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Dans l’univers vertigineux des encyclopédies

Le frontispice de l'encyclopédie «Itinera per Helvetiae Alpinas Regiones» de Johann Jakob Scheuchzer.

Comment se constitue le savoir ? La nouvelle exposition de la Bibliothèque nationale explore cette vaste question à partir de l'article du Dictionnaire historique de la Suisse consacré à l'ancienne ministre de la culture Ruth Dreifuss.

Six mots clés, trois paragraphes et une poignée de dates. C’est la formule sous laquelle Ruth Dreifuss, figure politique clé des années 90, passera à la postérité via le Dictionnaire historique de la Suisse.

Actuellement en cours de rédaction, cet ouvrage quadrilingue est la plus importante entreprise de sciences humaines menée par la Confédération.

A ce titre, il est au centre de la nouvelle exposition de la Bibliothèque nationale (BN). A voir à Berne jusqu’au 29 mars, celle-ci tient en fait dans une seule salle.

Sous un titre à consonnance biblique – «Au début est le verbe» – elle traite de l’élaboration d’encyclopédies en Suisse.

Un thème autour duquel la BN et le DHS ont collaboré pour monter cette exposition. Quant au choix de Ruth Dreifuss, il ne s’agit pas tout à fait d’un hasard puisque les deux institutions étaient précisément placées sous son patronage lors de son mandat comme ministre de l’Intérieur et de la Culture entre 1993 et 2002.

A partir de la notice biographique de l’ex-ministre dans le Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), l’exposition met le doigt sur les problèmes de la lexicographie, le nom savant par lequel on désigne la technique de confection des dictionnaires.

Ratures et corrections

«Il ne s’agit pas d’une exposition sur Ruth Dreifuss, mais plutôt sur le travail de bénédictin que représente toute œuvre de type encyclopédique. Un aspect dont leurs utilisateurs ne sont pas forcément conscients», a ainsi souligné mardi Marco Jorio, rédacteur en chef du DHS. A terme, celui-ci comptera quelque 36’000 notices, dont 18’000 sont aujourd’hui disponibles gratuitement sur internet.

C’est le cas par exemple de celle de Ruth Dreifuss. Pour illustrer les choix drastiques auxquels l’article qui lui est consacré a donné lieu, l’exposition s’attarde sur quelques aspects de sa vie et de son activité politique.

Endingen, Genève, judaïsme, féminisme, Christiane Brunner/Francis Matthey, AVS. Ces jalons dans le parcours de la politicienne sont autant de pistes historiques qui ouvrent sur une exploration plus vaste et renvoient à d’autres articles du DHS.

En exposant des versions successives raturées puis corrigées de ces notices, les commissaires de l’exposition Peter Erismann et Andreas Schwab illustrent les défis de la lexicographie. Sélection des sources, des événements, des termes, les auteurs du DHS sont confrontés quotidiennement à des choix difficiles.

«En donnant la parole à des rédacteurs et des traducteurs du DHS à travers des vidéos, nous avons aussi voulu donner un visage humain à cette ample tâche», expliquent les commissaires.

Le nom de la mère

Pour guider le visiteur, ils ont représenté la métaphore de l’arbre du savoir sur le sol de la salle. Utilisée au Moyen Age déjà, elle illustre l’interconnexion des connaissances qui a de tous temps donné le vertige aux lexicographes.

Aux côtés de la traditionnelle vitrine où sont exposées diverses encyclopédies helvétiques anciennes ou plus récentes conservées par la Bibliothèque nationale, une animation interactive permet en outre de se projeter à l’intérieur de l’univers lexicographique de Ruth Dreifuss.

Un univers qui aurait à coup sûr été encore beaucoup plus riche et plus complexe si la subjectivité pouvait y trouver place. Pour l’anecdote, l’ex-ministre, impliquée dans la préparation de l’exposition, a en effet relevé des imperfections dans «sa» notice du DHS: militante féministe de la première heure, elle a tiqué en constatant l’absence du nom de sa mère aux côtés de celui de son père.

«C’est une lacune, reconnaît Marco Jorio. A l’époque, le rédacteur a peut-être estimé qu’une telle recherche prendrait trop de temps. Cela sera complété lors d’une prochaine actualisation». Et le rédacteur en chef du DHS de relever le caractère évolutif de tout ouvrage encyclopédique.

Avenir électronique

A ce propos, l’exposition pose aussi la question de l’avenir de la lexicographie. De la fameuse Encyclopédie dirigée par Diderot à Wikipédia et autres encyclopédies en ligne, la récolte et la mise en relation des informations demeure au cœur de l’activité lexicographique même à l’heure d’internet.

«Cette exposition ajoute un chapitre à notre partenariat de longue date avec le DHS, a déclaré à ce sujet Marie-Christine Doffey, directrice de la BN. A l’ère numérique, nos deux institutions ne peuvent ignorer la problématique de la transmissions électronique du savoir.»

De quoi apporter un sérieux démenti à Mike Barfield – un auteur britannique s’inscrivant dans le prolongement du cynico-satirique Dictionnaire du diable d’Ambrose Bierce – lorsqu’il définit l’encyclopédie comme un «système pour récolter la poussière par ordre alphabétique».

swissinfo, Carole Wälti

Le terme «encyclopédie» provient d’une expression grecque que l’on trouve chez Plutarque et qui signifie «le cercle des connaissances».

Dès l’Antiquité et tout au long du Moyen Âge, plusieurs ouvrages se donnent pour but de rassembler et de systématiser les connaissances humaines.

Au XIIIème siècle, Vincent de Beauvais rédige par exemple le Speculum Majus, grande compilation de la connaissance du Moyen Âge.

Les encyclopédies d’Ibn Khaldoun (1377) ou de Yongle (1403) en sont les équivalents pour le Moyen-Orient et pour la Chine.

Mais ce n’est qu’au XVIIème siècle que le concept moderne d’encyclopédie naît en Europe.

Dans le monde francophone, l’une des plus célèbres est l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers publiée de 1751 à 1772 sous la direction de Denis Diderot.

A l’époque, elle a inspiré d’autres encyclopédies en Europe, dont, en Suisse, l’Encyclopédie d’Yverdon (1770-1780).

Le projet d’un dictionnaire historique de la Suisse a vu le jour dans les années 1960.

L’ouvrage de référence est alors le Dictionnaire historique et biographique de la Suisse, qui commence à dater puisque paru entre 1921 et 1934.

La Société générale suisse d’histoire (aujourd’hui Société suisse d’histoire) et l’Académie suisse des sciences humaines et sociales élaborent un nouveau projet.

Celui-ci est approuvé par les Chambres fédérales en 1987.

En 2002 est publié le premier volume du Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), ceci en allemand, français et italien.

A ce jour, sept volumes sont parus en français et en allemand, six en italien.

Depuis 1998, le DHS est également consultable sur internet.

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