Des perspectives suisses en 10 langues

Des chutes, des coups, du caca et des fous rires

Projeté du capot de la voiture qui vient de freiner brusquement, Ken va s'écraser contre les grilles de métal. T. Zumbach, 2004, cesarprod

Cascades débiles et scatologie appliquée: de plus en plus de jeunes s’engouffrent dans le créneau ouvert par les shows télévisés anglo-saxons style «Jackass» ou «Dirty Sanchez».
A Genève, les plus célèbres de ces adeptes du burlesque «trash» se nomment Bad Monkeys. Rencontre.

«Je me considère comme un gros con. Je ne suis ni cascadeur, ni spécialement sportif. Je fais 50 kilos tout mouillé, pas vraiment une carrure d’athlète. Je suis plutôt drogué, fumeur… de cigarettes, je précise.»

Débitée sous les fous rires de ses copains, la profession de foi de Trans (20 ans) a tout du cri du cœur. Même si les mégots qui traînent dans le cendrier du local ne contiennent pas que des traces de nicotine.

«On nous traite de gamins attardés? Je pense que c’est vrai», renchérit Tristan, le plus âgé de la quinzaine de potes qui forment les Bad Monkeys, tous plus on moins issus des milieux du skateboard.

Du haut de ses 25 ans, le «gamin attardé» a pourtant déjà une solide expérience de réalisateur vidéo. Le troisième volet des aventures simiesques de sa bande frappe d’ailleurs d’entrée par le professionnalisme des images.

«Violent et choquant»

Des images que les jaquettes des cassettes Bad Monkeys décrivent explicitement comme «violentes et choquantes». Et interdites aux moins de 18 ans.

En vrac, on peut y voir des descentes d’escalier en caddie, des lapidations à coups de marrons, des petites séances de gifles et de coups de poing entre amis, des sauts, des chutes ou des épilations au briquet.

Sans oublier la gamme à peu près complète des débordements pipi-caca-vomi.

«Un des nos premiers plans a été de sortir tous nus dans la neige et de nous enduire complètement de crotte de chien», raconte Tristan, qui rit encore à l’évocation de ce souvenir odorant.

Ni sado, ni maso

Mais certains sont plus cuisants. «Quand je me suis cassé la cheville en tombant d’un caddie, je rigolais moins», se souvient Trans.

En revoyant la scène sur l’écran, le principal intéressé est toutefois le premier à en rire. «Et on se repasse la scène cinq fois pour bien entendre le bruit de l’os qui craque», précise le jeune homme.

Pourtant, les Bad Monkeys se défendent vigoureusement de toute tendance sado, maso ou trompe-la-mort. Tout au plus Tristan admet-il que pour certaines cascades, «il faut quand même avoir des couilles»…

«Tout le monde cherche des raisons à ce que nous faisons, résume Ken (18 ans), traduisant parfaitement le sentiment de ses potes. Mais on oublie que la principale, c’est de se marrer. Et de faire marrer les autres».

Pas à la traîne de MTV

A première vue, la naissance des Bad Monkeys et de tous les groupes similaires, apparus un peu partout dans le monde depuis quelques années, doit beaucoup au phénomène Jackass, né sur la chaîne américaine MTV.

Pourtant, les jeunes Genevois aiment à rappeler qu’ils n’ont pas attendu les singeries de Johnny Knoxville, Bam Margera, Steve O. et leurs acolytes pour faire les leurs.

«Au cours d’une session de skate, il y a forcément des chutes, rappelle Tristan. Et après, lorsque l’on se retrouve autour d’une table, il y en aura toujours un pour faire rire les autres en se mettant des frites dans le nez.»

Chez les Bad Monkeys, on croit donc plutôt à la génération spontanée. Ce serait simplement le développement des moyens vidéo qui aurait permis l’éclosion de tous les groupes qui exploitent la veine popularisée par Jackass.

Discipline ou crétinisme?

Des chutes et des bleus, Klaus Rothenbühler (35 ans) en a eu son lot en deux décennies de rampe, d’obstacles et de glisse sur roulettes et sur neige.

Sorti huitième en 1998 aux Championnats du monde de descente en patins sur piste de bobsleigh, il est bien placé pour savoir ce que ces sports un peu fous exigent d’entraînement, de discipline et de concentration.

Pour lui non plus, MTV n’a rien inventé. Depuis qu’ils existent, les films de roller ou de skate se terminent généralement par une «slam session», où l’on voit toutes les chutes enregistrées en cours de tournage.

S’il admet avoir lui aussi bien ri aux pitreries de Jackass, ce vétéran de l’acrobatie et de la vitesse n’aime pas le mélange des genres.

