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Les Suisses qui votent et qui dépouillent sous la loupe

Rédaction Swissinfo

La première chose que l’on voit dans un pays en campagne électorale, ce sont les affiches. Et ma première impression fut qu’elles n’étaient pas meilleures que chez nous au Tyrol du Sud. C’est de là que je suis parti pour Berne, afin de venir surveiller des coulisses le bon déroulement des élections au Conseil national et au Conseil des Etats. Mission organisée par la Chancellerie cantonale et menée sous la conduite experte d’un ancien responsable des élections.

Pourquoi cet intérêt pour un sujet aussi aride? Pour un nombre toujours croissant de citoyennes et de citoyens, les élections sont presque totalement dépourvues d’attrait. Beaucoup estiment que de toute façon, elles ne changeront rien. Pourtant, un choix plus libre, plus équitable, avec davantage de possibilité d’influer sur la composition de la représentation politique possède son propre charme. En tout cas pour beaucoup de gens, à qui il donne l’espoir que les choses vont s’améliorer un peu.

Au Tyrol du Sud par exemple, on entend les gens dire que cela changerait déjà pas mal de choses si on pouvait panacher librement les listes avec des candidats de différents partis, au lieu de devoir choisir des listes compactes. Il serait également souhaitable de pouvoir voter par correspondance, et élire directement le gouvernement régional.

Stephan Lausch est coordinateur de l’«Initiative pour plus de démocratie». Depuis 20 ans, cette association indépendante suit le développement des droits politiques dans la province italienne du Tyrol du Sud. Il est venu en Suisse comme observateur des élections législatives du 18 octobre pour le compte de son association, qui veut déposer un projet de loi pour des élections plus libres et plus équitables dans sa province. En 2009, Stephan Lausch a été élu Personnalité politique de l’année au Tyrol du Sud. zVg

Le frein et l’accélérateur

Nous savons que la Suisse a tout cela – déjà dans le domaine de la participation directe des citoyens, via le référendum et l’initiative populaire, le frein et l’accélérateur. Pays de rêve, qui offre en plus, lors des élections la possibilité d’augmenter encore de beaucoup la force électorale des citoyens.

A première vue, les règles des élections en Suisse paraissent très complexes, voire incompréhensibles, tant qu’on n’en a pas vécu l’application sur le terrain. Comment les scrutateurs pourront-ils décompter des listes avec des noms de candidats biffés et remplacés par d’autres, des listes où se cumulent les noms des mêmes candidats, voire des listes entièrement remplies à la main, alors que dans d’autres pays, les conditions sont beaucoup plus simples?

Mais encore: comment les citoyennes et les citoyens suisses maîtrisent-ils ces possibilités, qu’ailleurs on qualifierait tout de suite de trop exigeantes? Eh bien, ils votent à la maison! Donc, pas dans l’isoloir, qui fait partout partie du rituel de vote. Si on voulait remplir ses listes dans l’isoloir, les files d’attente seraient interminables. Trois semaines avant le dimanche d’élection, tous les Suisses reçoivent une grosse enveloppe avec le matériel de vote. Soit la carte d’électeur, les listes de tous les partis et des listes vierges, ainsi que le matériel de campagne des formations politiques. Il suffit de glisser ses bulletins dans les enveloppes fournies et de déposer le tout à la poste, au bureau de sa commune voire même à la gare, où au coin d’un bureau d’informations, trois personnes collectent les bulletins en toute simplicité à côté de trois urnes plombées.

L’appel du devoir citoyen

La signature sur la carte d’électeur est rapidement vérifiée, le bulletin tamponné au dos et glissé dans l’urne correspondante. Le tout en un clin d’œil! Et cela fonctionne déjà durant toute la journée du samedi et encore jusqu’à midi le dimanche, avec une affluence étonnante et dans une ambiance de lieu de rencontre, comme j’en ai fait l’expérience dans un bâtiment scolaire.

Et ensuite, où et comment va-t-on traiter ces bulletins de vote – plus de 80’000 dans le seul cas de Berne? Nous arrivons devant un complexe de bâtiments tous neuf avec des halles de sport, et là, nous trouvons 300 à 400 citoyennes et citoyens bernois, désignés au hasard et appelés à remplir leur devoir civique. Après une instruction détaillée à l’Hôtel de ville, ils attendent maintenant les urnes, qui ont fermé à midi. Pour les remercier, la commune a garni de pleins paniers de sandwiches, de boissons et de fruits, mais personne ne touchera la moindre rémunération.

Dans la halle immense, les scrutateurs sont assis à de longues tables. On vide les urnes devant eux et ils commencent à trier, regrouper, vérifier les tas de bulletins de vote. Leur mission: préparer les bulletins valables, par liasses de 20, pour leur transfert dans un autre centre où 80 personnes vont entrer les numéros associés au nom de chaque candidat dans un système informatique. Pour déceler les erreurs possibles, lors du tri comme lors de la saisie, on procède constamment à des contrôles d’échantillons. Et chaque bulletin est marqué afin d’être rendu entièrement traçable.

Point de vue

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Mais le plus impressionnant, c’est de voir 300 à 400 citoyens lambda travailler bénévolement ensemble pendant deux jours. Elles et ils ont été désignés par tirage au sort, pour accomplir ce devoir civique envers la communauté une fois dans leur vie. Quand on a dû lui apporter une contribution aussi concrète, la démocratie prend une toute autre valeur que quand on l’a reçue pour ainsi dire en cadeau. Difficile d’imaginer école de démocratie plus efficace.

Pas de grand spectacle

Dans l’attente des résultats à l’Hôtel de Ville, celui qui espère un show médiatique sera déçu. Une ronde des vanités? Étaient-ce les bonnes personnes qui étaient à élire et qui vont nous représenter? Les questions se bousculent. Un candidat se dit satisfait de la qualité de la culture politique, mais ajoute que moins la position de la majorité est nette, meilleure elle sera. Car le pluralisme force au dialogue.

Une chose est certaine: il est préférable de pouvoir choisir ceux qui décideront à notre place. Et il est préférable qu’ils aient été le moins possible déterminés par leurs partis, car il vaut mieux les contraindre à travailler ensemble en usant du référendum ou de l’initiative pour pouvoir exister face au souverain.

Heureux les Suisses, qui ne se voient pas attribuer une représentation politique pour le meilleur et pour le pire, qui n’ont pas besoin de tout miser sur une liste unique, quitte à voir leur voix disparaitre, mais qui peuvent au contraire, quand cela est nécessaire, intervenir simplement et efficacement dans le processus de décision politique! Dans cette perspective, les 48,4% de participation à ces élections ne sont pas, en comparaison de ce qui se passe dans d’autres pays, un signe de défiance envers la représentation politique, mais plutôt une forme de relativisme apaisant. Oui, heureux les Suisses, mais combien savent vraiment ce qu’ils doivent à leur démocratie?

Les positions exprimées dans cet article sont exclusivement celles de l’auteur et ne recouvrent pas forcéement celles de swissinfo.ch.

Les intertitres sont de la rédaction.

(Adaptation de l’allemand: Marc-André Miserez)

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