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Déboires de Xamax: la Bundesliga comme modèle?

Bulat Chagaev, un homme qui déchaîne les passions à Neuchâtel. Keystone

Les signes d’une banqueroute sont de plus en plus perceptibles à Neuchâtel Xamax, repris au printemps par l’investisseur tchétchène Bulat Chagaev. Pour éviter de tels cas de figure, la Ligue suisse de football veut durcir les règles du jeu. Et si l’Allemagne était prise en exemple?

Tout a débuté à la fin du printemps, dans les couloirs du stade de la Maladière, avec des charrettes d’entraîneurs, de joueurs et de fonctionnaires mis à la porte en l’espace de quelques semaines.

Jusque-là, et malgré les craintes qui ont marqué l’arrivée de Bulat Chagaev à Neuchâtel, l’impulsif investisseur tchétchène ne faisait finalement que reproduire les méthodes de management expéditifs de Christian Constantin, son homologue à la tête du FC Sion.

Quant aux chants traditionnels tchétchènes diffusés à la pause des matches, aux bras d’honneur distillés par l’investisseur tchétchène à l’égard des quelques spectateurs qui daignaient encore se rendre au stade et l’irruption de gardes du corps armés dans les vestiaires un soir de défaite, ils ont fait bouillonner la presse suisse durant tout l’été.

Mais tout cela n’était finalement que de l’histoire interne. Jusqu’à ce que Xamax et Bulat Chagaev ne tombent sous l’épée de la justice civile et pénale. Les accusations sont graves: Bulat Chagaev, acculé par ses créanciers, aurait falsifié un document officiel pour éviter que son club ne soit mis en faillite. En début de semaine, des perquisitions ont été effectuées au siège du club à Neuchâtel et dans les bureaux de l’homme d’affaires tchétchène à Genève.

Le bon élève allemand

Quelle que soit l’issue pour le club et son président, le cas Xamax/Chagaev souligne de manière alarmante le danger que peuvent représenter les investisseurs-mécènes pour le football suisse. Joueurs, staff technique et administratif pourraient rapidement se retrouver sur la paille. Et en dehors du club, c’est toute une région et ses entreprises qui pourraient subir des dommages collatéraux. De nombreux clubs suisses ont déjà connu pareille spirale négative: un investisseur étranger à la recherche d’un nouveau jouet s’achète un club, y investit beaucoup d’argent, s’en lasse et quitte le club en y laissant derrière lui une montagne de dettes et un fiasco sportif.

En Allemagne, un tel scénario n’est pas envisageable. La Fédération allemande de football (DFL), qui encadre la première et la deuxième division, est souvent citée en exemple pour sa gestion économique rigoureuse.

La formule du succès réside en grande partie dans la règle du «50+1», mise en place pour forcer les membres d’un club à garder le contrôle de leur association. Un investisseur ne peut ainsi pas prendre la majorité des voix d’un club, même s’il est en possession de 80% ou 100% des actions. La règle a été quelque peu assouplie récemment, mais son esprit reste intact.

Un jouet pour milliardaires

«La règle du ‘50+1’ est garante de pérennité», affirme Kay Langdorff, porte-parole de la DFL. En Allemagne, le cycle infernal engagé à Neuchâtel serait tout simplement impensable, soutient Kay Langdorff.

«Qu’est-ce que cela apporte au football lorsque des multimillionnaires ou des milliardaires se lancent dans une course pour savoir qui possède le plus d’argent et est capable de s’acheter les meilleures stars?», questionne le porte-parole de la DFL. «Au final, ce jeu-là ne profite qu’à une seule personne», résume-t-il.

Avec la règle du «50+1», l’association reste toujours maître dans sa propre demeure. Et c’est pourquoi Kay Langendorff peut recommander sans aucune hésitation aux autres ligues d’appliquer ce modèle.

Un football attractif

Au vu des derniers développements à Neuchâtel, l’Association suisse de football (ASF) se prépare au pire. «J’espère que Xamax puisse au moins terminer le championnat», affirme Roger Müller, porte-parole de la Ligue. Si Xamax venait à être écarté du présent championnat, ce ne serait pas seulement un coup dur pour les fans du club neuchâtelois, mais également pour les autres clubs suisses, qui devraient finir la saison à neuf équipes, souligne Roger Müller.

