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Dick Marty au chevet de la question jurassienne

Dick Marty a présidé le 21 mars sa première séance à la tête de l'Assemblée interjurassienne. Keystone

Nommé récemment à la présidence de l’Assemblée interjurassienne (AIJ), Dick Marty prend très à cœur son rôle de facilitateur dans la résolution du conflit jurassien. Le sénateur tessinois estime qu’une nouvelle votation sera inévitable. Interview.

Dick Marty est l’homme des missions délicates. Après avoir enquêté sur les prisons secrètes de la CIA et révélé les violences faites aux résistants tchétchènes, il a récemment mis le feu aux poudres en dénonçant dans un rapport remis au Conseil de l’Europe un trafic d’organes présumé conduit par l’Armée de libération du Kosovo sur des prisonniers serbes.

En choisissant une personnalité qui rayonne bien au-delà de la Suisse pour présider l’Assemblée interjurassienne (AIJ), institution de réconciliation entre les cantons de Berne et du Jura, le Conseil fédéral (gouvernement) a décidé de donner une nouvelle visibilité à la question jurassienne.

swissinfo.ch: Vous avez récemment présidé votre première séance à la tête de l’Assemblée interjurassienne. Pourquoi avoir accepté ce mandat?

 

Dick Marty: Les cantons de Berne et du Jura le souhaitaient et je n’avais pas de bonne raison de refuser. La question jurassienne exprime assez bien la manière dont la Suisse parvient à résoudre les conflits. Partout ailleurs dans le monde où se posent des questions d’identité, de langue, d’ethnie ou de religion, la réponse se fait par la violence, l’exclusion ou la sécession. En Suisse, nous bénéficions d’ une culture du dialogue et nous mettons en place des institutions, certes lentes, mais qui permettent de résoudre ces problèmes. C’est fascinant.

swissinfo.ch: Après avoir notamment emmanché les dossiers des prisons secrètes de la CIA et du trafic d’organes au Kosovo, la question jurassienne ne vous paraît-elle pas un peu futile?

 

D.M.: Il n’y a pas de combat futile, mais des problèmes qui touchent les gens d’une façon différente. Certes, il y a des conflits plus graves dans le monde et la réalité jurassienne n’a rien à voir avec celle de la Tchétchénie ou des Balkans. Mais regardons autour de nous. La Belgique est un pays qui ressemble à la Suisse de par son niveau socio-économique, et elle est incapable de mettre sur pied un mécanisme similaire à ce qui se fait pour la question jurassienne.

swissinfo.ch: Comment voyez-vous votre mission?

 

D.M.: Les solutions doivent être trouvées par les cantons. En tant que représentant de la Confédération, je dois veiller à ce que le dialogue se poursuive. Mon rôle est de faire des suggestions lors de moments délicats pour ensuite aboutir à des décisions concrètes. Nous avons trouvé un mode de dialogue mais il est clair que les décisions les plus difficiles sont encore à venir.

swissinfo.ch: Une nouvelle votation sur la question jurassienne vous paraît-elle inéluctable?

 

D.M.: L’assemblée interjurassienne a réalisé un travail remarquable au cours des dernières années, qui a abouti à un rapport présenté en 2009. Ce rapport envisage deux pistes. La première est la constitution d’un nouveau canton à six communes, trois représentant le canton du Jura actuel et trois le Jura bernois. La deuxième, appelée statu quo+, prévoit également la fusion des communes. La frontière cantonale subsisterait, mais le Jura bernois jouirait d’une autonomie accrue.

Il appartient désormais aux cantons de Berne et du Jura de décider de la suite à donner à ce rapport.  Je pense qu’il sera difficile de nier au peuple le droit de se prononcer. Une fois adopté le principe du vote, les cantons devront en définir les modalités. Un premier pas serait celui de votations locales. Si l’on devait aboutir à une modification des frontières cantonales, il faudrait ensuite procéder à une votation au niveau national. Mais nous n’en sommes pas encore là.

swissinfo.ch: Au-delà de quelques militants, avez-vous le sentiment que la question jurassienne intéresse encore aujourd’hui les populations concernées?

