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Trop de cannabis légal: la Suisse devient-elle un pays exportateur?

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Werner Bösch, 59 ans, s’est lancé dans le business de cannabis CBD à l’été 2016. swissinfo.ch

Werner Bösch, premier producteur de chanvre CBD indoor de Suisse, nous parlait l’année dernière du boom de la «marijuana light». Nous sommes retournés le voir pour savoir si l’euphorie verte persiste. Ce que nous avons trouvé est plutôt de la désillusion.

La dernière fois, nous avions été reçus par la police antidrogue. Des agents des forces de l’ordre du canton de Zurich étaient en train de vérifier que les plants de Werner Bösch étaient conformes à la loi. Aujourd’hui, par contre, on trouve une dizaine de jeunes assis à une longue table. Munis de gants en latex, ils nettoient méticuleusement les têtes de cannabis des feuilles et des brindilles.

Werner Bösch est dans le local de séchage. Il nous accueille en s’excusant pour la «saleté», des fragments et de la poussière de chanvre qui jonchent le sol. «Nous sommes en pleine préparation», explique-t-il en montrant les fruits de la dernière récolte.

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Le chanvre doit d’abord être séché avant d’être nettoyé et emballé. swissinfo.ch

Sa plantation indoor se trouve au sous-sol d’un bâtiment industriel de Rümlang, à la périphérie de Zurich. Par rapport à l’année dernière, le nombre de plantes a plus que doublé, passant de 2700 à presque 6000.

Les affaires liées au commerce du cannabis light, ou CBD (du nom d’un de ses principes actifs, le cannabidiol) sont donc en pleine croissance? «Pas du tout!, répond Werner Bösch. Le marché a complètement changé».

De 5 à 630 producteurs

Le chanvre dit «légal» doit contenir moins de 1% de THC , le principe actif qui rend «stoned». Il est disponible en Suisse depuis environ deux ans. De plus en plus de commerces, grandes surfaces, kiosques, shops en ligne et même distributeurs automatiques offrent cette marijuana light, sous forme de têtes, de cigarettes déjà roulées ou d’extraits.

Contrairement au THC, le CBD n’est pas considéré comme un stupéfiant et n’est donc soumis à aucune interdiction. Diverses propriétés bénéfiques lui sont associées, par exemple de combattre les inflammations et les douleurs. Mais son effet médicinal, avertitLien externe l’Office fédéral de la santé publique, «n’est pour l’instant pas assez avéré par la recherche».

Les chiffres de l’Administration fédérale des douanes (AFD) illustrent bien le phénomène du cannabis CBD en Suisse: les producteurs enregistrés au début 2017 étaient cinq. Douze mois plus tard, il y en avait 490, et aujourd’hui, ils sont 630. Un boom qui n’a cependant pas tardé à produire son effet fâcheux pour les cultivateurs: la chute des prix.

Surproduction de CBD

«Au début, un kilo se vendait en gros 6000 francs. L’année suivante, on était tombé à 4000, et aujourd’hui, on a de la chance si on arrive à le vendre 1700 francs», explique Werner Bösch.

En Suisse, constate-t-il, on est en surproduction de cannabis CBD et beaucoup doivent lutter pour couvrir leurs coûts (surfaces, lampes, électricité, systèmes de ventilation, engrais…). Certains ont déjà jeté l’éponge, d’autres ont réussi à réduire leurs coûts, en utilisant des machines relativement bon marché pour le traitement de la récolte.

Mais dans le sous-sol de Werner Bösch, on continue à travailler à la main. «Pour ne pas endommager la plante et garantir la qualité maximum», explique cet ancien ingénieur électricien, actif dans le marché du chanvre depuis pratiquement 40 ans.

Malgré l’extension des cultures, sa production est restée stable à environ 20 kilos par mois. Pour le chanvrier, il est inutile de produire plus. «On n’arriverait pas à le vendre. Le marché est saturé. Nous préférons miser sur la qualité que sur la quantité».

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Le nettoyage des têtes de cannabis est une des étapes les plus exigeantes de la production. swissinfo.ch

Sauvés par l’Italie et la France

Face à la saturation du marché suisse, certains producteurs ont commencé à regarder au-delà des frontières. Le cannabis est exporté, en particulier en Italie, en France et en Autriche, ce qui a évité à de nombreux cultivateurs de devoir fermer boutique, observe Werner Bösch. En Europe, où les normes en matière de THC sont plus sévères (limite légale à 0,2%), le cannabis légal est très demandé, confirme un producteur suisse cité par la Luzerner ZeitungLien externe. Il affirme reporter tous ses espoirs sur l’étranger, et avant tout sur l’Italie.

