Des perspectives suisses en 10 langues

Des voix d’or pour conjurer la pluie et la grisaille

Robert Plant. Le vieux lion a gardé sa crinière. Et il rugit toujours. © Paléo / Boris Soula

Robert Plant, ex-voix de l’immense Led Zeppelin, Mika, nouvelle voix d’un revival pop-glam rafraîchissant: il n’en fallait pas moins face à la pluie de samedi sur le Paléo. Et le festival apprenait médusé la mort de celle qui aurait dû être à l’affiche de la soirée: Amy Winehouse.

«Il ont essayé de me faire entrer en désintox, mais j’ai dit non, et non et non…», chantait-elle dans Rehab, qui restera un des tubes de sa trop brève carrière. Samedi, Amy Winehouse a rejoint Brian Jones, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison et Kurt Cobain dans le cercles des poètes-musiciens disparus à 27 ans.

Initialement, elle devait être au haut de l’affiche de la soirée au Paléo. Mais sa prestation catastrophique en juin à Belgrade avait amené l’annulation de la tournée. Depuis, le prodige de la soul essayait tant bien que mal de se remettre sur pied… Hélas, ses démons semblent l’avoir rattrapée ce samedi 23 juillet, dans sa chambre londonienne où elle a été retrouvée morte. De cause encore officiellement «inexpliquée».

Visiblement secoué, Mika, annoncé quelques semaines auparavant comme remplaçant de la chanteuse, entame son set en lui dédiant le concert. A ce moment, la nouvelle est encore fraîche. Combien de personnes dans la foule savent déjà qu’Amy Winehouse n’est plus de ce monde ? Mystère. Mais lui le sait. Et il en rate presque complètement ses deux premières chansons.

Band of Joy

Mais revenons un peu en arrière. Avant Mika ce samedi au Paléo, il y a eu Robert Plant. De 1968 à 1980, il a été la voix de Led Zeppelin, le groupe qui a posé, en six albums essentiels, trois qui le sont moins et plus de 150 millions de copies vendues, les règles de base d’à peu près tout ce que le rock a développé par la suite.

Alors, séquence nostalgie ? Pas vraiment. Parce qu’à 63 ans, avec derrière lui une belle carrière solo, Plant semble avoir atteint une sérénité qui le place au-dessus de ces considérations. C’est d’ailleurs lui qui s’est opposé à l’idée d’une tournée après la reformation de Led Zep le 10 décembre 2007 à Londres, qui avait vu 20 millions de personnes s’annoncer sur la toile pour décrocher une des 20’000 places de ce concert unique.

Non, son truc à lui, actuellement, ce sont les musiques du cœur: blues, gospel, folk, à dominante acoustique et à plusieurs voix. Et surtout, c’est donner du plaisir au public sans se prendre pour la rock star inaccessible qu’il a été. D’où le nom de son groupe: Band of Joy, choisi en hommage à une formation de jeunesse où il chanta avant d’embarquer à bord du Zeppelin.

Sous le ciel immense

Dans sa version 2011, la «bande de joie» réunit trois guitares (qui savent aussi se faire banjo, pedal steel ou mandoline) au magnifique accent américain. Patty Griffin, grand nom du folk et de la country, Buddy Miller et Darrell Scott, sorciers de Nashville confèrent à la musique le parfum des grands espaces et la couleur des bivouacs sous le ciel immense, avec parfois une teinte orientale ou arabo-andalouse.

Tous trois sont également compositeurs et chanteurs. Tour à tour ou ensemble, elle et ils mêlent leur voix à celle de Plant, devenue plus grave et plus profonde qu’aux temps du Zep. Sur des pièces hypnotiques comme Satan, Your Kingdom Must Come Down (brrr !), lyriques comme House of Cards ou poignantes comme Monkey, la magie des harmonies vocales opère à plein.

Et le band nous rappelle que deux accords bien balancés au banjo peuvent faire battre les mains et tanguer la foule aussi efficacement qu’un déluge de guitare distordue porté par une avalanche de batterie.

L’ombre du Zeppelin

Robert Plant n’en renie pas pour autant l’héritage de son ancien compère Jimmy Page, guitariste et compositeur principal de l’épopée Led Zeppelin. Les titres du défunt groupe forment en moyenne un tiers du répertoire de la tournée, avec des variations selon les soirs.

Pour Paléo, ce sera six chansons, de Black Dog en intro à Ramble On en finale. Bizarrement, la première ne commence pas par ce cri primal mille fois entendu qui ouvrait l’indispensable album «IV», mais par un drôle de riff de guitare, qui n’a plus rien à voir avec l’original. Troublant, mais néanmoins juste.