D.M.: Je me souviens encore très bien du climat de forte tension qui existait dans les années 60 et’70. J’étais alors étudiant à Neuchâtel et je côtoyais aussi bien des étudiants jurassiens du Nord et du Sud. La tension s’est estompée, je pense que les jeunes générations ont un peu de peine à comprendre toute la dimension de ce conflit. Le développement économique et des infrastructures va encore accélérer le changement des mentalités et établir les priorités d’une manière différente. Mais si la passion n’est plus la même, il ne faut pas pour autant nier le problème.  

swissinfo.ch: Cette question jurassienne n’est-elle pas un combat d’arrière-garde à l’heure où l’on raisonne toujours plus en terme d’agglomérations?  

D.M.: La question jurassienne sera peut-être résolue le jour où l’on abordera véritablement la question du fédéralisme au niveau national. Nous glissons vers un centralisme qui doit inquiéter les fédéralistes authentiques. Les cantons sont devenus trop faibles, la Confédération et l’administration fédérale trop fortes. Au vu des nouvelles réalités socio-économiques, des nouvelles possibilités de mobilité, il faudra créer des cantons beaucoup plus grands, plus forts et capables d’assumer leurs tâches. Il serait imaginable que le nombre de cantons soit un jour réduit à 9 ou 10. La Suisse des 26 cantons risque d’être très bientôt dépassée. 

swissinfo.ch: Précisément, l’AIJ n’aurait-elle pas dû se pencher davantage sur la création d’un grand canton de l’Arc jurassien, incluant notamment le Jura, le Jura bernois et le canton de Neuchâtel?

 D.M.: Cette question sortait du mandat de l’AIJ. Il n’est pas réaliste d’envisager la création d’un tel canton sans une profonde redistribution des cartes au niveau de la Confédération. Mais je peux très bien m’imaginer un canton de l’Arc jurassien. C’est une région heureuse, qui possède un savoir-faire et un dynamisme remarquables.

1815: le Congrès de Vienne attribue l’Evêché de Bâle au canton de Berne. L’ancienne principauté des princes-évêques comptait sept districts, Porrentruy, Delémont, les Franches-Montagnes, Moutier, Courtelary, La Neuveville et Laufon.

Dès les années 50: montée en puissance du mouvement séparatiste.

23 juin 1974: premier plébiscite. La majorité accepte la création du canton du Jura. Mais seuls les districts de Delémont, Porrentruy et des Franches-Montagnes s’expriment en faveur d’une séparation. Ceux du Sud s’y opposent. Ils le confirmeront quelques mois plus tard.

24 septembre 1978: le peuple suisse accepte par 82,3% de «oui» la création du nouveau canton constitué des districts de Delémont, de Porrentruy et des Franches-Montagnes.

1er janvier 1979: le canton du Jura entre en souveraineté.

25 mars 1994: signature par les cantons du Jura et de Berne sous l’égide de la Confédération de l’Accord du 25 mars instituant l’Assemblée interjurassienne (AIJ), institution de réconciliation.

4 mai 2009: l’AIJ présente le fruit de ses travaux, marquant sa préférence pour le projet d’un nouveau canton formé du Jura et du Jura bernois comptant six communes. Le rapport prévoit également une autre piste, celle du statu quo amélioré.

17 décembre 2010: le sénateur Dick Marty est nommé à la présidence de l’AIJ, succédant ainsi à Serge Sierro. Le 21 mars dernier, il a présidé sa première séance à la tête de l’institution.

Suite: le canton du Jura s’est d’ores et déjà déclaré favorable à une votation alors que celui de Berne dit s’en remettre à l’avis que devrait donner en mai le Conseil du Jura bernois.

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