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Dr Doom mise sur l’Asie et les matières premières

Marc Faber est connu pour ses opinions qui vont souvent à l'encontre de la pensée dominante. Keystone

Pour Marc Faber, gourou suisse de la finance, les Etats-Unis vont au devant d’une récession due à la baisse de la consommation.

L’Asie, compte tenu de l’importance de la Chine, se profile comme la nouvelle locomotive. Pour la Suisse? Pas d’embellie en vue.

Surnommé Docteur Doom en raison de ses opinions souvent contraires à la pensée économique traditionnelle, Marc Faber était l’invité d’une présentation du Credit Suisse Asset Management (CSAM) à Zurich.

L’occasion pour ce Suisse qui a longtemps résidé à Hong-Kong d’exposer sa vision de l’économie mondiale mais aussi de ses développements prochains.

Affrontant une salle comble, Marc Faber a fait état de ses convictions: le pouvoir d’achat du dollar va décliner au fil du temps et la richesse se développer en Asie. Quant à l’économie suisse, le financier n’est pas vraiment optimiste.

Profitant de son passage à Zurich, swissinfo s’est entretenu avec le Dr. Doom.

swissinfo: Comment qualifiez-vous la santé de l’économie mondiale?

Marc Faber: On constate des déséquilibres très importants. Le niveau de la dette américaine s’accroît, ce qui génère, ce que j’appellerai une croissance artificielle. Ou plutôt, une croissance qui n’engendre pas d’investissements en capital.

Ce type de dépense a principalement lieu en Asie, particulièrement en Chine, continent où la production est la plus forte.

En d’autres mots, la balance commerciale et le compte courant des Etats-Unis restent déficitaires pendant que la richesse s’accumule en Asie. Un phénomène que confirment la hausse des réserves de devises des banques centrales asiatiques, la hausse du prix des actifs et celle des monnaies dans certains cas.

swissinfo: Et si vous regardez dans votre boule de cristal, vers quoi nous dirigeons-nous?

M.F: Je crois que l’économie mondiale sera encore traversée par des turbulences. Les Etats-Unis ne seront certainement pas en mesure de maintenir leur taux de croissance actuel et ils risquent, en 2004 et 2005, de connaître une récession découlant de l’effondrement de la consommation.

Par ailleurs, la taille des économies asiatiques est devenue considérable, comme la croissance de la production industrielle chinoise, en hausse de 20% cette année, en témoigne. Je pense donc que l’Asie tiendra le choc.

swissinfo: Selon vous, quelle sera l’évolution de l’économie américaine?

M.F: Il est inévitable que, d’ici quelque temps, le dollar perde de son pouvoir d’achat. Entre 1971 et 1980, le billet vert s’est déprécié de 70% par rapport aux principales devises occidentales.

A l’avenir, le pouvoir d’achat de toutes les monnaies va diminuer. Dans les faits, cela se traduira par une période d’inflation monétaire où les actifs financiers vont perdre de la valeur au profit de l’immobilier, de l’or et des matières premières.

A l’opposé, les monnaies asiatiques pourraient facilement s’apprécier de 30% contre l’euro et le dollar sans que la région ne perde sa compétitivité.

swissinfo: Dans quels secteurs les investisseurs malins vont-ils investir dans les années à venir?

M.F: J’ai remarqué que beaucoup d’investisseurs ont acquis des ressources, des actifs lourds, c’est-à-dire des biens immobiliers, plus particulièrement dans les pays émergents – Europe de l’Est, Asie où les prix sont bas – et des matières premières, y compris de l’or qui est en fait une des devises de la planète.

Il y a aussi le dollar, l’euro, le yen et le renminbi (Chine). Ce sont toutes des valeurs dont la quantité peut être augmentée à volonté tandis que celle de l’or est corrélée à la production minière de 2500 tonnes par an, environ 35 milliards de dollars.

Etant donné qu’il y a toujours plus d’argent sous forme de papier par unité d’or, je pense que le marché de l’or est au début d’un rally. Depuis le mois de janvier 2001, l’once est passée 258 à 390 dollars et pourrait bien continuer de s’apprécier.

swissinfo: Pouvez-vous expliquer pourquoi la Chine va devenir une locomotive économique?

M.F: Il faut savoir tout d’abord que plusieurs marchés chinois sont déjà plus importants qu’aux Etats-Unis.

La Chine produit plus d’acier que les Etats-Unis et le Japon réunis et elle en importe aussi. Elle produit cinq fois plus de ciment que les Etats-Unis. Les ventes de motos sont plus importantes en Chine qu’aux Etats-Unis, la moitié des fours micro-ondes de la planète proviennent de Chine….

Etant donnée la taille physique de ces marchés, la forte croissance du pays qui découle de son industrialisation et de l’augmentation du niveau de vie de ses habitants, la Chine devient progressivement un client important pour les pays de la région.

Elle est aujourd’hui le plus grand consommateur de cuivre au monde, de même qu’un gros importateur de minerai de fer, de nickel et de cuivre, le pays n’en étant pas suffisamment pourvu.

Raison pour laquelle, les différentes économies vont, jusqu’à un certain point, devenir de plus en plus attentives aux cycles économiques chinois. Une croissance importante aura sur elles des répercussions positives, et inversement.

swissinfo: Comment voyez-vous l’évolution de la Suisse dans les années à venir?

M.F: En termes d’investissements industriels, la situation restera anémique. Autrement dit, si les sociétés suisses veulent survivre, elles devront faire baisser leurs coûts en délocalisant leur production dans des pays moins chers comme le Vietnam ou la Chine.

Il en va de même pour les services qui peuvent être fournis par des pays comme l’Inde, à des coûts bien inférieurs à ceux pratiqués en Suisse.

Quant à la croissance économique, je crois qu’elle sera décevante. Le mieux que le pays puisse espérer, c’est de conserver son niveau de vie actuel.

Interview swissinfo: Robert Brookes
(Adaptation: Jean-Didier Revoin)

Marc Faber ne croit pas en une croissance économique américaine durable.
Il table sur une remontée des prix des matières premières.
Et voit l’Asie tirer toute l’économie mondiale.

– Marc Faber est né à Zurich, où il a obtenu un doctorat en économie avec mention magna cum laude à 24 ans.

– De 1978 à 2000, il a été directeur de Drexel, Burnham et Lambert à Hong-Kong.

– En juin 1990, il s’est mis à son compte en tant que conseiller en investissements, gérant de fond et courtier.

– Il vit et travaille aujourd’hui dans le Nord de la Thaïlande mais a conservé un bureau à Hong-Kong.

– Surnommé Dr Doom, il édite une newsletter mensuelle intitulée «The Gloom, Boom and Doom Report».

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