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Des «Racines» bien fixées

Au cœur du «gestus social» brechtien. SP/Christian Lutz

Françoise Courvoisier crée dans son Théâtre Le Poche, à Genève, la pièce du dramaturge Britannique Arnold Wesker.

Servie par huit acteurs épatants, la metteuse en scène parvient à opposer, avec humour, espoir et dépit d’une société ouvrière ancrée dans l’Angleterre des années 1950.

Le meilleur moment du spectacle, c’est ce tête-à-tête de la fille et de sa mère, joué comme un duo d’opérette où s’affrontent, sur le mode humoristique, deux voix. L’une porte l’espérance d’une jeune génération avide de justice sociale. L’autre, la résignation d’une société défavorisée et vieillie dans le dépit.

Voici donc Beatie (Christine Vouilloz) la fille passionnée, battante, idéaliste, qui siffle l’Internationale et tente de couvrir de son souffle la mélodie sirupeuse de sa mère: «L’hiver est un printemps pour deux cœurs qui s’aiment».

De sa voix de soprano, la comédienne Castou (maman opiniâtre aux allures de Bécassine) interprète la chanson en exaltant de façon romantique son attachement à des valeurs désuètes.

Tout «Racines» est dans cet instant qu’offrent au public deux grandes actrices romandes. D’une justesse sidérante, elles concentrent sur elles tout le propos de la pièce: faire cheminer parallèlement deux mondes, l’un progressiste, l’autre figé dans ses croyances immuables.

Pour remettre celles-ci en question, le dramaturge britannique Arnold Wesker a donc écrit «Racines» sur fond de grèves, de revendications salariales et de luttes syndicales. La pièce est à déchiffrer à rebours de son titre. Elle raconte paradoxalement l’histoire d’un déracinement, celui de Beatie, qui rame à contre-courant de sa vie familiale, très modeste, dans l’Angleterre des années 1950.

La jeune fille fait irrésistiblement penser à Billy Elliot, le héros du film de Stephen Daldry, ce garçon freiné dans ses ambitions par ses parents ouvriers qui n’entendent rien à ses élans artistiques.

Désistement profitable

«Racines» devait être monté par le cinéaste suisse Claude Goretta. Retenu par le tournage d’un film, ce dernier s’est désisté. Heureuse occasion! Car, bien que regretté, son désistement aura permis à sa remplaçante Françoise Courvoisier de relever un défi: se hisser au niveau d’un Goretta pour ne pas décevoir son public.

Courvoisier, qui dirige Le Poche de Genève, crée donc «Racines» dans son propre théâtre et signe ici le meilleur spectacle de sa carrière, jusqu’ici limitée à des mises en scène timorées.

La directrice du Poche a réuni autour de La Castou et de Christine Vouilloz six comédiens qui servent Wesker avec grand art. C’est à dire avec la capacité d’opposer sur scène destin individuel et destinée collective.

Comme dans ces séquences répétitives où le famille, rassemblée autour d’un repas fruste, mange selon un même rituel. Et parvient ainsi à ce que Brecht appelait le «gestus social».

C’est plus qu’un être et son identité, c’est une classe et son sort qui se découvrent ici.

swisinfo, Ghania Adamo

«Racines», à voir à Genève, Théâtre Le Poche, jusqu’au 13 juin.
Tel: 022.310.37.59.

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