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Une poignée de main qui agite toute la Suisse

Le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas serre cordialement la main d'Hillary Clinton, bien que l'ex-Secrétaire d'Etat américaine soit une femme. Keystone

Ces derniers jours, la Suisse a vécu un emballement médiatique sur le thème de la poignée de main qui s’est propagé sur les réseaux sociaux et même jusqu’à l’étranger. En cause: deux élèves syriens dispensés par la direction de leur école de serrer la main à leur institutrice pour des motifs religieux.

Selon une interprétation des textes islamiques, les hommes et les femmes ne devraient pas se toucher lorsqu’ils n’ont pas de lien de parenté ou qu’ils ne sont pas mariés. Pour une minorité de musulmans pratiquants, cette interdiction concerne également la poignée de main. Deux jeunes Syriens de l’école secondaire de Therwil, dans le canton de Bâle-Campagne, ont ainsi refusé de serrer la main de leur institutrice au moment d’entrer ou de sortir de la classe, comme cela se fait généralement dans les écoles suisses.    

Après des discussions avec les parents qui n’ont abouti à aucune solution, l’école a convenu avec les élèves qu’ils ne devraient à l’avenir plus serrer la main de leurs enseignantes ni de leurs enseignants. Cet accord n’a cependant pas été accueilli comme un bon «compromis suisse». Il a au contraire suscité l’indignation des associations d’enseignants, des médias, et des politiciens. Le tollé a également pris une ampleur considérable sur les réseaux sociaux.  

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Argument principal avancé: la poignée de main appartient à la culture helvétique comme un geste de politesse important. Celui qui vit en Suisse doit s’adapter à ces pratiques. La «dispense de poignée de main» à l’école secondaire de Therwil est donc méprisant pour les femmes et discriminatoire.

La ministre de la Justice, la socialiste Simonetta Sommaruga, s’est immiscée en personne dans le débat. Elle n’a pas mâché ses mots dans l’émission 10vor10 de la chaîne de télévision publique germanophone SRF. «Cela ne va pas du tout lorsqu’un enfant ne serre pas la main d’un enseignant. On ne peut pas l’accepter au nom de la liberté de croyance», a-t-elle déclaré. Aux yeux de Simonetta Sommaruga, la poignée de main fait partie de la culture suisse. «Ce n’est pas comme cela que je conçois l’intégration», a-t-elle ajouté.

Des écoles juives non mixtes

Le débat n’est toutefois pas nouveau. Les juifs orthodoxes évitent également le contact physique entre hommes et femmes. Selon Herbert Winter, président de la Fédération suisse des communautés israélites Lien externe (FSCI), aucun problème n’a jusqu’à présent été signalé concernant des élèves juifs. «La grande majorité des juifs suisses n’ont absolument aucun problème avec la poignée de main», déclare-t-il. Et de souligner que les jeunes qui ne souhaitent pas serrer la main d’une femme fréquentent généralement les écoles privées juivesLien externe. «Là, le problème ne se pose pas», explique Herbert Winter, puisque les écoles juives orthodoxes sont séparées entre sexes.

Il n’existe en revanche que peu d’écoles musulmanes privées en Suisse. Les jeunes musulmans fréquentent en règle générale l’école publique ou des écoles privées non religieuses. Assiste-t-on pour autant à des discussions régulières autour de ce thème de la poignée de main?

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Pas du tout, affirme Jasmin El-Sonbati, Suissesse de confession musulmane et auteure du livre «Mosquées sans minarets». Cet emballement médiatique n’est en rien représentatif de ce que l’on observe dans la réalité. «Il s’agit de cas individuels que l’on peut compter sur les doigts d’une main», affirme-t-elle. Jasmin El-Sonbati sait de quoi elle parle, puisqu’elle enseigne dans un lycée. Des concessions sont certes accordées aux musulmanes pratiquantes, mais cela concerne surtout le port d’un burkini lors des cours de natation.

Il est tout à fait atypique qu’un jeune musulman refuse de serrer la main d’une femme, selon Jasmin El-Sonbati. «Dans la culture arabo-musulmane, l’enseignante ou l’enseignant est une figure que l’on respecte», relève-t-elle. Le refus de la poignée de main est une habitude «néo-islamique», que Jasmin El-Sonbati juge totalement inacceptable. Elle regrette l’incident, qui, craint-elle, avec un tel écho médiatique, ne fera que péjorer un peu plus l’image déjà très ternie de l’islam en Suisse et en Europe.

«Il s’agit de cas individuels que l’on peut compter sur les doigts d’une main»

Célébrité douteuse

Si cet incident a atteint une telle disproportion, c’est parce que le sujet irrite énormément, estime Jasmin El-Sonbati. Elle ne connaît pas le cas spécifique, mais juge tout à fait plausible que les jeunes aient voulu se démarquer et se mettre en évidence en refusant de serrer la main de leur institutrice. Un pari douteux mais réussi, puisque ces élèves ont désormais accédé à la notoriété nationale voire internationale.

Le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommesLien externe (BFEG), se montre lui aussi sceptique face à cet emballement médiatique: il se contente d’indiquer à swissinfo.ch qu’il partage entièrement la position de Simonetta Sommaruga. Sylvie Durrer, directrice du BFEG, ne souhaite pas s’immiscer dans le débat. «Tout a déjà été dit à ce sujet. Nous ne voulons pas enflammer davantage la discussion».

Reste à savoir quelle suite sera donnée au cas de Therwil. Le Département de l’éducation cantonal devra se prononcer sur la dispense. La directrice de l’instruction publique du canton de Bâle-Campagne a déjà laissé entendre dans les médias que cette dispense n’était pas une solution durable. Le canton veut d’abord éclaircir la question via un avis de droit. Dans une tradition toute helvétique.

(Traduction de l’allemand: Samuel Jaberg)

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