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Le dernier canton où le vote est obligatoire

RDB

Avec son territoire qui s’avance dans celui de l’Allemagne, Schaffhouse est le canton situé le plus au nord de la Suisse. Il a aussi la particularité d’être le seul endroit du pays – et un des rares au monde – où le fait de ne pas voter vous vaudra une amende. Dont le montant sera prochainement doublé.

Ce 17 mars 2014, le parlement cantonal de Schaffhouse a décidé de faire passer de 3 à 6 francs l’amende pour les abstentionnistes. Cela semble peu, mais pour les fiers habitants de la région comme pour leurs autorités, ce doublement a valeur de symbole.

Une belle matinée de printemps. Le train entre en gare de Schaffhouse, après avoir longé les Chutes du Rhin, la plus grande cascade d’Europe. Encore quelques pas et vous êtes au cœur de la petite capitale cantonale. Malgré l’heure matinale, les gens se pressent déjà dans la Vordergasse, l’artère commerçante de la ville, aux façades peintes ou ornées de fresques comme celles de la Haus zum Ritter, un des joyaux baroques de la vieille ville.

Schaffhouse est un petit canton, où habitent environ 80’000 personnes, soit 1% de la population suisse. Et même s’il a évolué avec son époque – un récent effort pour diversifier son économie principalement tournée vers Zurich lui a permis d’attirer des multinationales comme Unilever -, il a incontestablement gardé le sens de la tradition.

Et cela se reflète dans son attitude vis-à-vis des votations. «Schaffhouse est le seul canton de Suisse qui ait gardé le vote obligatoire» explique à swissinfo.ch le chancelier cantonal Stefan Bigler, dans son bureau dont les fenêtres donnent sur le Munot, la forteresse du 16e siècle qui domine la ville.

Répandu au 19e siècle, le vote obligatoire a progressivement été banni des 25 autres cantons, les derniers l’ayant supprimé dans les années 1970, ajoute le haut fonctionnaire, responsable notamment de la surveillance des votes. Mais Schaffhouse a voté à plusieurs reprises contre l’abolition de cette pratique.

En Europe occidentale: Belgique, Luxembourg, Liechtenstein, canton suisse de Schaffhouse, Chypre et Grèce (pas d’amende).

Des lois sur le vote obligatoire existent sous une forme ou une autre dans la plupart des pays d’Amérique centrale et du Sud, avec des degrés divers d’application.

En Australie, le vote obligatoire a été introduit en 1924, principalement comme réponse au fort taux d’abstention.

A Singapour, il a été introduit en 1959. Les Iles Fidji et la Thaïlande y sont venues bien plus tard, en 1997.

(Source: Commission électorale britannique, Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale)

Pression douce

«L’avantage du vote obligatoire, c’est qu’il s’agit d’un moyen doux de faire pression sur les citoyens pour qu’il s’engagent davantage sur les sujets politiques», juge Stefan Bigler.

En Suisse, avec le système de démocratie directe, les gens sont appelés à voter plusieurs fois par année, que ce soit pour des référendums ou pour des initiatives populaires. A Schaffhouse, le taux de participation dépasse systématiquement de 15 à 20% la moyenne nationale. Ainsi, la votation du 9 février sur l’immigration a-t-elle attiré aux urnes 70,5% des Schaffhousois, contre 55,8% des Suisses en général.

Mais Stefan Bigler maintient que cette forte participation n’est pas due à l’amende. En effet, il est relativement facile d’y échapper en s’excusant. Les raisons acceptées pour ne pas voter ne font l’objet d’aucun contrôle. Il suffit de s’annoncer malade ou en vacances et de renvoyer sa carte d’électeur. Les citoyens peuvent même le faire dans les trois jours suivant le vote, sans invoquer d’excuse.

Ce ne sont que celles et ceux qui n’auront pas voté sans présenter la moindre excuse qui se verront taxer de 3 francs par scrutin (tarif actuel), normalement regroupés sur une facture unique à la fin de l’année.

Le système est nettement plus doux que celui en vigueur en Australie, un des quelques 20 pays du monde à vote obligatoire, où l’amende est de 20 dollars (environ 16 francs suisses) et où le défaut de paiement peut vous conduire au tribunal.

