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La professionnalisation des élus face au mythe du bénévolat

Municipio di Bellinzona.
En 2018, les membres de l'exécutif de Bellinzone voulaient obtenir une augmentation de leur salaire. Une proposition rejetée en votation par leurs administrés. RSI-SWI

Dans la mentalité collective suisse, le principe de milice est encore fermement ancré pour les mandats politiques des élus. Dans les faits, la professionnalisation progresse à tous les niveaux, comme le montre onze chercheurs dans un livre. Mais cette «transition inachevée» est freinée par la démocratie directe.

En Suisse, on parle beaucoup du système de milice politiqueLien externe qui veut que les élus exercent bénévolement leur mandat, en dehors de leurs activités professionnelles. «Mais en la mesurant à l’aide d’indicateurs objectifs, on constate on constate que, dans divers contextes, il n’en reste pas grand-chose», résume Andrea Pilotti, qui a dirigé la rédaction de l’étude «Le système de milice et la professionnalisation politique en SuisseLien externe». Ces indicateurs sont le temps consacré au mandat politique et sa rémunération.

Cet article fait partie de #DearDemocracy, la plateforme de swissinfo.ch pour la démocratie directe. En plus de celles de la rédaction, elle accueille aussi des contributions d’auteurs extérieurs. Leurs positions ne correspondent pas forcément à celles de swissinfo.ch.

Il ressort des analyses des onze chercheurs que la professionnalisation des élus est désormais une réalité. Non seulement au niveau fédéral, mais aussi aux niveaux cantonal et communal «où la professionnalisation est déjà bien ancrée dans les exécutifs», explique Andrea PilottiLien externe, responsable de la recherche du Centre de recherche sur l’action politique (CRAPULLien externe) de l’Université de Lausanne.

De fait, les mandats gouvernementaux sont exercés à plein temps, avec un salaire conséquent, dans tous les cantons, à l’exception du petit canton d’Appenzell Rhodes intérieures, où le mandat de conseiller d’État est exercée à mi-temps. Il en va de même dans les municipalités des grandes villes.

Bien sûr, dans les petites communes, les municipalités ont encore un mandat de milice. Mais les grandes difficultésLien externe rencontrées par de nombreuses communes pour trouver des personnes prêtes à entrer en fonction sont révélatrices de la divergence entre le principe de milice politique et la réalité de mandats de plus en plus exigeants et critiqués, note le chercheur.

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Résistance de la démocratie directe

A la lumière de l’évolution aux différents niveaux de l’Etat fédéral, Andrea Pilotti est convaincu que la professionnalisation des représentants du peuple va encore progresser, même si ces changements prennent beaucoup de temps. Une lenteur liée à un autre pilier du système politique suisse: la démocratieLien externe directe. Raison pour laquelle la professionnalisation des élus est encore inachevée, contrairement aux autres démocraties occidentales, note le politologue.

Au niveau fédéral, Andrea Pilotti cite le référendum de mai 1962, où une légère augmentation de l’allocation de présence des parlementaires avait été refusée, et les trois référendums de septembre 1992 qui avaient noyé la réforme du Parlement.

Théorie et pratique

Du côté du Parlement fédéral, des changements ont été apportés dans les années 2000 pour lui donner un rôle plus central avec des allocations plus substantielles pour les députés. Aujourd’hui, elles «permettent aux élus qui le souhaitent de vivre dans la dignité, sans nécessité d’avoir d’autres revenus», note Andrea Pilotti.

Au fil des ans, la charge de travail dans les Chambres fédérales, en particulier dans les commissions, a considérablement augmenté. A ce niveau, on ne peut plus parler d’activité accessoire. C’est au moins l’activité prédominante, sinon à temps plein.

Pourtant, bien qu’ils consacrent plus de temps à leur mandat politique qu’à leur activité professionnelle, de nombreux députés continuent de se considérer comme des miliciens, explique Andrea Pilotti.

Une situation similaire a été constatée par les chercheurs dans les cantons où «il existe des formes embryonnaires de professionnalisation. En terme de rémunération, l’activité parlementaire reste clairement honorifique, mais en termes de charge de travail,  elle devient de plus en plus exigeante et ne peut plus être considérée comme marginale», dit le politologue.

En fait, souligne Andrea Pilotti, «seuls les parlements municipaux et leur exécutifs restent de pures milices.»

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Avec l’Année du travail de milice, l’Association des communes suisses (ACS) veut attirer l’attention du public sur la crise que traverse le système de milice, une crise qui peut prendre des proportions dramatiques au niveau de la démocratie locale. La chute de la participation des citoyens, le manque de volontaires prêts à assumer des fonctions politiques, la réduction de la marge de manœuvre politique, les fusions de commune et la disparition des médias locaux ou régionaux en sont les principales raisons.

Afin de promouvoir une discussion interdisciplinaire approfondie sur les solutions envisageables, l’ACS organise en 2019 des manifestations dans toute la Suisse avec des partenaires issus de différents secteurs. Les discussions entre les experts et le public doivent déboucher sur des impulsions qui, aux yeux de l’ACS, sont nécessaires et urgentes pour renforcer et développer le système de milice.

Partenaire média de l‘«Année du travail de milice», swissinfo.ch publiera régulièrement des articles sur ce thème.

En 1969, des parlementaires s’interrogent sur le système de milice du Conseil national.

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Traduit de l’italien par Frédéric Burnand

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