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Des parrains suisses pour les manifestants birmans

police à Rangoon
Fin mars, déploiement policier dans un quartier populaire de Rangoun, l’ancienne capitale de la Birmanie. La répression brutale des putschistes risque d’engendrer une réponse armée du mouvement de désobéissance civile. Copyright 2021 The Associated Press. All Rights Reserved.

Des personnalités suisses donnent leur nom pour protéger les personnes qui manifestent pacifiquement contre la junte militaire. A Berne, des parlementaires questionnent les éventuelles relations d’entreprises suisses avec les conglomérats contrôlés par l’armée birmane.

«Les protestations ne sont pas aussi fortes qu’il y a quelques semaines. C’est en raison de la répression brutale des forces de sécurité qui a déjà fait plus de 550 morts. La plupart des gens ont désormais peur de manifester, en particulier à Rangoun. Il y a des indics dans les communautés qui informent la police dès que des gens se rassemblent, mais il est très difficile de savoir qui ils sont», déclare à swissinfo.ch Aje [prénom d’emprunt], jointe au fin fond de la jungle birmane par l’intermédiaire d’Elisabeth Decrey.

Ancienne parlementaire genevoise, très active dans plusieurs centres et associations humanitaires, Elisabeth DecreyLien externe s’est lancé un énième défi: exhorter des personnalités suisses à manifester virtuellement avec des protestataires pacifiques en Birmanie. Le manifestant porte un badge avec le nom du parrain suisse, qui stipule: «Message à l’armée ou à la police: M. X ou Mme Y, de Genève (ou d’ailleurs), manifeste avec moi aujourd’hui. Si vous m’arrêtez, me blessez ou me tuez, c’est aussi lui/elle que vous arrêtez, blessez ou tuez».

Au cas où il arrive quelque chose au manifestant, son parrain en est informé et il lui revient de le faire savoir autour de lui par le biais des réseaux sociaux, des médias ou des amis.

«Les violations des droits humains engendrent les luttes armées»

«Cela devient de plus en plus difficile de manifester et aussi de communiquer: WhatsApp ne marche quasi pas et internet est bloqué, relève Elisabeth Decrey. Mais je continue, surtout pour encourager les Birmans, car ils sont désespérés face à l’inaction de la communauté internationale. A ce jour, j’ai pu associer une vingtaine de Suisses.»  

Parmi eux, Carlo Sommaruga, membre de la Commission de politique extérieure du Conseil des États: «C’est important de témoigner une solidarité individuelle à des manifestants qui bénéficient par cette action d’une certaine protection, souligne-t-il. En même temps, c’est un message à la junte: des personnalités et parlementaires dans le monde sont mobilisés autour de l’opposition qui est dans la rue. Ce genre d’action avait déjà été entrepris pour la Biélorussie, mais ce qui se passe au Myanmar est beaucoup plus violent».

En Suisse, le Conseil fédéral a suspendu l’aide au développement pour le Myanmar pour ne conserver que l’aide d’urgence. Il a aussi adopté des sanctions à l’encontre de onze membres de la junte militaire. Les éventuels avoirs en Suisse du commandant en chef de l’armée, Min Aung, de neuf hauts gradés et du président de la Commission électorale sont gelés et ces personnes ne peuvent plus venir en Suisse. S’alignant sur l’UE, Berne ne cible que des militaires, tandis que les États-Unis et la Grande-Bretagne vont plus loin, en sanctionnant aussi des entreprises aux mains de la junte.

Au Parlement, quatre interventions ont été déposées depuis le coup d’État militaire du 1er février. Laurence Fehlmann, présidente de l’Association Suisse – Birmanie et qui participe à l’action de parrainage virtuel, a demandé dans une interpellationLien externe (non encore traitée) que le Conseil fédéral s’assure que les entreprises suisses actives au Myanmar fassent preuve de la diligence nécessaire pour ne plus acheter des produits provenant de conglomérats contrôlés par l’armée, notamment dans le domaine des pierres précieuses. Elle demande aussi que la Suisse s’engage pour le renvoi des responsables de la junte devant la Cour pénale internationale.

A l’heure des questionsLien externe, Nicolas Walder a demandé au Conseil fédéral de s’assurer que les activités des entreprises suisses ne soient pas liées aux conglomérats MEC et MEHL. Le Conseil fédéral a répondu qu’il attend des entreprises suisses actives au Myanmar qu’elles exercent leur devoir de diligence.

