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Rapporteur spécial de l’ONU, c’est quoi au juste?

Nils Melzer at the UN in Geneva
Nils Melzer dans l'un des interminables couloirs du Palais des Nations. swissinfo.ch

Le Suisse Nils Melzer a été mandaté par le Conseil des droits de l’homme comme rapporteur spécial de l'ONU sur la torture. swissinfo.ch est allé à sa rencontre au Palais des Nations pour qu’il témoigne de cette activité bénévole.

Outre son mandat de rapporteur spécialLien externe sur la torture, Nils Melzer donne des cours Lien externeà l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains (Genève) et à l’Université de GlasgowLien externe. Et ce après un passage au Département fédéral des affaires étrangères (DFAELien externe) et au CICRLien externe.

Les rapporteurs spéciauxLien externe des Nations Unies sont des experts indépendants qui travaillent sur une base volontaire et non rémunérée. Alors, pourquoi s’est-il engagé dans ce mandat?

Genève internationale: Dans cette série, swissinfo.ch vous présente des Suissesses et des Suisses qui occupent des fonctions clé sur la scène internationale.

«Je pense que c’est un grand privilège d’avoir une position comme celle-ci qui me permet de contribuer à quelque chose d’aussi important que l’interdiction de la torture, en ayant un accès direct aux ministres des affaires étrangères. En outre, la force de mon mandat est qu’il découle d’une décision adoptée par le Conseil des droits de l’homme. Ce qui signifie que je peux visiter ou intervenir non seulement dans les pays qui ont ratifié les traités relatifs aux droits de l’Homme, mais aussi dans d’autres pays, pour autant qu’ils soient membres de l’ONU.»

Les visites dans les pays constituent en effet une part importante de son mandat. Nils Melzer s’est ainsi rendu en Turquie à la suite de la tentative de coup d’Etat il y a deux ans, en Serbie, au Kosovo et dans l’est de l’Ukraine. Mais ces visites ne peuvent avoir lieu qu’avec l’aval de l’État concerné. Ce qui est loin d’être toujours acquis.

10 à 15 demandes journalières

Sa marge de manœuvre est plus grande concernant les demandes individuelles: «Je reçois 10 à 15 demandes par jour pour mener des interventions en faveur de victimes de torture. Il peut s’agir de personnes sur le point d’être extradées vers un pays où elles craignent d’être torturées. Ce peut aussi être des personnes condamnées à mort en attente de leur exécution. Mon mandat d’expert indépendant fait parfois figure de dernier recours pour des personnes qui ont épuisé toutes les voies judiciaires. Je privilégie généralement les interventions urgentes qui sauvent des vies car, avec les ressources dont je dispose, je dois me limiter à deux interventions par jour en moyenne. Les autres cas sont dirigés vers d’autres mécanismes chaque fois que possible. Mais oui, je ne peux tout simplement pas répondre à un certain nombre de demandes, faute de moyens suffisants. Pourtant, ces interventions individuelles constituent, selon moi, l’aspect le plus important de mon mandat, car il permet de plaider directement en faveur de la protection d’une personne.»

Le titre complet du mandat de Nils Melzer est Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Compte tenu des guerres actuelles et des politiques répressives menées par des Etats autoritaires, il est clair qu’il a du pain sur la planche.

Alors, quelle est la situation qui le préoccupe le plus? «Le phénomène qui soulève la plus grande préoccupation en ce moment est celui de la migration irrégulière, car des dizaines de millions de personnes dans le monde n’ont pas de statut régulier. Ils sont extrêmement exposés aux mauvais traitements, à la torture, aux abus, à l’extorsion, au viol, voire à l’esclavage, et de nombreux pays, y compris les pays développés, les empêchent de bénéficier de la protection dont ils ont besoin. Les États concluent même des accords avec d’autres pays, ce qui place ces personnes dans une incertitude artificielle ou dans une situation d’extrême vulnérabilité.»

Contenu externe

Un groupe de rapporteurs spéciaux des Nations Unies, dont Nils Melzer, a récemment publié une déclarationLien externe condamnant la politique américaine de séparation des enfants migrants de leurs parents à la frontière mexicaine, affirmant que cela pourrait constituer une forme de torture. «C’est certainement un très mauvais exemple qui n’est pas compatible avec les obligations internationales des Etats-Unis en matière d’interdiction des mauvais traitements», souligne Nils Melzer.

Responsabilité globale

Mais les Etats-Unis ne sont bien sûr pas seuls en cause: «Vous pourriez aller au Mexique, dans d’autres pays d’Amérique centrale et du Sud, en Libye, au Moyen-Orient, en Australie ou au Bangladesh avec les Rohingyas venant du Myanmar. Ce sont des millions de personnes qui traversent des moments extrêmement difficiles et dont personne ne se sent responsable.»

Alors, que devrait-on faire? Nils Melzer réfléchit un instant. «Je pense que la première chose à réaliser est que cette tragédie humanitaire de la migration irrégulière est le résultat d’un problème systémique plus important. Nous avons des États qui se plaignent que tous ces migrants arrivent à leurs frontières, mais en même temps, ils exportent des armes vers les pays que ces migrants fuient. Ils soutiennent les pratiques d’entreprises qui acceptent les conditions de travail inhumaines dans les pays de sous-traitance. Nous ne pouvons pas continuer à faire les choses de la même manière et attendre des résultats différents.»

Nils Melzer est clairement touché par les cas auxquels il a dû faire face: «Il est vrai qu’il est parfois très difficile de m’occuper de certains cas individuels. Beaucoup de personnes pour lesquelles je fais des interventions ne pourront pas échapper à la torture ou à l’exécution. Et je dois simplement être conscient que je ne peux pas changer le monde entier, mais je peux au moins essayer de faire bouger les choses pour un individu particulier. Si je peux empêcher la séparation d’un enfant de ses parents, j’aurai changé leur monde. Avoir des attentes beaucoup plus élevées est une garantie pour finir en burnout.»


 

 

 

Adapté de l’anglais par Frédéric Burnand

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