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«Il n’y a rien de pire que de laisser deux camps dans l’incertitude»

Près de 17 mois après la jubilation des autonomistes, c'est pratiquement le retour à la case départ. Keystone

Près d’un an et demi après le vote de Moutier sur son rattachement au canton du Jura, le scrutin est annulé. Qu’elle soit fondée ou pas, la décision s’est faite trop attendre, estime Dick Marty, qui a œuvré durant des années à la résolution de plus important conflit politico-territorial helvétique de l’après-guerre.

Dick Marty, ancien procureur et parlementaire tessinois, avait eu à cœur de restaurer le dialogue dans une région divisée. S’il a acquis une notoriété internationale grâce à ses enquêtes sur les prisons secrètes de la CIA ou en dénonçant le trafic d’organes au Kosovo, il a aussi présidé l’Assemblée interjurassienne (AIJ), institution de réconciliation entre les cantons de Berne et du Jura, de 2010 à 2017.

Dick Marty Keystone

Au lendemain du vote 18 juin 2017, lorsque les citoyens Moutier avaient décidé par 51,7% des voix de rejoindre le canton du Jura, il avait décrit le scrutin comme «un bel exemple de démocratie». Dix-sept mois plus tard, déçu, il craint que son annulation n’ouvre à nouveau les blessures de la Question jurassienne.  

swissinfo.ch: Comment accueillez-vous la décision d’annuler le vote de Moutier?

Dick Marty: Ma première impression est une certaine incompréhension. Pourquoi avoir attendu 17 mois pour rendre une décision? Selon la préfète, l’information diffusée par la Municipalité avant la votation était déjà à elle seule une raison suffisante pour annuler le scrutin. Si cela était si évident, il aurait fallu décider rapidement. Je ne suis pas habilité à me prononcer sur le bien-fondé de l’invalidation, mais cette longue période d’attente a été néfaste pour le climat au sein de la ville. Une justice tardive n’est jamais une bonne justice.

En tant qu’ancien procureur, je connais les problèmes qui peuvent se poser et je sais que tout n’avance pas vite. Mais lorsqu’on veut et qu’on sent qu’un dossier est explosif, on doit se donner de la peine pour décider rapidement. Tout le monde sait qu’il n’y a rien de pire que de laisser deux camps dans l’incertitude, cela ne peut que dégénérer.

Le vote de Moutier devait mettre un terme définitif à la Question jurassienne. L’invalidation du scrutin relance-t-elle désormais le conflit?

J’ai bien peur qu’il ne soit reparti pour une nouvelle ronde. L’AIJ avait réussi à créer un climat de sérénité et de dialogue exemplaire entre les camps bernois et jurassien. Désormais, je crains que de nouvelles tensions profondes ne soient ravivées. C’est dommage, et je le regrette vraiment.

La meilleure solution serait de revoter immédiatement, par exemple au début de l’année prochaine, pour tranquilliser tout le monde. Malheureusement, ce n’est pas possible, car il y aura des recours jusqu’au Tribunal fédéral. Il faudra éventuellement revoter, puis des recours seront déposés à nouveau.

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Doit-on craindre des débordements, à l’image de ceux qui ont émaillé les années 1970?

Je ne l’espère pas. Je veux croire que le climat de dialogue instauré par l’AIJ n’est pas complètement anéanti et qu’il reste quelque chose qui permettra aux deux parties de cohabiter. Dans les deux camps, j’ai rencontré des personnes admirables. A mes yeux, tous ont de bonnes raisons à faire valoir. Toutefois, l’heure était venue de décider, et la décision ne m’avait personnellement pas surpris.

Comment en est-on arrivé là, alors que ce vote devait être le plus surveillé de l’histoire de la démocratie helvétique?

Je n’en ai aucune idée mais cela donne effectivement à réfléchir. On peut se demander si chaque votation un peu tendue pourrait être contestée et contestable. En plus des mesures de surveillance exceptionnelles, le vote du 18 juin à Moutier ne m’avait pas paru incongru. Le 24 novembre 2013, une votation sur l’éventuelle création d’un nouveau canton formé du canton du Jura et de la région du Jura bernois avait déjà eu lieu. Le Jura avait dit massivement oui, et le Jura bernois massivement non, à l’exception de Moutier qui avait voté en faveur d’un nouveau canton à 55%. A cela s’ajoute que depuis plus de 20 ans, la ville est composée d’une majorité séparatiste.

«Je trouve que cette Suisse exemplaire, transparente, admirable commence à être fissurée.»
Dick Marty

Peut-on considérer qu’il s’agit d’un échec pour la Confédération et la ministre de Justice et Police Simonetta Sommaruga, qui n’ont pas réussi à assurer le bon déroulement de la votation?  

Non, ce ne serait pas justifié. La Confédération aurait pu s’abstenir de tout intervention, car il s’agit d’une affaire intracantonale et éventuellement intercantonale. Les conflits entre les cantons ne sont pas réglés par le gouvernement mais éventuellement par le Tribunal fédéral. Intervenir était aussi délicat pour la Confédération, et elle l’a fait uniquement dans la mesure où Berne et le Jura le souhaitaient. L’AIJ chapeautée par un président de l’extérieur a également été le fruit d’un accord entre les deux cantons.

Le scrutin que vous décriviez comme «un bel exemple de démocratie» est-il finalement un mauvais exemple?

Ces derniers temps, je suis perplexe face aux nouvelles de la Suisse. On découvre régulièrement des choses qui ne fonctionnent pas: des conseillers d’Etat qui se font inviter à l’étranger par des mécènes, des élus qui se font rembourser des notes de frais qui s’apparentent à des vols. Je trouve que cette Suisse exemplaire, transparente, admirable commence à être fissurée. Nous sommes en train de prendre pas mal de risques. 

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