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Daniel Vasella, l’homme aux deux visages

A l'heure du départ, Daniel Vasella laisse un bilan contrasté. Reuters

La presse de jeudi tire un bilan contrasté de l’action de Daniel Vasella à la tête de Novartis. Les commentateurs saluent un homme qui a su faire de son entreprise l’un des leaders du secteur. Mais ils soulignent aussi qu’il aura été l’archétype du manager surpayé.

Agé de 59 ans, Daniel Vasella a indiqué mercredi qu’il ne solliciterait pas un nouveau mandat de président du conseil d’administration. Après 17 ans de règne à la tête de l’entreprise, une page est donc sur le point de se tourner pour le géant du secteur pharmaceutique né de la fusion de Ciba Geigy et de Sandoz en 1996.

Une fusion réussie

De manière générale, les commentateurs reconnaissent que Daniel Vasella a parfaitement su gérer cette fusion. Sous sa conduite, la nouvelle entreprise s’est fortement internationalisée et est parvenue à se hisser au sommet de la hiérarchie mondiale.

La Neue Zürcher Zeitung (NZZ) est probablement le quotidien le plus élogieux. «Daniel Vasella n’a pas seulement marqué Novartis, mais la place industrielle suisse. Il a prouvé son talent entrepreneurial hors du commun dans plusieurs phases du développement de Novartis», estime le grand quotidien zurichois proche des milieux économiques.

«A l’heure du bilan, on retiendra qu’il est parvenu à façonner, au carrefour de la science et des affaires, une entreprise solide qui fait partie de la renommée économique de la Suisse», écrit Le Temps.

«Arnaqueur en chef»

Mais le nom de Daniel Vasella reste avant tout associé à des salaires mirobolants. Tous les journaux soulignent ce fait.

Blick, par exemple, rappelle que l’homme – qui a régulièrement caracolé en tête des entrepreneurs les mieux payés du pays – a engrangé quelque 300 millions de francs depuis 2002. Le grand quotidien populaire alémanique souligne que de telles rémunérations, considérées par certains comme «exorbitantes» voire même «obscènes», lui ont valu de nombreuses critiques.

«Il a perçu année après année des indemnités si exorbitantes qu’il s’est hissé au rang d’«arnaqueur en chef de la nation» et qu’il a été l’un des déclencheurs de l’initiative Minder» sur les rémunérations abusives, sur laquelle le peuple suisse s’exprimera le 3 mars, juge le Tages-Anzeiger.

Lancée par l’entrepreneur Thomas Minder, l’initiative «contre les rémunérations abusives» exige l’introduction d’un article constitutionnel englobant une série de dispositions qui renforceraient le droit des actionnaires des sociétés suisses cotées en bourse. Le but principal est d’éviter que les top managers s’accordent des rémunérations exorbitantes sans aucun rapport avec les résultats de leur société.
 
Le texte donne à l’assemblée générale les compétences pour élire chaque année tous les membres du conseil d’administration. Les actionnaires peuvent également décider du montant des rémunérations du conseil d’administration, de la direction ainsi que du comité consultatif. Les paiements d’avance, les indemnités de départ et les primes en cas d’achats ou de ventes de firmes sont interdits. Le vote par délégation est également proscrit.
 
Le peuple se penchera le 3 mars prochain sur cette initiative. En cas de refus, c’est le contre-projet adopté par le parlement qui devrait entrer en vigueur. Il s’agit d’une révision du droit de la société et du droit comptable qui reprend une partie des mesures envisagées par l’initiative, mais atténuées.

Hors normes

Daniel Vasella présente donc bel et bien deux visages: celui d’un entrepreneur doué et celui d’un manager surpayé qui a créé la polémique. Dans ces conditions, le bilan final que tirent les journalistes ne peut être que contrasté.

Dans son commentaire, dont le titre est «Super héros ou arnaqueur?», le Tages-Anzeiger écrit: «Il y a deux Daniel Vasella – le manager et le riche. Comme manager, ce médecin, qui a fait de Novartis un leader mondial de la pharmacie après la fusion de Ciba et de Sandoz en 1996, a relevé un défi. Mais il a raté le bon moment pour démissionner. Hier à la bourse, le titre Novartis s’est apprécié par moments de plus de 5%. Du point de vue des investisseurs, cela signifie que dans sa dernière phase, Vasella était devenu plus une hypothèque qu’un actif pour l’entreprise.»

Cette hausse à la bourse a d’ailleurs aussi interpelé Le Matin. «L’action Novartis gagnait plus de 4% après l’annonce du départ du grand chef. Même les actionnaires avaient fini par se rendre compte que les rémunérations abusives diminuaient la part du gâteau à partager», note le quotidien populaire romand.

«Si en Suisse, on a pris connaissance avec bienveillance et compréhension de l’internationalisation de Novartis, la compréhension pour l’internationalisation des salaires était limitée, explique pour sa part la NZZ. On risque ainsi de se souvenir de Daniel Vasella non pas comme d’un entrepreneur hors du commun, mais comme d’une personne qui a perdu le sens de la normalité et qui a ainsi été plus préjudiciable qu’utile à la place suisse.»

Quant au Temps, il conclut: «Daniel Vasella aura été un patron hors norme. Détesté par les uns, admiré par les autres, il a marqué son époque. Autant il a pu être détesté pour son appât du gain, sa volonté de concentrer le pouvoir, ou ses idées sur les vertus sans faille de la concurrence acharnée, autant il a été admiré pour sa vision stratégique, un réel sens de l’écoute, et une force de conviction hors pair toujours adaptée à son interlocuteur. A l’heure du bilan, on retiendra qu’il est parvenu à façonner, au carrefour de la science et des affaires, une entreprise solide qui fait partie de la renommée économique de la Suisse.»

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