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D. Leuthard dans un Japon miné par la crise mondiale

Keystone

Le pays du soleil levant est entré en récession, entraîné par la crise économique mondiale. C'est dans ce contexte que la ministre suisse de l'Economie sera sur place le 19 février pour signer l'accord bilatéral de libre-échange passé avec Tokyo.

Doris Leuthard ne restera qu’un jour dans cette deuxième économie de la planète affaiblie par la crise mondiale et rendue ingouvernable par une crise politique endémique.

La ministre estime que la Suisse doit intensifier ses relations économiques avec l’Asie afin que son économie devienne moins dépendante des Etats-Unis.

Mais elle devra déchanter en arrivant au Japon pour signer l’accord bilatéral de libre-échange avec Hirofumi Nakasone, le ministre japonais des Affaires étrangères.

L’économie japonaise est déjà entrée en récession – officiellement – pendant le trimestre de juin à septembre 2008. Les exportations ont chuté de 35% en décembre, un record. Le pays a enregistré le même mois un troisième trimestre consécutif de déficit de sa balance commerciale. Du jamais vu depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

La Banque du Japon prédit deux ans de récession pour la deuxième économie du monde. Une contraction du PIB de 1,8% pour l’année budgétaire 2008-2009 et de 2% pour 2009-2010.

Pour l’ensemble de 2008, l’excédent commercial japonais a fondu de 80%. Soit la plus forte diminution jamais enregistrée. Or, ces dernières années, la croissance japonaise n’était tirée que par les exportations.

Pire. La Banque du Japon estime que cette récession prolongée s’accompagnera d’un retour de la déflation. Les prix à la consommation, hors produits frais, devraient reculer de 1,1% en 2009-2010 et de 0,4% en 2010-2011.

Patrons suisses pessimistes

«L’humeur des chefs d’entreprises suisses au Japon est sombre. Ils réduisent leurs coûts autant qu’ils peuvent», déclare Armin Frauenknecht, le président de la Chambre suisse de commerce et de l’industrie au Japon.

Plus de 200 entreprises suisses employant 40’000 personnes sont actives au Japon. Pour 2009, aucune d’entre elles ne risque la moindre prévision quant à son chiffre d’affaires.

«La machine à exporter japonaise est en panne. Nos commandes de machines-outils ont commence à diminuer il y a six mois. Et ce mouvement risque de s’accélérer en 2009», dit le représentant d’une entreprise suisse de machines-outils à Tokyo, qui ne veut pas être identifié.

Les économistes à Tokyo s’attendent à une très brutale contraction de l’économie japonaise au dernier trimestre de l’année calendaire 2008. Les chiffres officiels du PIB seront connus à la mi-février. «Une chute de 10% ou plus est inévitable», redoute Hiroshi Watanabe, un économiste à l’Institut de recherche Daiwa.

«Pas étonnant, dans ces conditions, si certaines entreprises suisses réduisent leurs contributions à la Chambre de commerce et de l’industrie au Japon», laisse-t-on entendre dans les milieux d’affaires suisses à Tokyo.

La crise politique n’arrange rien

Autre élément, politique celui-là. La popularité du gouvernement de Taro Aso se situe à 19,2% selon une enquête réalisée par l’agence Kyodo. Ce qui augure sans doute d’une défaite du parti conservateur au pouvoir depuis un demi-siècle lors des prochaines élections générales attendues ces prochains mois.

Doris Leuthard, qui reviendra au Japon en octobre prochain à la tète d’une importante délégation économique suisse, sera sans doute reçue par une équipe gouvernementale issue de l’opposition. Et susceptible alors de rendre l’économie japonaise moins dépendante des exportations. De la recentrer sur une demande intérieure au point mort depuis une décennie.

«La Suisse a tord de penser qu’en se tournant vers l’Asie, elle ressentira moins l’impact de la crise mondiale chez elle. Structurellement, l’Asie surproduit et sous consomme. Et elle dépend, plus que toute autre région du monde des exportations vers les Etats-Unis et l’Europe pour sa prospérité», déclare un économiste de la Banque Nomura à Tokyo.

Frustration des patrons européens

La Chambre de commerce européenne (ECB) appelle le Japon à en finir avec sa bureaucratie. «Des réglementations désuètes, une bureaucratie inutile et des intérêts particuliers continuent à étouffer l’innovation, empêchant le développement de nouveaux modèles d’affaires et limitant la croissance des nouvelles entreprises», critique-t-elle dans un document remis au gouvernement japonais.

Les patrons européens préconisent une intégration économique entre le Japon et l’Union européenne. Ensemble, les deux partenaires représentent 40% du PIB mondial.

Encore faut-il une volonté politique partagée. Le Japon hésite encore. L’accord de libre-échange qu’il a conclu avec la Suisse est le premier du genre avec un pays européen. Il lui sert de test en attendant une éventuelle négociation avec l’Union européenne.

Mais la réalité ne laisse guerre de place à la perspective d’une intégration économique entre le Japon et l’Union européenne. La chambre de commerce européenne est la première à l’admettre.

Dans son document, elle écrit: «Alors que la crise mondiale actuelle exige un leadership économique fort, le Japon se confine de plus en plus dans le rôle de simple suiveur».

swissinfo, Georges Baumgartner, Tokyo

PME. Le Japon est à plus de 90% un pays composé de PME qui assurent l’essentiel des emplois.

PNB. C’est aussi, parmi les pays de l’OCDE, celui à afficher le plus bas niveau de créations d’entreprises par rapport au PNB.

Carnets. Les commandes machines sont en train de retomber à des niveaux sans précédent depuis les années 60.

Trésorerie. La Banque du Japon va consacrer un montant de 35 milliards de dollars à acquérir temporairement des billets de trésorerie émis par les entreprises japonaises les mieux cotées. But: faciliter leur refinancement.

Yen. Poumon économique de l’archipel, le secteur d’exportation japonais est pénalisé par la hausse du yen qui s’est apprécié de 30% par rapport à l’euro et au dollars.

Electronique. Sony s’attend à une perte d’exploitation de 2,8 milliards de dollars au terme de l’année fiscale (fin mars). Une première depuis 14 ans. Le leader mondial des écrans plasma Panasonic a décidé de réduire de 24% ses investissements jusqu’en 2012.

Voitures. Numéro un mondial de l’automobile, Toyota subira fin mars la première perte d’exploitation de son histoire. Nissan se prépare aussi à perdre de l’argent.

Confiance. Au Japon, la consommation des ménages est atone. Les profits des entreprises diminuent depuis plus d’un an. L’indice de confiance des patrons japonais au plus bas depuis les chocs pétroliers des années 70.

Salaires. Gros point noir, les salaires diminuent, en termes réels, chaque année depuis plus de quinze ans. Une tendance qui découle de la violente crise financière japonaise des années 90.

Consommation. Les entreprises se sont désendettées. Mais en taillant dans la masse salariale, elles ont découragé les Japonais à consommer. D’autant plus que le travail précaire a progressé. 30% des contrats de travail signés sont des contrats temporaires contre 15% il y a une dizaine d’années.

Chômage. A la fin mars, plus de 80’000 travailleurs précaires vont perdre leur emploi. Les syndicats plaident pour une plus grande stabilité de l’emploi et des hausses de salaires.

Relance. Avec une dette publique à 180% du PIB, le gouvernement éprouve des difficultés à relancer vraiment la croissance. Malgré un budget record de 880 milliards de dollars pour 2009-2010.

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