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Des multinationales de plus en plus sous pression

La chaîne de café Starbucks est sous le feu dex critiques au Royaume-Uni pour n'avoir déclaré qu'un exercice bénéficiaire depuis 15 ans. AFP

Grâce à la pratique dite des prix de transfert, les multinationales peuvent rapatrier leurs bénéfices d’un pays à l’autre en toute simplicité. Avec sa fiscalité modérée, la Suisse attire ces sociétés comme des aimants. Mais les critiques se font de plus en plus virulentes.

La pratique légale en matière de prix de transfert est censée garantir une taxation équitable pour les grandes entreprises actives dans de nombreux pays. Mais de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer un système amplement manipulé qui a au final produit l’effet inverse.

Prenons l’exemple d’une entreprise qui fabrique des composants dans un pays, les assemble dans un autre, puis les commercialise dans le monde entier depuis un troisième pays, où sont regroupés ses services administratifs et de vente. Chaque unité du groupe facture les autres unités pour ses services, en transférant le prix de son travail à l’intérieur du groupe. Les profits que chaque unité accumule sont taxés dans le pays où elle est enregistrée.

En surfacturant ses services, le siège administratif du groupe, très souvent établi dans un paradis fiscal, peut y rapatrier une bonne partie de ses bénéfices et ainsi économiser d’importantes sommes d’impôts.

Le phénomène n’est pas récent: les multinationales sont depuis longtemps accusées de rapatrier les bénéfices réalisées dans les pays en développement vers des paradis fiscaux. En Grande-Bretagne, les révélations récentes quant aux pratiques de multinationales telles qu’Alliance Boots, SAB Miller, Vodafone, Nissan ou Starbucks ont toutefois fait l’effet d’une bombe. Dans chaque cas mis à jour, la Suisse fait figure de bénéficiaire significatif de ces pratiques.

En tête de liste

La Suisse n’est cependant pas le seul pays à héberger des multinationales qui vendent très cher leurs services à leurs filiales à l’étranger. L’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg ou encore les Bermudes font partie des pays préférés par les multinationales pour y établir leurs quartiers généraux.

Alliance Sud, la communauté de travail pour la politique de développement de cinq ONG suisses, est cependant convaincue que le système fiscal helvétique permet à la Suisse de jouer un rôle de premier plan dans ce système global des prix de transfert. Les cantons peuvent en effet y mener une politique d’imposition très attractive en ce qui concerne les profits réalisés à l’étranger.

«La Suisse offre d’excellentes opportunités pour mettre en place des prix de transfert surfaits, ceci en raison du régime spécial de taxation cantonal, affirme Mark Herkenrath, porte-parole d’Alliance Sud. Il s’agit d’une invitation ouverte aux multinationales actives dans les pays en développement à rapatrier leurs bénéfices en Suisse».

Plus important que l’aide

Sachant que près de 60% des échanges internationaux sont le fait des grandes entreprises transfrontalières, le manque à gagner peut vite s’avérer très important. En 2009, l’ONG britannique Christian Aid estimait que les abus de ce système causaient chaque année le transfert de 160 milliards de dollars de revenus fiscaux des pays pauvres vers les pays riches.

«Il est probable que le montant des bénéfices imposables aspiré hors des pays en développement par les multinationales est plus important que le total des aides versées au titre de l’aide au développement», estime Mark Herkenrath.

SwissHolding, l’organisation faîtière qui représente les multinationales basées en Suisse, fait valoir que les grandes sociétés transfrontalières respectent les réglementations internationales. «Chaque pays a le droit de taxer la valeur ajoutée créée par les services qui opèrent sur son territoire. Le cadre règlementaire actuel des prix de transfert devrait être suffisant pour s’assurer de la bonne marche de cette pratique», affirme Christian Stiefel, président de Swiss Holdings.

Règles globales

L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a été chargée d’élaborer des normes internationales concernant les prix de transfert. En vertu de celles-ci, les entreprises doivent fournir une justification commerciale viable avant de redistribuer leurs profits à-travers le monde.

Pour s’assurer que les prix de transfert ne sont pas surévalués dans le but d’éloigner les profits de pays gourmands en taxes, les filiales sont tenues de garder leurs distances entre elles. Autrement dit, elles doivent négocier comme si chaque filiale était une entreprise distincte qui fixait ses prix sur un marché libre.

Certaines voix critiques, dont celle d’Olivier Longchamp, de la Déclaration de Berne, une ONG très active sur ces questions, estiment que les entreprises exploitent le fait qu’il est très difficile de calculer la valeur de marché de certains services «invisibles», telles que les «royalties», ces redevances versées pour l’utilisation de la marque.

Pression européenne

Olivier Longchamp doute également de la volonté de la Suisse à faire respecter et évoluer les règles de l’OCDE, une organisation dont elle est signataire. «La Suisse n’est pas victime de ce système. Au contraire, elle en profite au détriment des nations plus pauvres», affirme-t-il.

Les négociations en cours avec l’Union européenne risquent de déboucher sur un accord qui ferait perdre à la Suisse son statut de plateforme d’attraction privilégiée pour les bénéfices des multinationales. Les cantons suisses pourraient devoir abandonner la politique fiscale qui consiste à taxer moins les bénéfices réalisés à l’étranger que localement.

De son côté, SwissHoldings défend le droit ce chaque pays à accueillir des sièges ou des filiales de multinationales. Christian Stiefel souligne que les près de 10’000 multinationales recensées en Suisse y créent près d’un tiers de la totalité des emplois du pays.

«Les entreprises multinationales font figure de ‘success story’ sociale et économique pour la Suisse, affirme-t-il. Nous demandons au gouvernement et aux cantons de formuler urgemment une stratégie claire et compatible au niveau international afin de préserver le statut de la Suisse en tant que place fiscalement attractive pour ces entreprise».

Lorsque l’on parle de prix de transfert, on entend par là l’ensemble des opérations qui permettent de transférer des actifs d’une société à l’autre au sein du même groupe.

En 2002, l’OCDE estimait que près de 60% des transferts mondiaux l’avaient été au sein des multinationales sous la forme de prix de transfert.

Ce système, totalement légal, ouvre cependant la porte au rapatriement de bénéfices de pays à fiscalité élevée vers des Etats considérés comme des paradis fiscaux, notamment via la surfacturation de certaines transactions.

Les «back-office» de ces grandes multinationales, qui ont établi leur siège dans des pays fiscalement attractifs, peuvent par exemple établir des factures salées pour les «royalties» ou les coûts de recherche et développement de produits fabriqués dans d’autres pays.

Les multinationales actives dans le commerce des matières premières, basées pour la plupart en Suisse, sont souvent accusées d’aspirer les bénéfices et les impôts des pays en voie de développement en utilisant des artifices comptables.

Dans des affaires récentes impliquant Alliance Boots, SAB Miller, Vodafone, Nissan et Starbucks, ces entreprises ont été accusées d’avoir utilisé des filiales basées en Suisse pour soustraire des bénéfices à des juridictions plus gourmandes fiscalement.

Le Premier ministre David Cameron et le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble ont récemment appelé les pays influents du G20 à se pencher sur le lien entre les prix de transfert et l’évasion fiscale.

Des marques de prestige telles qu’Amazon ou Google font également l’objet d’une enquête parlementaire britannique pour de telles pratiques.

(Adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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