En Italie, des commerces de chanvre sont apparus dans huit villes sur dix, pour un total d’environ 1000 points de vente. Ils fleurissent également en France, selon un article récent du quotidien Le MondeLien externe, qui indique que la majorité de ces boutiques «se fournissent en Suisse».

Contacté par swissinfo.ch, le porte-parole de l’AFD David Marquis dit ne pas avoir de chiffres sur les exportations de cannabis CBD, vu que ce produit «n’est pas comptabilisé séparément dans les statistiques du commerce extérieur».

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Werner Bösch sorride nel suo negozio.

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Le cannabis par passion

Un commerce extérieur dont Werner Bösch se méfie: «Certains producteurs ont même commencé à exporter des boutures, c’est-à-dire des clones d’une plante mère. En faisant cela, nous vendons notre savoir-faire à l’étranger. D’ici un an ou deux, les Italiens et les Français pourront produire leur chanvre et il n’y aura plus rien à faire pour les Suisses», avertit le chanvrier.

Si lui peut renoncer à ce canal de distribution et continuer à produire, c’est parce qu’il peut vendre son cannabis directement dans ses cinq magasins et sur internet. Le prix au détail (10 à 13 francs le gramme) a aussi baissé, mais moins que celui de la marchandise en gros. De plus, avec les déchets de son «herbe de haute qualité, avec une teneur en CBD de 15%», il fabrique et vend également une teinture.

La clientèle n’a guère changé – «les nouveaux clients sont rares» – et le chiffre d’affaires est resté identique à celui de l’année passée (environ 700’000 francs), affirme Werner Bösch. Mais dans ce cas, pourquoi poursuivre dans une activité onéreuse, qui selon lui ne génère pas d’énormes profits. La réponse est claire: «par passion».

Pour lui, le seul à profiter en plein de ce marché – hormis les quelques gros producteurs qui se sont lancés au début du boom -, c’est l’Etat. Considéré comme «produit de substitution du tabac», le cannabis CBD est frappé d’une taxe de 25%. En 2017, les recettes fiscales provenant de ce commerce ont rapporté 13 millions de francs aux caisses publiques.

Quel avenir pour le CBD?

Werner Bösch est plutôt pessimiste: «je ne vois aucun avenir pour le commerce du CBD». Le boom du cannabis light, souligne-t-il, a cependant eu un effet important: celui d’ouvrir la voie au cannabis avec THC. Récemment, le gouvernement a mis en consultation un texte de loi pour autoriser des projets pilote de distribution contrôlée de marijuana à fins récréatives et faciliter l’accès au cannabis à fins médicales.

 

Contenu externe

Pour autant, Werner Bösch, qui en tant que membre de la Communauté d’intérêts Chanvre SuisseLien externe, tente de faire du lobbying dans la Berne fédérale, ne se fait pas trop d’illusions. Sa crainte, c’est que si la vente du chanvre à fins récréatives est vraiment autorisée, elle devra répondre à des normes si strictes que cela va coûter très cher aux producteurs.

«Rien que pour la certification ISO de la plantation et du produit, il faudra consentir de gros investissements. Les petits producteurs ne le feront pas», avertit le chanvrier. Le risque, pour lui, c’est que les Suisses ne puissent pas rivaliser avec le cannabis produit à meilleur marché à l’étranger. «Il y a déjà des entreprises canadiennes qui sont prêtes à fournir de la marijuana certifiée à la Suisse».

Avant de prendre congé, Werner Bösch nous invite à revenir le voir dans un an. «Mais je ne peux pas vous garantir que mes locaux ne seront pas vides». 

Le cannabis encore une fois dans les urnes?

L’association Legalize it!Lien externe veut lancer une initiative populaire pour la légalisation de la consommation de cannabis en Suisse. Selon un sondage publié l’an dernier par Addiction SuisseLien externe, les deux tiers des Suisses seraient favorables à une réglementation du cannabis, si elle était accompagnée de mesures de protection de la jeunesse.

Au Parlement également, des voix se font entendre en faveur d’un assouplissement. Une initiative parlementaireLien externe des Verts demande l’élaboration d’une loi sur le cannabis, pour «régler en détail sa culture, son commerce, sa consommation et son imposition, ainsi que la protection de la jeunesse».

La dernière fois que le peuple suisse a dû se prononcer sur le cannabis, c’était en 2008: l’initiative pour la dépénalisation de la consommation avait été refusée avec 63% des votes.

(Traduction de l’italien: Marc-André Miserez)

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