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Peu de marge pour les amnisties fiscales cantonales

Le monde politique tessinois s'est déchiré pendant des années sur les termes d'une amnistie fiscale. Ti-Press

Certains cantons cherchent parfois à inciter leurs contribuables en délicatesse avec le fisc à sortir du bois à la faveur d’une amnistie. Les citoyens tessinois ont accepté le principe, mais le Tribunal fédéral tranche: une telle mesure est incompatible avec la Constitution fédérale.

Le monde politique du canton du TessinLien externe s’est affronté pendant des années à propos de la forme à donner à une amnistie fiscale. Pour encourager les contribuables à déclarer leur éventuel argent noir, ils ont enfin réussi à se mettre d’accord pour que les contrevenants ne remboursent que 30% des impôts sur les sommes soustraites durant les dix dernières années. Seul l’impôt fédéral direct aurait dû être remboursé dans sa totalité. Une offre alléchante.

Pour une question de principe, le Parti socialiste (PS) s’est toujours opposé à toute amnistie. Mais la majorité du parlement cantonal a suivi la proposition du gouvernement en 2013 et voté en faveur du texte proposant un rabais de 70% sur les arriérés à payer.

Le PS a lancé un référendum mais a échoué à convaincre le peuple: en mai 2014, ce dernier a accepté l’amnistie fiscale, avec une majorité de 52,9% des suffrages. La mise en application était prévue rétroactivement au 1er janvier 2014 pour deux ans. Le canton espérait ainsi encaisser environ 35 millions de francs d’arriérés et intérêts en retard.

Violation de l’égalité juridique et fiscale

Et voilà maintenant que le Tribunal fédéral met son holà: la solution tessinoise constitue une violation de l’égalité juridique et fiscale. Non seulement elle contredit la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID)Lien externe, mais elle est incompatible avec la Constitution fédérale, peut-on lire dans le jugementLien externe en date du 30 mars. Même le référendum n’y change rien: les deux articles de la loi fiscale cantonale doivent être supprimés.

La Cour s’appuie en particulier sur la dénonciation spontanée non punissable au niveau fédéral, entrée en vigueur le 1er janvier 2010. La réglementation prévoit que les contrevenants peuvent se dénoncer spontanément de manière non punissable une fois dans leur vie, mais qu’ils doivent rembourser entièrement aussi bien les arriérés de l’impôt fédéral direct, que ceux concernant les impôts cantonaux et communaux.

Dénonciation spontanée non punissable

Après des années de débat, la Confédération a mis en place en 2010 une procédure simplifiée pour les cas de soustraction d’impôts en cas de succession.

Les contribuables ne paient qu’un rappel d’impôt et l’intérêt moratoire. L’impunité n’est accordée que lorsque les autorités fiscales n’avaient pas encore connaissance de la soustraction d’impôt. Dans ce cas, ils payent un rappel d’impôt moins élevé.

Les contribuables qui se dénoncent eux-mêmes pour la première fois peuvent échapper à toute punition mais devront payer le rappel d’impôt et les intérêts moratoires au plus pour les dix ans précédents.

Le verdict de la cour fédérale a donc donné raison aux plaignants socialistes. Et désavoué la majorité du gouvernement, du parlement et du peuple.

La cour estime que l’amnistie cantonale constitue une violation claire de la Constitution fédérale en ce qui concerne le principe de l’égalité de traitement en matière de droit fiscal ainsi que le principe de l’imposition selon la capacité économique.

Les plaignants avaient argumenté que les contribuables qui auraient dissimulé des revenus et des fortunes seraient favorisés par rapport aux contribuables qui ont toujours annoncé correctement leur situation financière. La justice partage cet avis.

Un précédent

Le jugement a d’importantes conséquences. «C’est la mort des amnisties fiscales cantonales», réagit Marco Bernasconi, professeur de droit fiscal à la Haute-Ecole spécialisée de la Suisse italienne (Supsi). Les cantons qui prévoient des amnisties allant au-delà des dénonciations spontanées non punissables n’ont plus qu’une très petite marge de manœuvre, selon lui.

A Genève, une expertise juridique était déjà parvenue à cette conclusion. Ce qui n’a pas empêché un autre canton, celui du Jura, de mener à terme une amnistie (celle-ci n’a fait l’objet d’aucun recours). Cette opération, d’une durée de cinq ans, s’est achevée à la fin 2014. Elle a permis de faire remonter à la surface environ 500 millions de francs d’argent au noir.

Suivant une procédure d’annonce simplifiée et discrète, les contribuables concernés du canton du JuraLien externe pouvaient remplir un formulaire sur Internet et indiquer le montant non déclaré, sans avoir à expliquer la provenance de l’argent ni pourquoi ils ne l’avaient pas déclaré.

Le canton de FribourgLien externe aspire à une solution semblable et devrait déposer sa proposition d’ici à l’automne 2015. Après le jugement du Tribunal fédéral, le gouvernement cantonal devra peut-être revoir sa copie.

Succès de la dénonciation spontanée

Mais même en l’absence de mesures plus clémentes de la part des cantons, l’instrument de la dénonciation spontanée non punissable, la “petite amnistieLien externe“, a fait ses preuves. Depuis sa mise en place par la Confédération en 2010, plus de 15’000 dénonciations spontanées sont parvenues au Département fédéral des finances.

Pour la seule année 2014, 21 cantons ont annoncé un record de 7569 dénonciations, ce qui a fait remonter des milliards à la surface. Le Tessin en a enregistré très exactement 440 pour une somme globale de 780 millions de francs.

Amnistie générale de 1969

La dernière amnistie fiscale générale pour la Confédération, les cantons et les communes est intervenue en 1969. En 1972, le Conseil fédéral a estimé l’ensemble de la fortune amnistiée à 11,5 milliards de francs.

Quelques tentatives ont ensuite eu lieu au parlement dans les années 1980 et, chaque fois, le monde politique n’a pas réussi à s’entendre sur les modalités d’une telle mesure. 

En 2013, le fisc du canton de Zurich a même reçu 1300 dénonciations spontanées de revenus et de fortunes non déclarés. La tendance est généralement à la hausse, d’autant plus que le secret bancaire pourrait également disparaître à terme pour les contribuables suisses. Les banques se préparent en effet à devoir transmettre aux autorités fiscales des informations portant également sur leur clientèle suisse dans quelques années.

C’est précisément la raison pour laquelle Marco Bernasconi plaide en faveur d’une nouvelle amnistie fiscale générale. Dans ces circonstances historiques, il est convaincu qu’une sorte d’acte de grâce est nécessaire car beaucoup de petits épargnants souhaitent se mettre en règle car «la soustraction fiscale est un phénomène qui touche toutes les classes sociales.» 

(Traduction de l’allemand: Isabelle Eichenberger)

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