«Notre musique est plus compliquée que vous ne pensez», aimait à répéter Jimmy Page aux journalistes à propos de Led Zeppelin. Avec Band of Joy, on voit aussi qu’elle est plus modulable que l’on croit. D’ailleurs, en cherchant bien, vous trouverez même une mouture originale de Black Dog en version… acoustique.

Alors, tant pis, voire tant mieux si Houses of the Holy, Bron-Y-Aur Stomp et Misty Mountain Hop diffèrent ce soir pas mal des versions studio que tout le monde connaît (comment ? non ? ah bon…), leur traitement nouveau n’enlève rien à leur force. Et en rappel, il y aura ce magnifique Gallows Pole, un peu ralenti et réduit à sa plus simple expression: une guitare et une voix. Et quelle voix !

Mika, baroque et troublé

Robert Plant et son Band of Joy quittent la scène et la pluie se met à tomber. Elle durera jusqu’aux premiers accords de piano d’un Mika passablement troublé par l’actualité des dernières 24 heures. Il y reviendra deux fois durant le concert. Car il n’y a pas que la mort d’Amy Winehouse. Il y a aussi cette abominable tuerie en Norvège. «J’ai rarement le trac avant de monter sur scène, mais là, je l’avais vraiment», explique-t-il la voix brisée. Et on le devine totalement sincère.

La voix c’est évidemment la marque de fabrique du phénomène Mika. Cette fois, il n’a pas hésité à placer ses deux choristes avec lui sur la ligne de front. Avec les instrumentistes qui s’y mettent épisodiquement, c’est un vrai festival de chant et de contre-chants.

La batteuse, elle, tape avec le gros bout des baguettes. Et par analogie, on dirait qu’il en va un peu de même de tout le groupe… La force indéniable des compositions n’en reste pas moins diablement efficace. La quasi-intégralité du premier album y passe, avec quelques titres du second et en primeur quatre chansons du troisième, qui s’annonce dans la droite ligne des deux autres. Tant que la recette fonctionne, pourquoi pas ?

Pas grand changement donc par rapport au premier passage de gueule d’ange à Paléo en 2008, si ce n’est au niveau visuel. Pour cette tournée, c’est décor et costumes fin 18e siècle, avec perruques poudrées, pourpoints brodés et jabots de dentelle. Comme dans «Mozart l’opéra rock» ? Ou simplement pour faire baroque, un terme qui colle assez bien à la musique de Mika ?

Peu importe finalement. Il y a longtemps, Mick Jagger disait des shows de ses Rolling Stones: «notre spectacle n’est pas pour les adultes.» A ce niveau en tout cas, il a trouvé son successeur.

«Paléo pluvieux, Paléo heureux». A l’heure du bilan du festival, son patron Daniel Rossellat a souligné dimanche l’excellente ambiance qui a régné durant six jours, malgré les 62 millimètres de pluie tombés durant la semaine et la boue omniprésente, «du jamais vu en 35 ans».

Finances en berne. Revers de la médaille, le chiffre d’affaire des bars est en baisse de 12% par rapport à 2010 et de 20% par rapport à 2009. «Les gens sont arrivés un peu plus tard, partis un peu plus tôt et ils avaient sans doute moins soif», analyse le patron du Paléo. Ensemble, bars et restaurants contribuent pour un cinquième aux recettes du festival. A ce recul s’ajoutent les coûts engendrés par le plan pluie, soit environ 200’000 francs. Au total, 1130 mètres cubes de paille hachée, 475 de copeaux et 50 de gravier ont été déversés sur la plaine de l’Asse. Le résultat final reste encore inconnu. En 2009, le festival avait dégagé un bénéfice net de 565’000 francs, contre un déficit de 150’000 francs en 2010. Mais Daniel Rossellat n’est pas inquiet. Les réserves devraient permettre à Paléo d’éponger la perte.

Musique. Au niveau artistique, le concert «puissant et précis des Strokes», la prestation du «grand monsieur» qu’est Robert Plant et la «générosité» des hérauts de la chanson francophone tels que les Cowboys Fringants ou Cali ont comblé les organisateurs. Et le responsable de la programmation Jacques Monnier d’évoquer encore le «visuel hallucinant» des Chemical Brothers. Une réussite qui lui donne envie de faire venir Daft Punk, ce qui serait à coup sûr «un carton».

Hommage. Cette 36e édition a aussi été marquée par le choc causé par le décès d’Amy Winehouse samedi. Mika, qui lui a dédié son concert, a rendu un hommage «sobre et beau», relève Jacques Monnier. «Il a su trouver les mots justes», estime pour sa part Daniel Rossellat, parlant encore de «bouffée d’émotion» pour les 35’000 personnes présentes samedi.

En conformité avec les normes du JTI

Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative

Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !

Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision

SWI swissinfo.ch - succursale de la Société suisse de radiodiffusion et télévision