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Diamant noir, Erykah Badu met Montreux à ses pieds

Erykah Badu pour un crescendo émotionnel de deux heures.

L'Américaine de Dallas a livré un concert d'anthologie en ouverture du 42e Montreux Jazz Festival. Son condensé stylisé de musiques noires et sa gestuelle ont mis le feu à l'Auditorium Stravinksi. Avec elle, tout le monde est prêt au changement...

Au début, le désordre. Une palette couverte de matériel d’éclairage croise des cartons de jus de fruits. Des hôtesses déballent les fauteuils du centre médias. Une scie sauteuse s’éreinte sur une langue de plastique.

14 h30 vendredi, le Centre de Congrès de Montreux relooké cette année est encore un chantier.

Dehors, au pied du gruyère de béton, les premiers badauds testent déjà les stands de cuisines bordant les quais ensoleillés des bords du Lac Léman. Les estomacs donnent l’ordre de marche. Le 42e Montreux Jazz Festival, c’est presque (bien) parti…

Trois heures plus tard, le patron de l’événement Claude Nobs et ses équipiers confirment ces bonnes sensations devant la presse. En toute sérénité, les dernières infos pratiques: Roberta Flack remplacera Etta James, depuis deux semaines à l’hôpital. La soirée Quincy Jones du 14 donnera lieu à une répétition (payante) ouverte au public l’après-midi.

Huit soirées sont complètes à l’Auditorium Stravinski, quatre au Miles Davis Hall, la petite des deux salles. Mais le festival mettra encore en vente des billets le soir du concert, y compris pour celui de Leonard Cohen…

La dernière au Casino

Mais vendredi, place à Erykah Badu. En 2000, elle avait été la dernière à se produire au Casino, l’ancien siège du festival. «Ses murs transpirent la musique», disait-elle. Que dire de ses pores à elle?

Au début, l’absence. Un rythme lourd, une musique obsédante sur cinq notes. Les sept musiciens la réitèrent sans cesses. Infimes variations. Les trois choristes se déhanchent. Dix minutes et la voilà, robe courte noire de couturier, talon fin, maquillage violet, coupe de cheveux étudiée à tresses et meringue.

Les deux heures qui suivent sont un crescendo émotionnel à la dramaturgie parfaite. Une quinzaine de morceaux de l’étouffant dernier album. Des titres plus anciens aussi.

Erykah Badu mime, danse, se fait sorcière vaudou ou lady lascive. Elle se lance dans un solo de percussion numérique ici, de tambour là, joue avec un sample sur son Mac. Maîtrise du moindre geste, mais à la façon d’une styliste. Une foisonnante épure.

Musique au diamant

Toute en intensité, en densité, elle manipule sa voix claire, qui passe de la vocalise explosive et sur-tendue au filet articulé et taillé au diamant. Soul, hip hop, funk: la potion est miraculeuse et le show total. Sa musique pourtant cérébrale et complexe respire au contact de «Montreux – I love you!».

Amour, mais aussi critique, contestation. Erykah Badu n’avale pas le monde avec ses arêtes. Son dernier album parle d’une 4e guerre mondiale qui serait celle de tous les humains – sans distinguo de couleurs – contre les pouvoirs. C’est elle qui le dit aux deux-tiers de son concert.

Elle évoque Obama, candidat à la présidentielle américaine, qui même s’il n’entre pas à la Maison blanche, offre des étoiles aux gens. «Les gens sont prêts au changement. Partout dans le monde», lance-t-elle avant d’entamer «Soldiers».

Le public répond à ses moindres injonctions, conquis. Il vibre, rythme, lève les bras vers le ciel. Puis d’un «Peace and love!», Badu fait mine de s’esquiver, après une révérence de danseuse classique.

Du briquet au téléphone

«Badu, Badu, Badu….!» Cette fois, Erykah descend de scène pour continuer sa parade à distance équivoque du public. Elle le fait chanter et lui assure que «that was beautiful!».

Ensuite, à sa demande, briquet et téléphones mobiles sont brandis. Nuit sur la scène et la salle. «This is a light special for you!»… Gens de tous les pays, unissez-vous et sautez sur les prochaines dates d’Erykah. C’est le changement qui arrive.

swissinfo, Pierre-François Besson à Montreux

Estampillée diva de la nu soul par la presse spécialisée, l’Américaine est née Erica Wright au Texas en 1971.

Elle est aujourd’hui établie entre New York et Dallas, où elle conduit un projet social pour les jeunes à travers la musique, la dance ou les arts visuels.

Personnalité éminente des musiques noires actuelles (R&B, hip hop, soul, jazz) et actrice, elle a enregistré cinq albums, dont un live.

Après «New Amerykah Part One (4th World War)» en début d’année, son «New Amerykah Part Two (Return of the Ankh)» est attendu pour août.

Cette 42ème édition a lieu du 4 au 19 juillet.

Au total, les deux scènes verront défiler près de 90 groupes.

Une trentaine de concerts sont des exclusivités suisses, dont ceux de Sheryl Crow, Joan Baez, The Raconteurs, Leonard Cohen et Madness, Gnarls Barkley et Travis, Etta James et les Babyshambles.

Maintes animations complètent la programmation, dont 250 concerts et DJ gratuits, des croisières sur le Léman et des voyages musicaux en train.

Les organisateurs disposent d’un budget de 18 millions. L’édition précédente avait attiré 220’000 personnes.

Le festival a été créé en 1967 par Claude Nobs, toujours aux commandes. De nombreux disques live y ont été enregistrés.

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