Selon Elisabeth Decrey, les manifestations sont encore largement pacifiques, mais des jeunes sont en train de rejoindre les forces armées de certains groupes ethniques pour recevoir un entraînement militaire. Quelque 130 ethnies sont officiellement reconnues, les Birmans (bama) étant majoritaires à 75%. «Les violations des droits humains et des minorités engendrent les luttes armées, rappelle Elisabeth Decrey qui l’a constaté de ses propres yeux avec l’Appel de GenèveLien externe, l’ONG qu’elle a cofondée en 1998. En Syrie, les gens avaient commencé à manifester pacifiquement. En Colombie, la guérilla est née de paysans à qui on volait des terres. Les Kurdes ne pouvaient même pas parler leur langue. Au Myanmar, la situation est dramatique et peut dégénérer en guerre civile à tout moment.»

«Nouvelle résistance armée inévitable»

Ce que confirme Aje: «Pour l’instant, nous sommes largement pacifiques, mais il faut se rendre à l’évidence: pour abattre la junte militaire, une nouvelle résistance armée est inévitable. Le Myanmar est un pays très riche en ressources, mais l’argent finit dans la poche des militaires qui détiennent les deux principaux conglomérats du pays, le Myanmar Economic Corporation, actif surtout dans l’extraction minière, la manufacture et les télécommunications et le Myanmar Economic Holdings Limited, actif entre autres dans le secteur bancaire, la construction, l’extraction minière, l’agriculture, le tabac et l’agroalimentaire et qui, de surcroît, bénéficient du soutien de la Chine et de la Russie. Nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre. Nous espérons que les organisations armées des groupes ethniques pourront mener ce combat avec le peuple du Myanmar.»

Elle ajoute que presque tous les médias privés apparus depuis l’ouverture démocratique du pays ont été interdits par la junte et ne sont plus actifs qu’en ligne. La plupart des journalistes sont probablement aussi en fuite, selon la militante, car les militaires tentent de les enlever.

Élus en novembre dernier, des parlementaires opposés au coup d’État ont créé un gouvernement civil parallèle appelé CRPH (Comité représentatif du Pyidaungsu Hluttaw, le parlement bicaméral birman). «C’est notre gouvernement légitime et les Birmans du monde entier le financent, dit Aje. Les gouvernements étrangers devraient le financer aussi et annoncer qu’ils le reconnaissent comme le seul gouvernement légitime du Myanmar.»

Elle ajoute que le mouvement de désobéissance civile a été créé par des parlementaires et autres employés du gouvernement (et du secteur privé) dissidents. Bien qu’accueilli et soutenu par la Karen National Union – l’un des dix groupes ethniques armés qui avaient signé un cessez-le-feu avec le gouvernement et qui vient de le rompre, jugeant qu’il n’a plus de raison d’être – le mouvement est en train de s’affaiblir, car, sans salaire ni soutien financier, certains membres sont obligés de retourner travailler.

Birmans et minorités ethniques plus unis que jamais 

Comme l’assure Aje, il ne s’agit pas simplement de revenir à la situation d’avant le putsch: «Il faut abolir la constitution de 2008, car elle n’est pas démocratique du tout – le CRPH a déjà annoncé qu’elle était abolie. Nous voulons créer une union démocratique fédérale qui représente toutes les minorités ethniques et envoyer les chefs militaires devant la Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice, vu que le Conseil de sécurité est bloqué par le veto de la Russie et de la Chine.»

Elle ajoute que les gouvernements étrangers devraient réglementer leurs entreprises et sous-traitants pour qu’elles appliquent l’obligation de diligence en matière de droits humains dans leur chaîne d’approvisionnement. Et ils devraient geler les comptes bancaires des dirigeants et les exportations d’armes.

«Dans ce mouvement populaire, nous sommes plus unis que jamais. Les Birmans, les minorités ethniques dont les Rohingyas, tous ensemble et toutes religions confondues. Notre objectif est de faire tomber les militaires. Nous attendons la création d’une armée fédérale qui regroupe les armées ethniques et les jeunes qui sont en train de recevoir une formation et que les gouvernements étrangers devraient financer. Je suis sûre qu’une armée fédérale est le seul moyen de mettre fin à cette dictature militaire sanglante et brutale. J’espère que la justice finira par triompher!»

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