«Le pipi-caca n’a rien à voir avec le sport. Mettre la tête dans un seau de merde ou faire une omelette avec son vomi, c’est avilissant, c’est juste de la crétinerie, juge Klaus Rothenbühler. La plupart des skaters que je connais ne font jamais ça.»

Soft Jackass

Question de génération? Pas forcément. Sur la Riviera vaudoise, un autre groupe de tout jeunes fous de la glisse revendique le droit de se casser la figure sans forcément donner dans la scatologie.

Depuis une année, Clément (16 ans) et ses cinq copains réalisent des clips vidéo, eux aussi passablement audacieux.

Par exemple, en dévalant les chemins de vigne du Mont-Pèlerin (au-dessus de Vevey) assis sur leurs planches à roulette, ou en chevauchant une petite voiture-jouet attachée derrière une Fiat lancée à vive allure.

«Il y a évidemment des chutes, mais le but n’est pas de se faire mal», explique Clément. Ce fils d’un aumônier protestant admet avoir quelques principes. Et vouloir montrer qu’être chrétien n’empêche pas de délirer.

«Bien sûr, nous avons regardé Jackass et nous avons bien ri», concède le jeune homme. Mais lui et ses copains adhèrent parfaitement au point de vue du psychiatre et essayiste Serge Tisseron, interrogé récemment par la TV romande sur le phénomène: il est dangereux de faire croire que la douleur peut être fun. «C’est de la connerie, affirme Clément. Nous sommes contre le côté sado-maso».

Violence fun? Chez les Bad Monkeys non plus, on n’est pas prêt à faire n’importe quoi. Depuis quelques mois, MTV diffuse juste après Jackass les aventures de Dirty Sanchez, sa version britannique, encore plus «trash».

«Chez eux, il faut pratiquement du sang à chaque émission, s’indigne Tristan. Se faire arracher une boucle d’oreille ou s’enfermer dans une pièce pour se faire fouetter, très peu pour moi.»

Les clowns de l’impossible

Alors finalement, qu’est-ce qui fait courir les Bad Monkeys? La gloire, l’appât du gain? A ces mots, le groupe éclate d’un nouveau fou rire.

«Nous sommes sponsorisés par les poubelles et par Emmaüs et il est clair que la Télévision suisse romande ne nous programmera jamais!», s’exclament-ils en chœur.

Vraiment? A la TSR précisément, la réponse est nettement moins catégorique.

«Pas question de reprendre une des émissions de MTV, explique le tout nouveau responsable des variétés et des jeux de la chaîne romande. Par contre, si nous avons des artistes romands, dont les prestations soient lisibles pour notre public, pourquoi pas?»

Thierry Ventouras précise qu’il ne serait pas seul à décider et qu’un tel programme ne pourrait être diffusé que tard dans la soirée.

Mais il reste totalement ouvert. Pour lui, Jackass et leurs émules sont parfaitement «dans la veine des clowns de l’impossible et de la révolte, style Jango Edwards».

Une référence qui fait plaisir aux Bad Monkeys. D’autant que les jeunes Genevois connaissent bien le clown américain, établi en Suisse romande. Au-delà des différences de génération, une certaine complicité s’est même installée entre eux.

Normal, entre déjantés, on se comprend…

– Issu des milieux du skateboard, le groupe Jackass meuble depuis trois ans les deuxièmes parties de soirée de la chaîne musicale MTV avec ses cascades et son humour de potaches déjantés.

– Le succès a été énorme. Le long métrage inspiré de l’émission télé a réalisé plus de 60 millions de dollars de recettes

– Depuis la rentrée 2003, MTV diffuse juste après Jackass le groupe britannique Dirty Sanchez, jugé encore plus «trash».

– En France, Michaël Youn incarne assez bien l’esprit Jackass. D’abord animateur du «Morning Live», l’émission du matin sur M6, il vient de cartonner avec deux longs métrages: «La Beuze» et «Les 11 commandements».

– Ce type d’humour fait des émules un peu partout dans le monde, et notamment en Suisse.

– A Genève, les Bad Monkeys ont déjà sorti trois cassettes vidéo, vendues dans les magasins de skate, à la fnac et sur internet, via le site de leur maison de production.

– Les Bad Monkeys ont été engagés pour tourner des cascades dans le cadre du Paléo 2003. Pour des raisons de sécurité toutefois, les tournages ont rapidement dû être interrompus. Par contre, les films du groupe genevois ont été diffusés sur écran géant durant tout le festival.

– Pour le lancement du troisième volet de leurs aventures, les Bad Monkeys ont réalisé une performance sur la scène de l’Usine à Genève, devant quelque 500 spectateurs enthousiastes… même si quelques uns, choqués, ont quitté la salle avant la fin.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision