Pour la cinquième fois, Genève a accueilli le Salon africain du livre, de la presse et de la culture, cela dans le cadre du Salon du livre.

Initiateur de nombreux débats, le salon africain s’est fait l’écho d’une indignation persistante face au discours de Nicolas Sarkozy prononcé le 26 juillet 2007 à Dakar. Un discours décrivant un «homme africain» vivant en symbiose avec la nature depuis des millénaires et l’appelant à entrer dans l’histoire.

Sociolinguiste et directeur du Centre d’études linguistiques et littéraires francophones et africaines, Ngalasso Mwatha Musanji a élaboré avec une vingtaine de contributeurs une réplique intitulée «L’Afrique répond à Sarkozy», un livre paru il y a deux mois environ. Interview.

swissinfo: Près d’une année après le discours retentissant de Nicolas Sarkozy à Dakar, avez-vous le sentiment que c’était un dérapage ou un propos délibéré?

Ngalasso Mwatha Musanji : Ce discours était annoncé dés la campagne électorale du candidat Sarkozy à la présidence française, avec la promesse d’une rupture avec la Françafrique. Je ne crois donc pas un seul instant qu’il puisse s’agir d’un dérapage. Il a longuement été préparé.

Après ce discours et les nombreuses réactions qu’il a suscitées, le président français a un peu changé de tonalité, notamment quelques semaines plus tard à Johannesburg en Afrique du Sud, faisant croire à certaines personnes que son discours de Dakar était un dérapage.

Mais chassez le naturel, il revient au triple galop, comme en témoignent les propos tenu à Tunis le 29 avril dernier, où Nicolas Sarkozy a déclaré aux Tunisiens: « Vous avez une main d’œuvre qui ne demande qu’à être formée. Nous avons beaucoup d’intelligence et beaucoup de formations.»

Ces propos participent du même raisonnement que celui fait à Dakar: en Afrique, il n’y a que les matières premières.

swissinfo: Avez-vous le sentiment que cette vision est répandue en Europe ?

N. M. M. : Je pense que ce qu’on appelle l’européocentrisme n’est pas une fiction. L’Europe s’est habituée à l’idée d’être le premier des continents, c’est-à-dire à dominer le monde depuis plusieurs siècles. D’où un sentiment de supériorité encore marqué.

Mais il y a également une spécificité française. Ce pays a en effet été l’une des plus grandes puissances coloniales. Je pense qu’on ne trouve pas le même aspect dominateur dans un pays comme la Suisse qui n’a jamais connu d’expansion coloniale.

Quoi qu’il en soit, le discours de Dakar était une gaffe majeure. Son grand objectif était de freiner l’immigration venue d’Afrique. Mais pour dire cette chose simple, Nicolas Sarkozy a pensé qu’il fallait accabler les Africains au travers d’une vision d’un étonnant archaïsme.

swissinfo: La Suisse a diffusé en Afrique un clip incitant les jeunes de ces pays à rester chez eux, en pointant la misère et le racisme qu’ils connaîtraient en Europe. Une action légitime?

N.M.M. : Il est parfaitement normal qu’un Etat souverain gère et contrôle de manière responsable la question de l’immigration. D’ailleurs les pays africains devraient faire la même chose, y compris entre eux, puisqu’il y a d’importants mouvements migratoires à l’intérieur de l’Afrique.

Mais cette question ne peut pas être gérée de façon autoritaire et unilatérale. Il faut bien comprendre que les Africains ne viennent pas en Europe pour le plaisir. Beaucoup d’entre eux prennent des risques souvent mortels.

Si nous voulons inverser cette tendance, il faut s’attaquer aux causes de cette migration, à savoir le manque de démocratie et l’absence de travail. Regardez la quantité d’intellectuels qui sont établis hors d’Afrique.

Nous avons étudié pour être utiles à nos pays. Mais nous nous trouvons souvent dans l’impossibilité de le faire.

Pour leur confort, les anciens colonisateurs préfèrent favoriser des régimes fantoches, prédateurs, qui défendent leurs propres intérêts au détriment de celui de leur peuple. Dans ces conditions, les peuples se sentent abandonnés et vont chercher ailleurs. L’émigration est avant tout un appel au secours, non une volonté d’invasion.

swissinfo: La Suisse connaît régulièrement des campagnes de votations marquées par une stigmatisation des étrangers, en particulier africains. Quelle est votre réaction?

N.M.M. : Comme le soulignent de nombreux observateurs, ce phénomène de racisme est relativement nouveau. Ce qui donne de l’espoir. Ce n’est pas forcément dans la nature des gens de réagir de la sorte. Sous la pression des difficultés économiques qui n’épargnent pas les pays développés, chacun lutte pour sa survie, y compris en Europe. Le sentiment qu’un étranger est en train de prendre notre pain est donc compréhensible et il existe aussi bien en Europe qu’en Afrique.

Ce qui est condamnable, c’est le discours irresponsable des hommes politiques qui exploitent ces craintes et qui les légitiment.

Interview swissinfo, Frédéric Burnand, Genève

Près de 100 000 personnes ont afflué au 22e Salon international du livre et de la presse organisé à Genève. Durant cinq jours, il a accueilli 555 exposants et une pléiade d’auteurs, ont indiqué dimanche les organisateurs.

L’an dernier, 115 000 personnes s’étaient déplacées. Ce premier week-end de mai presque estival en Suisse a quelque peu freiné l’affluence, estiment les promoteurs du salon.

Pour la 5e année consécutive, le Salon du livre de Genève a accueilli son frère africain.

Soutenu par l’Organisation de la francophonie et la L’Agence suisse de coopération et de développement (DDC), le Salon africain du livre, de la presse et de la culture a permis de découvrir de nombreux ouvrages d’auteurs africains.

Nombre de ces écrivains participent à une trentaine de débats, dont Wole Soyinka, Sami Tchak, Wilfied N’Sondé ou Issouf Ag Maha.

Patronné par la DDC, le Prix Ahmadou Kourouma a été remis au philosophe tchadien Nimrod, pour son roman Le bal des princes, édité chez Actes Sud.

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