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La Bahnhofstrasse tente de résister à la globalisation

Adresse chic, la Bahnhofstrasse n'est pas à la portée de tous, commerçants comme clients. Reuters

Une des rues les plus chères du monde, la Bahnhofstrasse de Zurich, fêtera son 150e anniversaire en 2015. Parmi les marques de luxe et les chaînes internationales, certains commerçants locaux résistent.

En ce mois de décembre, la Bahnhofstrasse de Zurich est noire de monde. Des passantes lourdement maquillées déambulent en manteau de fourrure et les touristes prennent des photos des décorations de Noël qui scintillent dès la nuit tombée. Lorsqu’on pousse la mince porte en verre du numéro 44, c’est un autre monde qui s’ouvre au visiteur.

C’est là que le magasin de confection masculine Brunos accueille une clientèle plutôt fortunée depuis 1937. «Nous avons eu longtemps affaire à forte concurrence, mais de nombreux magasins ont disparu, malheureusement, explique d’emblée Adriano Maestrini, maître des lieux et petit-fils du fondateur. Notre chance est peut-être d’être très spécialisés dans des produits haut de gamme.»

Avec l’arrivée de grandes marques internationales de luxe dans le voisinage immédiat, la boutique a dû déployer des trésors d’originalité pour subsister. La présence de locataires puissants a en effet fait exploser les prix de l’immobilier. Selon le dernier classement annuel de l’agence Cushman & WakefieldLien externe, la Bahnhofstrasse arrive en 9e position des rues les plus chères du monde en 2014. L’augmentation annuelle des prix (1,1%, contre 2,4% pour la moyenne mondiale de septembre 2013 à septembre 2014) a fait passer la célèbre artère suisse du 7e au 9e rang, à 7456 euros le mètre carré.

1,2 kilomètre de prestige

En comparaison, ce tarif est extrêmement bon marché. Le mètre carré coûte en effet 29’822 euros dans le haut de la 5e Avenue de New York, ou 23’307 sur les Champs-Elysées de Paris. Mais Zurich est beaucoup plus chère que Genève (2568 euros le m2).

En 1900, la Bahnhofstrasse était plus tranquille. Keystone

Construite en 1865, la Bahnhofstrasse relie la gare principale de Zurich au lac, sur une avenue presque rectiligne de 1,2 kilomètre. Au fil des années, les banques et les assurances ont acquis la plupart des prestigieux immeubles érigés ici. Les biens en mains familiales ou individuelles sont rares.

Le numéro 44, la boutique Brunos, appartient à une assurance. «Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve, note Adriano Maestrini. Si le loyer augmente, nous ne pourrons plus le payer. C’est ce qui est arrivé à d’autres enseignes.» La boutique Brunos a la taille d’un grand salon mais il faut y ajouter un local au 4e étage et trois pièces adjacentes. Une fois payés les salaires et les factures courantes, la rentabilité relève parfois de l’acrobatie pour un commerçant indépendant. Chez Brunos, la marchandise coûte de 25 francs pour un petit accessoire à 50’000 francs pour des costumes sur mesure. Il faut donc en vendre un certain nombre chaque par mois pour espérer réaliser un bénéfice…

Les temps changent

L’exemple le plus discuté actuellement au bord de la Limmat est celui de la chaîne Manor, qui occupe quatre étages d’un très bel immeuble de la Bahnhofstrasse. C’est l’une des rares enseignes accessibles à tous les publics. Or le propriétaire des lieux, l’assureur Swiss Life, entend tripler le loyer. Le conflit fait l’objet de plaintes en justice. Une communauté d’intérêtsLien externe a vu le jour au printemps 2014 pour «sauver» Manor.

Non loin de là, un autre immeuble est un des hauts lieux de Zurich: la chaîne Globus, présente également dans plusieurs autres villes suisses, occupe une position privilégiée, aux dires de son gérant: les murs appartiennent au propriétaire de la marque, qui n’est autre que le géant du commerce de détail Migros. «Nous en sommes fiers», note Daniel Künz, le gérant. A ses yeux, il est très important de maintenir une offre pour toutes les bourses. «Ce serait très dommage de n’avoir plus que du luxe, ou de voir la Bahnhofstrasse se transformer en rue trop spécialisée.»

Boutiques indépendantes

Les boutiques indépendantes préfèrent chercher une location dans d’autres quartiers de Zurich. De l’autre côté de la gare principale, la designer Eliane Diethelm, de la boutique «Little Black Dress», explique avoir renoncé à chercher une adresse sur la Bahnhofstrasse et préféré les quartiers alentours. «Je n’aime pas tellement les magasins de cette rue, admet-elle. Vous y trouvez soit les grandes chaînes avec les leurs produits de masse bon marché, ou alors le luxe sur le haut de la rue, qui est, du coup, très calme.»

Le nombre de passants est évidemment un critère important. Peter Graf, propriétaire d’un magasin de vélos, «Urban Rider», non loin de «Little Black Dress», déménagerait «évidemment» sur la Bahnofstrasse si le loyer n’était pas un problème. «Il y a beaucoup plus de monde là-bas, beaucoup de gens seraient intéressés par nos produits. Mais nous ne pouvons bien sûr pas nous le permettre.»

«Ce sont les deux faces d’une même médaille, résume Markus Hünig, président de l’Association BahnhofstrasseLien externe, qui regroupe 160 commerces. Le succès populaire de la rue explique l’augmentation des prix. Mais cette évolution n’est pas positive s’il ne reste plus que des bijoux, des montres et des vêtements. Il ne faudrait pas y voir trop de marques internationales.»

«Nous tentons de convaincre les propriétaires immobiliers qu’ils devraient veiller à maintenir la mixité de la rue, mais c’est difficile», précise le président. Depuis ces cinq ou six ans, la rue perd entre une et trois marques locales chaque année, au profit d’un groupe international. Les petits magasins traditionnels suisses disparaissent. «Les propriétaires immobiliers veulent que leurs placements soient rentables», ajoute Markus Hünig.

Le président de l’association reste optimiste. Certains acteurs locaux, comme la confiserie Sprüngli, dont le fondateur a été un des premiers à s’installer à la Paradeplatz au XIXe siècle, continuent à enchanter les papilles gustatives des passants, qu’ils soient touristes ou banquiers…

(Traduction de l’anglais: Ariane Gigon)

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