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Des urnes funéraires au fond du lac de Zurich

La police lors de la récupération des urnes. Keystone

La découverte d’urnes funéraires dans le lac de Zurich suscite de nombreuses questions. L’organisation d’aide au suicide Dignitas est soupçonnée. Circonspecte, la police indique que l’enquête pourrait prendre plusieurs mois.

Qui a immergé des dizaines d’urnes funéraires au large de Küsnacht, bourgade chic sur la côte dorée du lac de Zurich? Et pourquoi deux plongeurs, le 18 avril dernier, en ont-ils ramené treize à la surface?

Appartenant aux services de sauvetage mais en mission privée ce dimanche-là, les deux hommes avaient immédiatement appelé le Blick, quotidien populaire alémanique, après leur intervention. La police avait aussi été alertée.

Une plainte pour «atteinte à la paix des morts» a été déposée «contre inconnu». L’enquête se poursuivra «encore plusieurs semaines, voire plusieurs mois», indique le porte-parole de la police cantonale Stefan Oberlin.

«L’affaire n’est pas aussi simple que certains médias le présentent et nous n’avons pas qu’une seule personne à interroger», ajoute-t-il, faisant allusion aux soupçons pesant sur Ludwig Minelli, fondateur de l’organisation d’aide au suicide Dignitas.

Dignitas prend en charge des étrangers, souvent malades incurables, qui s’adressent à elle pour finir leurs jours en Suisse, car l’assistance au décès n’est pas autorisée dans leur pays (France, Allemagne et Grande-Bretagne surtout). Le droit suisse l’autorise.

Plongeurs également visés

Pour l’heure, les urnes mystérieuses sont déposées en lieu sûr respectant la dignité des personnes décédées, dit la police. Si une bonne partie de l’opinion soupçonne Ludwig Minelli, la police est, évidemment, nettement plus circonspecte.

«Si les urnes ont été déposées à bon droit, ce sont les plongeurs qui auront perturbé les morts. Si elles ont été déposées en violation du droit, c’est celui ou celle qui les avait laissées dans l’eau qui sera poursuivi», résume Stefan Oberlin.

Ludwig Minelli a publié un communiqué pour admettre le dépôt d’une urne dans le lac. Mais il niait en revanche avoir violé les dernières volontés de la défunte.

Nouvelle découverte

Mais les plongeurs n’ont pas retrouvé qu’une urne. Outre l’action «privée» ayant abouti à la sortie de treize récipients, la police a décidé d’aller rechercher d’autres urnes, pour éviter «un tourisme de plongeurs», selon l’Office cantonal zurichois des eaux, des déchets, de l’énergie et de l’air (AWEL).

Vingt-deux pots de terre cuite supplémentaires ont été remis à l’air libre. Sur toutes les urnes, les plaquettes d’identification ont été dévissées.

Juste après, le 21 avril, «une troisième opération de plongée a permis de localiser d’autres urnes, à une profondeur de quelque 40 mètres, profondeur que tous les plongeurs amateurs ne peuvent pas atteindre, explique Wolfgang Bollack, porte-parole du Département cantonal des travaux publics, dont dépend l’AWEL.

«En accord avec la police cantonale, nous avons décidé de ne pas dire combien. En temps voulu, il reviendra au Directeur des travaux publics de décider ce qu’il adviendra d’elles», précise Wolfgang Bollack.

Le lac, «cimetière» possible?

En décembre 2008, le gouvernement du canton de Zurich avait indiqué, dans une réponse à une parlementaire, que l’utilisation du lac comme lieu de dernier repos n’était pas possible pour des raisons éthiques et sociales.

«Le lac est un endroit de détente, de baignade et un réservoir d’eau potable, précise Wolfgang Bollack. Même si les urnes ne posent pas un problème sous cet angle, cela n’est pas convenable ni pour la population ni pour les personnes décédées de le considérer comme ‘cimetière’ possible».

Entre 2005 et 2008, deux demandes de dépôt de cendres dans le lac ont été enregistrées, de la part de personnes ayant eu un lien étroit avec le lac durant leur vie, et cela avait été «toléré». En revanche, les entreprises de pompes funèbres n’ont pas le droit de proposer cette immersion d’un genre particulier.

Désirs de plus en plus divers

A l’administration des cimetières de la ville de Zurich (qui en compte 24, dont 5 privés), le vice-directeur Bruno Bekowies confirme donner cette réponse aux personnes qui en font la demande. «Le lac peut faire du sens si c’était le souhait de la personne.»

Précision troublante du responsable: «Ceux qui se décident pour un éparpillement des cendres, sur le lac ou en montagne, sur les lieux d’une ballade aimée par exemple, regrettent souvent, par la suite, de ne pas avoir de lieu de recueillement.»

A Zurich, 8% des 6000 urnes délivrées chaque année sont laissées aux proches. De cette proportion, la moitié est transférée dans des cimetières d’autres communes.

Il reste donc 4%, soit 240 urnes, dont le destin reste inconnu. Jardins privés, forêts-cimetières, montagnes, lacs…: «Nous demandons aux gens ce qu’ils pensent faire, mais nous ne contrôlons pas», précise Bruno Bekowies. La dignité du dernier lieu de repos n’est décidément plus aussi facile à définir qu’autrefois…

Ariane Gigon, Zurich, swissinfo.ch

Le 18 avril 2010, deux plongeurs remontaient, de leur propre initiative, 13 urnes funéraires retrouvées dans le lac de Zurich, au large de Küsnacht.

La police décidait de ne pas laisser les autres urnes gisant au fond des eaux, pour éviter un «tourisme de plongeurs». 22 autres urnes étaient repêchées. A une profondeur plus grande, la police a encore localisé d’autres urnes, mais ne communique pas leur nombre.

Une enquête pour atteinte à la paix des morts est en cours. Dignitas a admis avoir déposé une urne au fond du lac.

L’organisation d’aide au suicide suscite la controverse depuis des années, car elle est accusée de provoquer un «tourisme du suicide».
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C’est notamment pour répondre aux critiques et aux craintes que le ministère suisse de la Justice et Police souhaite soumettre l’assistance au suicide à de nouveaux critères.

La révision est en cours. Une autre organisation d’aide au suicide, Exit, n’est ouverte qu’aux personnes résidant dans le pays.

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