Sans compter les dommages à l’image pour l’ensemble du football suisse, dont la renommée a fortement augmenté ces dernières années, en raison notamment de l’excellent travail réalisé dans le secteur de la relève par la Fédération et les clubs.

Grâce à la règle du «50+1», les clubs de Bundesliga sont pratiquement les seuls en Europe à pouvoir s’appuyer sur un travail associatif offrant des perspectives à long terme pour le football de haut niveau. Cela se ressent sur le terrain, puisque lors des deux dernières Coupes du monde, la «Mannschaft» a présenté un football offensif attractif et a brillé par ses qualités techniques et tactiques.

Pas applicable en Suisse  

Mais le succès est également perceptible dans les tribunes. Avec une affluence moyenne de 41’904 spectateurs par match, la Bundesliga est de loin le championnat qui attire le plus de supporters en Europe. Couplé à des prix de billets très abordables, le cadre strict prôné de Munich à Hambourg permet à la Bundesliga d’enregistrer chaque année de juteux bénéfices, une exception dans le paysage européen.

Malgré l’évidence, la clause de protection mise en place en Allemagne n’entre pas en ligne de compte pour les clubs suisses, selon le porte-parole de la Ligue: «En raison de la difficulté à mettre en place la règle ‘50+1’ dans le système de contrôle suisse, un tel processus est irréaliste. Cela irait trop loin».

La Ligue nationale étudie en revanche la possibilité d’un renforcement des mesures réglementaires afin de disposer de meilleures possibilités de contrôle et d’intervention lorsqu’un club change de propriétaire, souligne Roger Müller.

Les clubs décideront

«Les clubs qui changent de propriétaire après avoir reçu leur licence seront contraints de livrer à nouveau des chiffres et de prouver qu’ils peuvent assurer financièrement le budget pour la saison», affirme Roger Müller.

Les 26 clubs de première et deuxième division suisse doivent se prononcer sur cette proposition lors de l’assemblée générale de la Ligue, qui aura lieu prochainement. S’ils venaient à l’accepter, la surveillance accrue n’entrerait cependant en vigueur qu’au début de la saison 2013/14.

La procédure d’attribution des licences pour la prochaine saison débute en décembre de cette année et sera encore menée sur la base de l’ancienne règlementation. Bien de l’eau aura encore certainement coulé sous les ponts de Neuchâtel d’ici là.

Controversé. L’homme d’affaires tchétchène Bulat Chagaev a repris en mai 2011 les rênes de Neuchâtel Xamax, succédant à l’entrepreneur neuchâtelois Sylvio Bernasconi. Personnage au tempérament sanguin, il a usé depuis son arrivée à Neuchâtel de méthodes musclées qui ont suscité de vives réactions jusque dans le monde politique.

Doutes. Le 2 novembre, un tribunal de Neuchâtel a refusé de déclarer le club de football en faillite, à la suite d’une demande en ce sens d’un créancier qui réclame son dû. Mais plusieurs médias ont mis en cause l’authenticité d’une attestation de la Bank of America, certifiant que Bulat Chagaev détient 35 millions de dollars auprès de l’établissement.

Justice. Suite à ces révélations, le parquet de Genève a procédé à des perquisitions au siège des sociétés de Bulat Chagaev, actives dans le négoce de matières premières et dans l’immobilier. Des perquisitions ont également eu lieu au siège du club à Neuchâtel.

Amende. La Ligue suisse de football (SFL) a parallèlement infligé une amende de 20’000 francs au club pour non-respect des dispositions du règlement sur l’octroi des licences. Par ailleurs, la Ligue a indiqué n’avoir toujours pas reçu la confirmation du versement des salaires du mois de septembre, qui aurait pesé dans la décision du juge de rejeter la mise en faillite du club.

En 2005, le FC Servette, en mains du Français Marc Roger, a été contraint de déposer le bilan. Le club genevois, qui évoluait alors en première division, a été relégué en première ligue.

En raison d’une dette atteignant les trois millions de francs, Lausanne-Sports a été contraint de rejoindre le football amateur en 2002. Les deux clubs romands ont retrouvé la première division au printemps 2011.

C’est en 2002 également que la Ligue nationale a prononcé la relégation forcée du FC Lugano et du FC Sion. Les Valaisans ont toutefois contesté la décision devant la justice. Ils ont ainsi pu continuer à évoluer en Super League.

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