Devoir civique

Ce qui motive les gens, c’est le respect de leur devoir civique, explique Stefan Bigler. Cela se voit au nombre de personnes qui se rendent physiquement aux urnes, et au faible nombre de votes par correspondance. Pour le chancelier, «les gens voient l’accomplissement de leur droit de vote comme un privilège, et peut-être même avec une certaine fierté».

«Je n’oublie jamais une votation, et toutes mes connaissances votent, affirme une retraitée dans la septantaine, en grimpant à travers les vignes vers le Munot. Nous sommes un petit canton, plutôt soudé, et tout le monde se rencontre aux urnes. C’est une tradition ici».

«Je vote toujours, et mes amis aussi, confirme un jeune homme d’une vingtaine d’années qui prend sa pause cigarette au soleil du centre-ville. C’est important de prendre son droit de vote au sérieux, surtout quand il y a tellement d’endroits où les gens ne peuvent pas voter». Il admet cependant que les jeunes puissent ne pas trop s’intéresser à la politique et pense «que cela ne vient vraiment qu’après l’âge de 20 ans».

Mais tout le monde ne vote pas, et certains ne craignent pas de le dire. Comme l’hôtelier René Laville, qui s’exprime à la télévision suisse.

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Retour vers le futur?

Le fait que l’amende ait été doublée – dans le cadre d’une révision générale de la loi électorale – sans soulever la moindre opposition au parlement cantonal est également symptomatique. On a estimé que le montant, resté inchangé pour plus de 40 ans, devait être adapté à l’inflation (ce qui, à strictement parler, aurait dû faire 7 francs). Mais avant 1973, l’amende était restée à 1 franc pendant 100 ans.

L’ajustement à 6 francs devrait entrer en vigueur en 2015. Il aidera également à couvrir une partie des frais d’administration de ce système d’amendes.

Norbert Neininger, rédacteur en chef et éditeur du quotidien local Schaffhauser Nachrichten, explique que l’appétit du canton pour la politique et les débats fait également les choux gras de son journal

«Ça va vous paraître étonnant, mais je ne pense pas que l’on devrait rendre les votations et les élections plus faciles, parce que les gens doivent d’une certaine manière avoir à l’esprit que c’est une chose de valeur», explique Norbert Neininger à swissinfo.ch depuis son bureau de la Vordergasse.

Il n’est pas vraiment partisan du vote par correspondance, préférant l’acte de déposer un bulletin dans l’urne après avoir discuté les enjeux à la maison. Mais il admet qu’avec les pressions de la vie moderne, il n’est pas toujours possible de voter en personne.

Certains sont plus critiques envers le vote obligatoire. Dans une interview à la télévision suisse, le politologue Georg Lutz a affirmé que le système ne signifie pas nécessairement plus de pouvoir au peuple.

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Les citoyens de Schaffhouse seront de retour aux urnes le 18 mai. En tête d’affiche, la proposition d’introduire un salaire minimum au niveau national, et l’achat controversé de nouveaux avions de combat pour les forces aériennes.

Au niveau local, les votants devront se prononcer sur une réorganisation du découpage territorial du canton, dont 14 des 26 communes ont moins de 1000 habitants, ce qui rend l’administration locale inefficace et coûteuse.

Et cette fois, on ne leur demandera pas s’ils veulent ou non maintenir le système de vote obligatoire.

Canton le plus au nord de la Suisse, Schaffhouse s’avance comme une bulle dans le territoire de l’Allemagne, qui le borde sur 80% de la longueur de sa frontière. Avec 298 km2, il représente 0,7% du territoire suisse. Sa population est de 80’000 personnes, dont environ la moitié vivent dans la ville de Schaffhouse. Les étrangers y sont environ 19’000.

Le canton est célèbre pour ses vins, spécialement son Pinot Noir, mais également pour les Chutes du Rhin, la cascade la plus puissante d’Europe, qui attire quelque 3 millions de visiteurs par année.

Dans les 10 à 20 dernières années, Schaffhouse a travaillé à augmenter son attractivité pour l’industrie et les nouvelles technologies, afin de rivaliser avec des cantons comme Zurich, Vaud et Zoug. Unilever, Bosch et les laboratoires Abbott sont présents dans le canton, Wal-Mart et John Deere y ont leur quartiers généraux.

 

(Sources: Canton de Schaffhouse, Schaffhouse Tourisme, swissinfo.ch)

Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez

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